fbpx

Test & Avis sur Crockett & Jones : La référence par excellence du soulier anglais

De nos jours, nous cherchons avidement la nouveauté partout où elle se trouve. Chez Jamais Vulgaire, cela prend la forme de marques confidentielles et de pépites que l’on vous partage. Cependant, certaines maisons sont dans le paysage depuis longtemps, prises pour acquis et dont on parle peu, alors que les produits proposés ont toujours été d’excellente qualité. Aujourd’hui nous corrigeons cela en vous parlant de la maison Crockett & Jones, l’un des derniers ténors du soulier anglais de Northampton.

Note de Valéry: nous avons depuis rédigé d’autres articles sur différents souliers de l’offre Crockett&Jones. Les voici:
Comment bien choisir des brogues boots, test des bottes Islay
Test des Richelieu Lonsdale de la gamme Handgrade: ce qui fait la différence

Avis sur Crockett & Jones : « The lasts of 6 » de Northampton, l’un des derniers ateliers encore sur place.

Quand on pense aux références du soulier très haut de gamme anglais, le nom de Crockett & Jones vient très souvent en tête de liste. Cette maison mythique qui vient de fêter ses 140 ans est née dans la ville de Northampton en Angleterre, qui est aux souliers ce que Jermyn Street est aux chemises et Savile Row aux costumes, c’est-à-dire le berceau d’un savoir faire reconnu qui fait le bonheur des gentlemen depuis le XIXème siècle. Cette maison qui est aujourd’hui tenue par la 5ème génération des enfants des beaux-frères fondateurs James Crockett et Charles Jones continue de produire ses souliers dans leurs ateliers en Angleterre, faisant ainsi perdurer la tradition d’une confection traditionnelle.

Un petit aperçu de la collection spéciale présentée par Crockett & Jones à l’occasion de son 140ème anniversaire
Forme spécifique 140, doublure vert anglais et embauchoirs dédiés. Les modèles de gauche à droite : Turner, Magee et Perry  

La réputation de Crockett & Jones s’est établie rapidement et perdure depuis. Les ventes à l’échelle globale débutent en 1900 et exploseront lorsqu’elle recevra le Diplôme d’Honneur du Design au Salon International de la Manufacture de Turin 1911, tout en menant des projets d’expansion de leurs ateliers. Ils ont ensuite été approchés pour divers projets, avec une expédition mouvementée en Antarctique dès 1914, et auront participé à l’effort de guerres durant les différents conflits impliquant l’Angleterre depuis la Première Guerre Mondiale, ce qui leur vaudra de recevoir le « Royal Patronage » lors de la visite de Georges VI, au sein de leurs ateliers en 1924 alors Duc de York. Leur goût incontestable et leur renommée amenèrent  différents studios de cinéma à collaborer avec Crockett & Jones. C’est ainsi que l’on a pu voir les souliers de cette prestigieuse maison portés dans les films de James Bond avec Skyfall et Spectre, ainsi que dans les deux Kingsman et enfin (cocorico) dans OSS 117. Après de nombreuses boutiques ouvertes de par le monde, dont la plus récente est celle située dans le Marais à Paris, la maison a l’honneur de recevoir le fameux « Royal Warrant » en 2017, devenant ainsi fournisseur officiel de la couronne.

Crockett & Jones, 140 ans de tradition bottière au service de la modernité

Ce qui nous a le plus marqué lors de notre visite dans la boutique, mis à part les produits, c’est l’héritage qui se dégage de cette maison, des archives et le symbole d’une maison qui a traversé des époques bien différentes pour en arriver à ce qu’elle est aujourd’hui. Cette notion d’ancienneté, d’héritage, est souvent utilisée à tort et à travers, comme vous vous en doutez, pour des intérêts d’image, de communication et de marketing, alors que chez Crockett & Jones, la conservation des archives est devenu un véritable enjeu. Elles servent bien évidemment à retracer l’histoire de la marque, mais elles témoignent aussi de plusieurs pans d’Histoire, et de la manière dont Crockett & Jones s’est adaptée aux courants et aux tendances de fond pendant des décennies, là où on s’imagine que ces maisons réputées et anciennes se reposent souvent sur quelques modèles iconiques.

Ces photos d’archives datent pour la plupart des années 1920, avec de gauche à droite : une salle d’échantillons, l’équipé dédiée à la création des formes et enfin en bas la salle de découpe des modèles

Nous sommes donc entrés dans la boutique de Crockett & Jones à la Madeleine, la seconde ouverte en 1998 dans la foulée de celle située sur Jermyn Street en 1997. Je m’attendais à des très beaux souliers évidemment, mais j’avais, je dois l’admettre, des idées préconçues sur les formes des chaussures, à savoir un chaussant anglais confortable. Pourtant, Crockett & Jones a accumulé au fil des ans un large répertoire de formes, des rondes anglaises aux formes racées que l’on peut voir sur des bouts ciselés italiens, et c’est cette polyvalence présente dans l’identité de la maison qui m’a autant surpris, remettant totalement en questions mes a priori selon lesquelles les anciennes maisons avaient tendances à rester sur un style bien spécifique, qui n’appartiennent qu’à eux et dont ils ne se défont que très peu, grâce au temps de maturation dont il a bénéficié.

La seule constante que l’on retrouve chez Crockett & Jones, c’est la qualité des peausseries et, bien sûr, de la confection. Le cahier des charges et si draconien que, régulièrement, les boutiques se permettent de renvoyer à l’usine certaines paires présentant un léger défaut ne se voyant qu’une fois porté, ou une imperfection minime qui aurait tout de même réussi à passer entre les mailles du filet. A tel point que vous pouvez parfois trouver des modèles à prix réduits en boutique, les « subs », qui sont ces fameuses paires qui sont vendues car elles restent tout de même parfaitement portable et durable. Par exemple, cela peut être deux coutures qui ne sont pas parfaitement parallèles sur un bout droit. Et à moins d’avoir le nez dessus (et encore), difficile de s’en rendre compte, et c’est encore plus le cas une fois porté. Ce système permet d’avoir une haute qualité constante sur les modèles « normaux », et cela fait aussi preuve d’une honnêteté que l’on aimerait bien voir chez d’autres, en plus de permettre à des budgets plus modestes d’accéder à une paire de soulier luxueuse à un prix plus abordable.

Une offre large, satisfaisant à la fois registres et morphologies

La variété des formes permet à chacun de trouver chaussure à son pied (excellente celle-là), car là où l’expérience diffère des essayages habituels, c’est que la personne qui va vous accompagner va vous offrir un véritable accompagnement et vérifier avec vous que la taille est exactement la bonne, que vous remplissez bien le soulier pour éviter des plis d’aisance trop marqués, noter des tensions anormales lorsque vous chaussez le soulier, et tant d’autres points qui pourraient échapper même aux yeux d’amateurs les plus avisés (y compris les miens). Au besoin, il vous sera proposé d’autres modèles dont les formes correspondraient le mieux à votre pied.

En plus des formes, la variété des bouts n’est pas en reste. On trouve les bouts assez classiques, droits, one cut, broguing et wingtip, mais d’autres comme des bouts demi-chasse étaient tous très bien réalisés. La palette de patine est aussi large, ainsi que certaines peausseries originales comme du suede « rough-out » au rendu très workwear ou l’increvable Cordovan de chez Horween.

Pour s’y retrouver dans cette offre large, Crockett & Jones a réparti ses modèles en différentes lignes. La « Main Collection » regroupe la majeure partie de l’offre, où l’on retrouve les modèles classiques dans des cuirs anilines, grainés et suede avec le choix entre semelle cuir ou gomme. Vient ensuite la collection « Hand Grade » où se trouve les chaussures les plus raffinées, des formes asymétriques, une meilleure qualité de cuir et davantage d’opérations réalisées à la main. La quintessence de Crockett & Jones en somme, où le retrouve le modèle que nous avons testé. Vient ensuite une ligne exclusivement composée de souliers en Cordovan qui vous survivront très probablement, puis la « Black Edition » où sont présentés des souliers anglais aux influences nippones, et dont la Part 2 sera disponible dans la boutique de la Madeleine dès Octobre.

Voilà ce que nous réserve la Black Editions, Seconde partie. La patine est exclusivement noire, mais pourtant le travail sur les peausseries et les textures offrent des rendus bien différents. Ma préférence va pour la bottine Coniston au cuir graissé ! 

A noter aussi que la boutique de la Madeleine accueille depuis plusieurs années déjà l’exceptionnel Dimitri Gomez, où ce dernier a installé son atelier de souliers bespoke après avoir réalisés les souliers de l’Opéra Garnier pendant des années. Le plus impressionnant est qu’il ne fait appel à aucune équipe et réalise seul ses créations, dans une profession où, je le rappelle, chaque étape de confection est un métier à part entière, de la prise de mesure au finissage, en passant par le patronage, le piquage et le montage. M. Gomez fait partie de l’un des derniers grands bottiers sur la scène européenne, et reçoit des clients du monde entier qui se déplace spécialement pour faire appel à son savoir-faire unique. Après cet aparté, passons directement à la partie test !

Test de la double boucle Repton III Chestnut

Pour ce premier test, nous avons voulu honorer l’héritage anglais de la maison avec la Repton III. Nous avons donc à faire avec une double boucle, un modèle assez classique mais qui se démarque tout de même des richelieus et des derbys qui sont omniprésents, ajoutant ainsi le premier soulier double boucle de ma garde robe. Pour continuer sur cette lancée, je l’ai choisie avec la magnifique patine Chestnut, une belle nuance entre marron et bordeaux, qui rappelle bien sûr la couleur de la coque des noisettes, d’où elle tire son nom. Premièrement parce que je la trouve tout à fait sublime, mais aussi afin d’inclure dans ma garde-robe une paire de souliers qui soit le parfait compromis entre originalité et formalité, que j’incorporerai dans mes tenues les plus habillées mais également les plus recherchées, car il est toujours bon de rappeler que, en terme de formalité et de par sa construction, la double boucle reste apparentée à un derby.

La Repton III, une forme héritée et repensée

Une double boucle avec un bout droit rapporté est un modèle très répandu est apprécié car très équilibré esthétiquement parlant (je verrai mal un wingtip avec des boucle par exemple). La couture du bout droit est parfaitement exécutée, les coutures sont parallèles et régulières, discrètes et raffinées grâce à un nombre élevé de points de couture au centimètre.  Tout comme le diable, l’élégance se cache dans les détails, et c’est précisément la forme de ces souliers qui recèle le cœur de l’expertise de Crockett & Jones. Avant cela, je prêtais particulièrement attention au montage (Évidemment un Goodyear ici, comme toutes les Crockett & Jones soit dit en passant) et au cuir, mais jamais la forme d’un soulier ne m’avais interpellé comme ici, aussi bien visuellement que ressentie lorsque porté.

Cette forme, c’est la n°367, initialement conçue pour le marché japonais, mais qui a si bien marché qu’elle est maintenant distribuée partout.  Cette forme a elle même été inspirée de la forme 337, qui était extrêmement longue, et a été raccourcie pour donner la 367, plus courte et légèrement tournante pour être fidèle à la forme du pied. Elles possèdent toutes deux un « soft square toe », la semelle est travaillée à l’avant du soulier et ciselé de manière à finir le pied sur une forme légèrement rectangulaire dont les bords sont adoucis. Cette finition, couplée à un chaussant rond et généreux, permet de contrebalancer habilement l’apparence générale de la chaussure pour un rendu un peu plus racé et habillé qu’il ne l’aurait été avec un bout rond.

Un confort profitant d’une forme travaillée

Autrement qu’esthétique, la forme a un impact considérable sur le confort, ce qui peut amener les plus beaux des souliers à être relégués au fond d’un placard. C’est d’autant plus important ici compte tenu de l’absence de laçage traditionnel au profit de deux boucles, ce qui exige un fit parfait, et peut ne pas convenir à tous les pieds. Même si j’ai la chance d’avoir les pieds plutôt fins, le port des semelles orthopédiques font de moi un client très difficile en matière de souliers, puisque j’ai de fait moins d’espace dans la chaussure pour y loger mon pied. Pourtant, malgré cela et les boucles qui rendent les choses plus délicates, le port de la Repton III a été pour moi extrêmement agréable, le chaussant est confortable, le pied est maintenu sans être compressé, parfaitement enveloppé. Cela témoigne du soin porté à la définition des formes chez Crockett & Jones, en plus de la confection et des peaux de qualités.

A titre personnel, la première paire que j’ai essayée me semblait déjà très confortable et à ma taille, sans que le volume non rempli ne me choque particulièrement. Pourtant, il s’est avéré que la demi taille d’en dessous enveloppait mieux mon pied. Aussi, la forme de mes pieds (plus semelles orthopédiques) provoquait une tension au niveau de la languette, ce qui créait un pli en la poussant vers le bas. Même taille, changement de paire, le souci est résolu. Cela peut paraître surprenant, mais il faut garder à l’esprit le fait que Crockett & Jones a gardé le savoir faire de ses artisans au cœur du processus de production, et que de très nombreuses opérations sont réalisées par la main de l’homme. Cela signifie que chaque paire sera unique, avec par exemples des légères variations de patine d’une paire à l’autre.

Au centre en vertical, j’ai essayé de porter assez peu la paire pour pouvoir vous montrer la semelle sous gravure fermée tannée végétale avant de faire poser le patin et le fer.
J’ai aussi voulu vous montrer le fameux « square toe » et le travail asymétrique à l’arrière

Voici la liste des finitions que nous avons retrouvé sur la Repton III :

  • Cousu Goodyear sous gravure fermée : pour rappel, le cousu Goodyear est une forme de montage comportant une trépointe permettant le ressemelage. Plus solide, il est plus durable mais moins souple qu’un montage Blake. La gravure fermée permet de protéger la couture.
  • Doubles boucles : le travail sur la forme est admirable, la forme rectangulaire aux bords arrondis est tout à fait classique
  • Patine Chestnut : des nuances de marron tirant sur le bordeaux, le travail de la patine est particulièrement réussi et équilibré entre originalité et polyvalence, un vrai coup de cœur.
  • Handgrade Collection : davantage d’opérations sont réalisées à la main, dont le finissage. La doublure est en veau assortie à la tige
  • Semelle « bark tanned » : faite pour résister à la pluie dans une certaine mesure, ce qui n’empêche pas de faire poser un fer et un patin pour préserver. Le talon possède un insert en caoutchouc encastré. Il y a aussi un cambrion en bois (invisible) , qui fournit la colonne vertébrale de la semelle.
  • Peausserie :  Veau pleine fleur au tannage végétal à l’écorce de chêne issue d’une tannerie française, le cuir « grade finest calf » est beau et souple, et révélera une patine magnifique avec le temps et des soins approprié. Le tannage végétal est plus respectueux de l’environnement, plus beau mais prend plus de temps à être réalisé.

Conseils de style : une tenue business au style anglais classique

Pour accompagner une aussi belle paire de soulier, j’ai joué le jeu de les porter avec une tenue formelle très poussée : le costume trois pièces. Le tissu est un chevron bleu avec des nuances de gris bien senties, qui mettent en valeur la patine des Repton III qui a beaucoup de caractère et la fait ressortir. Pour ne pas faire les choses à moitié, j’ai choisi une chemise à chevrons et poignets mousquetaires qui met bien en avant cravate bordeaux rappelant la patine des souliers. La pochette quant à elle amène une touche plus claire bienvenue qui reprend subtilement certains détails dorés de la cravate.
Cela dit, comme rappelé un peu plus haut, la double boucle est, en terme de formalité, moins habillé qu’un richelieu. De ce fait, cette paire pourrait très bien s’intégrer à une tenue sport constituée d’une veste et d’un pantalon dépareillés car la patine le permet, là où la Repton III en noir devrait être réservée aux costumes formels, à mon sens. C’est la force de cette patine, qui s’intègre aussi bien avec un costume que dans une tenue dépareillée.

La règle veut que l’on associe la couleur des métaux portés entre la montre et la ceinture. Il en va de même lorsqu’on porte des double boucles, et bien qu’il n’y ait pas de ceinture ici car je porte des bretelles. Petit rappel sur une règle de base : on ne porte pas de ceinture avec un gilet, car ce dernier est sensé faire la transition entre la veste et le pantalon, tandis que la ceinture coupe la silhouette en deux. Ainsi, les boucles argentés tout à fait classiques des souliers permettent d’assortir facilement avec n’importe quelle montre au cadre de la même nuance.

Conclusion sur Crockett & Jones

Ce qui ressort du test de la Repton III de chez Crockett & Jones, c’est l’équilibre savamment orchestré entre les formes. Ce bout particulier que l’on ne remarque pas au premier abord, mais qui change tout le visage de cette paire de souliers en contrebalançant sa forme ronde et généreuse qui en fait un modèle en terme de confort pour lui offrir ce détail plus anguleux, plus rigide qui les rendent plus élégantes. Cette paire est sans aucun doute la plus confortable que j’ai pu porter en montage Goodyear, et les conseils d’entretien reçus lors de notre visite en boutique me permettront d’en faire ressortir une patine unique avec le temps et le soin que ces souliers méritent amplement.

arthur
S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires