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« Sans pitié » (The Merciless) : analyse du style de la mafia à travers le film de Byun Sung-hyun

Disclaimer : j’ai fais mon possible pour ne pas spoiler aucun élément de l’intrigue du film. D’ailleurs je vous encourage vivement à le regarder et à me dire ce que vous en avez pensé !

Comme tous les autres habitants de France, je suis confiné chez moi, et je ne sors que pour acheter des produits de première nécessité. Je crois qu’à l’heure actuelle, c’est probablement la plus grande élégance dont on puisse faire preuve : restez chez soi, et prendre son mal en patience, comme on peut. Je me suis donc remis (entre autres activités) à regarder ou revoir des films et des séries, dont un en particulier qui me tient particulièrement à cœur : Sans pitié (The Merciless).

Un film coréen que la critique qualifie de « Tarantinesque » et il faut bien l’avouer : c’est jouissif de bout en bout. Jouissif et terriblement triste à la fois. Je ne suis pas critique de cinéma, je ne vais donc pas m’attarder plus que cela sur l’intrigue, la mise en scène, les dialogues … Mais c’est diablement efficace, et ça plaira aux fans de films de voyous comme moi.

J’adore notamment les films de Scorsese (qui est un spécialiste du genre) qui parlent de mafia, avec Pesci et De Niro en première ligne (Les Affranchis, Casino et le tout dernier The Irishman..) ou bien Di Caprio (Gangs of New-York et l’excellent les Infiltrés). C’est fin, c’est subtil, c’est souvent l’histoire d’un destin hors norme, d’une personne brillante qui se débrouille comme il peut. Puis ça tourne au vinaigre, parce que les histoires de voyous ça finit toujours mal.

Alors aujourd’hui, j’aimerai vous parler du beau film du réalisateur coréen Byun Sung-hyun : Sans pitié (The Merciless), parce qu’en plus d’être un bon film, il est également diablement élégant ! Et c’est à travers le prisme des costumes du film que j’aimerais vous en parler. Car il est rare qu’un film soit aussi soucieux du détail apporté aux tenues, avec autant de goût et une telle connaissance de l’art sartorial.

Le style de la délinquance en col blanc  : une hiérarchie bien établie grâce au vêtement

Ce qui m’a tout de suite interpellé dans ce film, c’est la justesse avec laquelle les personnages sont habillés. Tout est subtilement mis en ordre afin que chaque personnage soit bien identifié, notamment son rôle et sa place dans la mafia coréenne dont il est question dans le film.

Quelque soit le registre de style des personnages (formel ou décontracté), le style est toujours très habillé, et on voit de (très) belles cravates dans toutes les tenues, même pour les plus casual. Toutes les tenues (exceptées celles en prison), sont travaillées, j’ai donc beaucoup de matières et de visuel à l’appui pour justifier tout ce que je vais expliquer par la suite.

Chaque style et tenue reflète également la personnalité des divers rôles : par exemple Han Jae-ho (le lieutenant principal de l’organisation criminelle coréenne) possède un style très charismatique (un peu comme Harvey Specter dans Suits), qui colle parfaitement à sa personnalité.

Tandis que le chef  Ko Byung-chul et son neveux Ko Byung-gab (qui font parti de la même famille) affichent un style parfois volontairement plus ostentatoire et de mauvais goût (même si nous verrons que ce n’est pas aussi simple que cela). Voici mon analyse du style de chacun des personnages importants du film !

Le style sartorial charismatique affirmé du lieutenant

Han Jaeh-ho (interprété par l’exquis Sol Kyung-gu) joue l’un des deux personnages principal du film. Caïd brutal et sans pitié, il fait preuve d’une redoutable efficacité pour gérer les problèmes. Il a monté petit à petit les échelons et s’impose comme le principal lieutenant de la mafia coréenne. Il est particulièrement charismatique et est le personnage le plus élégant du film. Toutes ses tenues sont irréprochables, les proportions sont cohérentes et l’agencement des motifs toujours équilibré. Même chose concernant le contraste, il respecte toutes les règles élémentaires du dress code formel : costumes foncés et chemises claires. Il possède donc un goût très sûr, et ne porte que des costumes de caractère : des 3 pièces ou du costume croisé uniquement.

Les revers de ses costumes sont toujours très (voire trop) généreux et toujours à cran aigu, au point de rendre Hugo Jacomet jaloux à coup sûr ! Ses chemises sont également très habillées : il ne porte que des cols financiers et des boutons de manchette (là encore on frise avec le too much car les finitions formels s’accumulent mais ça passe vraiment très bien sur lui). Ses cravates sont également de très bon goût : à motifs madder ou proposant des textures sophistiquées. Difficile d’en dire plus concernant les souliers, car on les voit très peu, et beaucoup de plans sont filmés la nuit. Cependant je remarque qu’il ne porte que des souliers noirs, dans la plus pure tradition du business anglais « no brown in town ».

J’ai remarqué qu’il portait 5 costumes différents, tous très réussis : un 3 pièces bleu faux-uni caviar, un 3 pièces gris clair faux-uni et un costume croisé pour le formel de « tous les jours ». Il porte également deux costumes croisés plus spécifiques et un : un bleu marine à rayures (pour les grandes occasions), un marron (qu’il porte lors d’une sorte de cocktail, il est donc parfaitement approprié).

Le style tendance de la jeune recrue

Jo Hyun-soo est le personnage principal du film, mais il est moins intéressant en termes de style donc j’ai décidé de le traiter en deuxième. Il incarne un jeune homme débrouillard qui n’a pas froid aux yeux. Il se fait rapidement repérer en prison par Han Jaeh-ho (je ne vous spoil rien puisque le film démarre en prison et alterne les temporalités), qui se prend d’affection pour ce jeune chien fou qui est aussi efficace avec les poings qu’avec sa tête.

Il débute dans l’organisation criminelle, et il est donc habillé comme tous les autres soldats avec un style tendance façon Hedi Slimane (ce que moi j’appelle affectueusement « le style du stagiaire ») : costume trop étroits, revers ridicule et méconnaissance totale des us et coutumes de l’art sartorial et de l’univers classique du style masculin. Tous ses costumes sont fades, et très souvent il ne porte que des pièces foncées sur d’autres pièces foncées. Bref rien ne va, tout le contraire de son mentor. La scène de l’ascenseur retranscrit d’ailleurs parfaitement cela !

Le style sartorial casual chic à la sauce mafia par le chef du gang et son neveu

Il y a deux autres personnages qui sont très intéressants à décrypter : le chef du gang et son neveu. Leurs tenues sont beaucoup plus subtilement agencées qu’elles n’en ont l’air. Commençons par le chef du gang, qui ne porte quasiment jamais de cravate (contrairement à tous les autres) et très souvent même pas en costume formel : il préfère les polos (bien ouverts) et les pantalons habillés.

Cela nous laisse deviner qu’en tant que chef, il est au dessus des autres, et n’a pas besoin de s’habiller pour faire du business. Les rares fois ou il est en costume, il singe les codes classiques, en portant beaucoup de foncé, et peu de clair : une caractéristique typique du style de la mafia.

En effet, les hommes de la pègre vivent plutôt en marge de la société. Malgré le fait qu’ils soient tout aussi riches que les autres nantis (voire beaucoup plus), ils sont souvent rejetés par la bonne société, qui refuse de se mêler à ce qu’ils considèrent comme des malotrus. Conscient de ce rejet, ils inventent leurs propres codes vestimentaires.

En effet, dès le XXe siècle, on voit apparaître des différences stylistiques entre mafieux partout à travers le monde. Il y a ceux qui veulent à tout prix  s’intégrer (en respectant scrupuleusement les codes établis), et ceux qui défient l’ordre établi en singeant les codes du business classique. Tout comme le faisait les aristocrates du XIXe, qui méprisaient les bourgeois qui devaient travailler pour assurer leur subsistance (ils faisaient broder leurs initiales sur les avant bras, chose impensable à l’époque mais que seuls quelques grands chemisiers pouvaient faire, prouvant ainsi leur richesse opulente) en inversant notamment les codes couleurs : des cravates clairs sur des chemises foncées …. des chemises foncées sur costume clair … Des choses impensables dans le business traditionnel (on porte le costume foncé et la chemise claire en toute circonstance).

Le chef du gang s’inscrit dans cette lignée, très revendicative de son statut et à contre courant des mœurs,  en portant des costumes qui défient toutes les règles, et des tenues dépareillées très ostentatoires avec des couleurs criardes (une codification qu’on retrouve très souvent dans la mafia sud-américaine des narcos). Cet accoutrement n’est pas choisi au hasard par le réalisateur, en effet il met l’accent sur la vanité de celui-ci et cherche volontairement à se moquer de ce personnage, en l’habillant d’une telle manière qu’il paraisse antipathique aux yeux du public.

Même chose concernant son neveu, qui est constamment ridiculisé, notamment via ses tenues qui reprennent les mêmes codes que son oncle avec des costumes foncés, des cravates foncées et des tenues dépourvues de contrastes (ou c’est trop marqué, donc jamais juste). En revanche ses tenues décontractées sont superbes : des sahariennes et des blousons en cuir qu’il associe toujours avec une cravate … Là encore les tenues ne sont pas tout à fait choisi au hasard : il essaye d’incarner un rôle en imitant son oncle, mais n’y arrive pas.

Les deux personnages proposent donc un style très sartorial (comprendre classique pour les non initiés), mais plutôt porté sur un registre décontracté, contrairement à Han Jaeh-ho qui ne porte uniquement que des costumes formels. En somme, leur style pourrait être résumé par l’expression « casual chic » mais en beaucoup plus sophistiqué (et habillé) qu’une chemise en denim et un chino clair.

Le style sartorial preppy revisité avec les codes de la mafia du chef de gang russe

C’est probablement le personnage le plus intéressant et subtil en termes de style (même s’il me plaît moins). En effet, on voit peu le chef de gang russe, mais ses tenues tournent toujours autour du même style : le preppy. C’est à dire qu’il porte systématiquement un blazer (un vrai blazer, pas une veste sport)

Une veste à rayures et aux boutons dorés donc, qu’il agrémente souvent d’un polo ou d’une chemise et d’un pantalon dépareillé. Son style est importable dans la vraie vie, mais il est tout de même très intéressant car il mélange ce style très mafieux (beaucoup de couleurs sombres) et une éducation aristocratique (le port du blazer) qui donne un mélange détonnant et très atypique.

Qu’on se le dise, c’est importable dans la vrai vie, mais ça reste néanmoins un style très sophistiqué et surtout assumé. C’est ça qui est assez impressionnant dans ce film, tous les personnages possèdent un style très élaboré, qui ne laisse rien au hasard. Personnellement je n’ai jamais vu un autre film dans lequel le style est si poussé, avec un parti pris stylistique aussi subtil et sophistiqué. Cela dit je ne suis pas étonné, la culture sartoriale est très présente en Corée, et on y fait souvent preuve de beaucoup de goût !

Les pièces iconiques du film qui apportent beaucoup de style

Pour illustrer cette partie, j’ai choisi de me concentrer sur les tenues d’Han-Jaeh-ho, car c’est le personnage qui me semble le plus élégant, et surtout duquel on peut tirer des leçons qui peuvent nous permettre d’atteindre un niveau de style formel de haut vol. Voici les pièces iconiques de son vestiaire qu’on retrouve tout le long du film !

Le costume croisé à rayures :

Des rayures affirmées, qui sont un bon entre-deux ici entre des rayures tennis et des rayures craies. Rien de tel que ce genre de costume marié à une cravate bordeaux pour signifier une position d’autorité.

Le costume 3 pièces à motif faux-uni :

Il s’agit d’un pied de poule discret (on en retrouve beaucoup de ce genre dans des flanelles de chez Vitale Barberis Canonico): ce genre de matière prend vraiment bien la lumière, même dans des contextes de faible luminosité comme c’est le cas sur cette photo.

La chemise à col financier avec poignets mousquetaires :

Une chemise à col financier qui s’intègre bien dans cette tenue.Si vous voulez opter pour ce genre de chemise, on vous recommande de commencer par les rayures, comme sur cette photo, et pas par le contraste plus classique col blanc + chemise bleu clair qui est un peu plus difficile à assumer, en plus de convenir à moins de carnations.

Les cravates sophistiquées à motifs madder et géométrique :

Han-Jaeh-Ho insère de subtiles touches sartoriales à ses tenues à travers des cravates légèrement texturées (comme celle en grenadine avec le costume croisé), ou encore cette cravate madder. L’idée est ici de signifier qu’il a une meilleure maîtrise des codes que les autres mafieux: il insère dans ses tenues juste assez de détails pour se différencier sans en faire trop.

Petit bémol sur les montres sports:

Porter une montre sport un peu grossière et volumineuse est une faute de goût qui va de paire avec ce qu’on appelle le « costume du stagiaire » aux revers anorexiques. Ici Jo Hyun-soo combine ces deux écueils, en plus de cumuler des couleurs foncées avec des contrastes de matière cheaps.

 

Conclusion

The Merciless est un excellent exemple de ce que le cinéma coréen peut vous apporter en termes d’inspirations : le travail des costumes est extrêmement soigné et contribue à une narration efficace où l’on situe facilement chacun des personnages.

Le film retranscrit à merveille le style mafieux, et surtout les trajectoires qu’empruntent les différents personnages (un peu comme dans Peaky Blinders). On a en complète opposition un boss exubérant qui se repose un peu trop sur ses lauriers (singé par son neveu incompétent et lâche) en face de son lieutenant dont les costumes signifient l’ascension sociale, l’effort consenti en termes de maîtrise des codes et le charisme et son protégé qui a encore tout à apprendre (le duo fait vraiment penser à Suits). Une relation de maître et élève iconique qu’on retrouve très souvent au cinéma, notamment dans Star Wars entre l’apprenti et son maître Jedi !

On vous retrouve d’ici la fin du confinement avec un article du même genre sur le fim : The Gentlemen.

 

 

Gustave Uhlig

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