Faites-vous exactement ce que vous aviez prévu il y a 5 ans ?
Probablement pas.
La vie est un peu une histoire d’itérations au cours de laquelle on doit faire des compromis: le résultat est du coup souvent bien différent de ce qu’on escomptait au début.
C’est un peu ce qui s’est passé avec la marque Jacques et Déméter, qui voulait au début faire du Made in France accessible (mais soudé), et qui a ensuite basculé vers du plus qualitatif, qui exploitait vraiment le savoir-faire des artisans français.
J’ai testé du coup leur modèle de longwing, à qui j’ai fait subir 6 mois sans aucun entretien et avec des aller-retour France-Cambodge. La paire s’en est très bien tirée et va plutôt bien aujourd’hui.
Sommaire
I L’histoire d’une montée en gamme Made in France
Lorsque Maxime m’a contacté en Septembre 2014 pour me présenter le projet Ulule de financement de la nouvelle collection, j’avais déjà entendu parler de Jacques et Demeter en 2011, sans que ça ne m’intéresse plus que ça.
a Les débuts de Jacques et Demeter
Tout commence en 2011, Maxime et Valentine, les fondateurs de la marque, veulent faire des chaussures Made in France. Leur atelier se situe alors à Romans-sur-Isère où ils font fabriquer une gamme de derbys en cuir suédé qui sortait aux alentours de 250 euros.
Deux inconvénients à l’époque:
– un montage soudé: impossible d’avoir du cousu made in France et de sortir un produit sous les 450-500 euros, même avec un modèle de distribution sans intermédiaire. Vendre des chaussures à 450-500 euros en 2011 pour une marque alors inconnue aurait été ultra-risqué, d’autant plus qu’il n’y avait à l’époque pas autant de moyens pour se faire connaître qu’aujourd’hui (tout change bien vite en seulement 4 ans).
– un design clivant: Soit on aime, soit on aime pas, mais les lignes et les coutures étaient en tout cas ultra casual. C’est un genre de design qui plaît davantage aux 18-25 ans, mais ceux-ci pouvaient-ils se permettre de payer une chaussure 250 euros soudée, même Made in France ?
Cette première collection montre rapidement les limites du Made in France quand on est une jeune marque, et qu’on veut en plus être accessible.
b Le crowdfunding Ulule de 2014: énorme saut qualitatif
De Romans-sur-Isère, on passe à un atelier à Cholet, spécialisé depuis 1859 dans les souliers et utilisé par des marques prestigieuses comme Hermès.
La marque s’est assagie et y a proposé des modèles bien plus classiques:
Brogues (ces chaussures inspirées des bottes de Gentleman Farmer), bottines de ville, chukkas, richelieu unies, saddle oxford, double boucle et workboots: on retrouve une gamme très conventionnelle qui garde quand même quelques originalités, comme les boucle contrastantes sur les double boucle.
En dehors des types de modèles, la forme est plus classique et moins pointue: elle est même plutôt ronde, mais sans être grossière. Dans son interview sur BW-YW, Maxime explique ce choix par son pied large et son coup de pied fort, et aussi une plus grande cohérence avec la forme naturelle du pied.
La matière
Il s’agit de pur cuir aniline, naturel, gras et mat issu de la tannerie Degermann et du Puy. Celui pour les semelles est un tannage extra lent de la tannerie Garat.
Ces cuirs gonflent bien les prix, et c’est largement justifié: leur processus de tannage est technique, long et coûteux. (Vous avez oublié ce qu’est le tannage ?).
Le montage
Le montage de ces chaussures a également fait un énorme pas en avant (#jeudemot) avec cette fois-ci du Blake et du Norvégien pour les workboots. (consultez le guide sur les chaussures formelles si cette phrase vous a perdue).
Le montage Blake sous gravure: l’alternative de Jacques et Déméter au Goodyear
Le montage Blake utilisé par Jacques et Déméter n’est pas n’importe lequel: il s’agit d’un montage Blake sous gravure, il permet de protéger la couture sous la semelle (qui sont normalement à l’air libre).
Un modèle basique de Bexley avec montage Blake
Comme j’ai ma paire depuis Janvier, j’ai déjà mis des patins sur les semelles et du coup ça ne se voit pas (malin). Du coup, voici une autre photo plus explicite:
(photo de mocassins en autruche avec montage Blake sous gravure, par Xaviet Piat)
Jacques et Démeter sont allés plus loin pour personnifier le montage Blake et le rendre plus qualitatif.
Un montage Blake classique, c’est pour moi une chaussure et une couture assez fines, avec un fil cousu simplement en point de chaînette.
J’ai du coup été assez surpris en essayant ma paire de longwing: ce n’est pas un fil en point de chaînettes mais deux fils en point noués, et donc une couture bien plus épaisse. Et c’est justement pour ce genre de savoir-faire rare qu’il est ultra intéressant de travailler à Cholet avec un atelier expert.
C’est ce genre de différences qui illustre bien la pensée de Maxime:
Toutefois, le Blake est réputé moins solide que le Goodyear. A cet argument en sa défaveur, nous répondons que le savoir-faire des artisans permet d’obtenir un montage Blake qui n’a rien à envier à certains souliers cousus Goodyear.
Je vous invite à aller voir son article qui explique plus en détails le sujet.
c Un deuxième pas en avant (#comiquederepetition): le Goodyear sous gravures
Pour sa nouvelle collection, la marque a sût bien exploiter le savoir-faire de son atelier de Cholet pour proposer un montage Goodyear sous gravure. C’est cette différence de montage qui explique le prix à 590 euros. (mais même à ce prix là, il s’agit d’un rapport qualité/prix exceptionnel pour du Made in France avec ce genre de savoir-faire et une matière aussi soignée).
Gros coup de coeur pour moi sur les derbys noires violacées
Avec la nouvelle visibilité de la marque, il était logique d’intégrer cette montée en gamme, et on leur souhaite bien du succès !
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II Test des longwing Jacques et Démeter
Voici la paire que j’ai retenue:
Les voilà après 6 mois de port intensif et peu d’entretien. (attention, je ne les ai jamais portées deux jours d’affilée, je ne suis pas fou non plus)
a Le style
Je vous ai déjà parlé un petit peu de perforations en vous présentant régulièrement dans les tenues et inspirations plusieurs modèles de brogue.
Les longwing en sont une catégorie à part entière qui se distingue par ses perforations qui longent la chaussure de l’avant à l’arrière.
Pour moi, il s’agit d’une version un peu plus moderne et sophistiquée que des brogues full wing classiques.
On porte ce genre de chaussures dans une tenue casual habillée, mais elles seront plus difficiles à assortir avec un costume, notamment du fait des coutures contrastantes
L’épaisseur des coutures extérieures contrastantes est d’ailleurs surprenante pour du Blake et font davantage penser à un montage Norvégien. Elles servent ici à renforcer la semelle.
J’ai d’ailleurs tout de suite pensé à cette paire de Rozsnyai (à prononcer « rojnaoui ») à l’esthétique similaire: il s’agit de Budapester avec un montage Goyser à triple couture. (il s’agit d’une marque de puriste encore confidentielle, dont je parle dans le guide des chaussures formelles).
Les couleurs
Ce trio de couleurs décliné autour du marron, du beige et du blanc cassé est ultra cohérent et cole parfaitement à l’univers Gentleman Farmer auquel se rattache naturellement des longwings avec des semelles aussi imposantes.
Bref, rien à dire au niveau du style: tout est extrêmement cohérent, et la forme un peu plus ronde que d’habitude ne vient qu’appuyer cet univers.
b Confort et qualité
La semelle est assez épaisse pour du Blake et les premiers ports ont été un peu douloureux le temps que la chaussure se fasse. Mais il s’agit à présent de vrais chaussons.
Le cuir aniline est mat et bien gras: il était en tout cas assez gras pour tenir 7 mois de négligence extrême et d’aller-retour France-Cambodge quasiment sans broncher, à part les plis d’usure classiques. Je lui ai finalement redonné un coup de jeune en lui appliquant du Renapur le week-end dernier.
J’ai un peu joué avec le feu et je m’estime heureux que le cuir ait été de si bonne qualité pour montrer si peu de signes d’usures avec un port une fois tous les trois jours sur 6 mois et absolument aucun entretien.
c La tenue proposée
SURPRISE: c’est encore la même que celle des trois derniers tests (rassurez-vous, c’est la dernière fois). Une tenue estivale idéale pour les 25 degrés: la ceinture tressée rappelle ici bien la couture exterieur plutôt épaisse des brogues, et le vert sapin colle bien à leur univers Gentleman Farmer.
Ca, c’était avant le Renapur, elles avaient été bien maltraitées.
d Conclusion du test
Note formelle: 5/10 (vraiment pas l’idéal avec un costume)
Note casual: 8/10 (parfait pour le style Gentleman Farmer)
Prise de risque: 6/10 (c’est bien d’avoir des pièces avec un peu de caractère pour les accompagner, mais ça reste facilement portable)
Rapport qualité/prix: 8/10 (et 9 si vous aviez pu les avoir au Ulule)
Univers: Casual chic / Gentleman Farmer
III Le blog Jacques et Demeter: un contenu pointu réalisé par des passionnés
Jacques et Déméter est l’une des rares marques à avoir un blog ultra pointu autant en terme de conseils que de partage du savoir-faire. Maxime mets énormément de coeur à l’ouvrage et ses articles sont extrêmement instructifs, même lorsqu’on connaît déjà bien le sujet.
Tout le contenu est disponible en PDF et une newsletter très instructive est mise en place. Bref, toutes les vraies habitudes d’un bon bloggeur professionnel 🙂
Seul inconvénient: évidemment on y parle pas tu tout des autres marques, donc c’est plus difficile d’avoir une vraie culture générale de la chaussure (mais bon, c’est bien compréhensible).
Petite sélection d’articles:
http://blog.jacquesdemeter.fr/taille-bonne-pointure-chaussures/
http://blog.jacquesdemeter.fr/entretien-des-chaussures-10-erreurs/
http://blog.jacquesdemeter.fr/patin-topy-chaussures/
http://blog.jacquesdemeter.fr/comment-enlever-une-tache-sur-le-cuir-chaussure/
http://blog.jacquesdemeter.fr/pli-aisance-et-ride-cuir-chaussure/