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TEST DES DERBIES BROGUES BOWEN : LE STYLE GENTLEMAN FARMER

Force est de constater que depuis quelques décennies, le cousu Blake et les formes effilées des souliers italiens inspirent (certains diront écrasent) le monde du soulier masculin. Une tendance qui s’est affirmée et cela pour des raisons tout à fait compréhensibles. Ne nous voilons pas la face, le cousu Blake présente l’avantage d’être léger et plus souple que le traditionnel cousu Goodyear, bien qu’il soit plus fragile et moins endurant. Cela n’en reste pas moins un montage pertinent pour quelqu’un évoluant dans un milieu urbain et dont le climat ne cesse de se réchauffer.

Cependant, certaines marques résistent. On parle d’une région en Angleterre, qui fait de la résistance, alors que le reste du monde de la chaussure pour homme semble marcher au pas romain ! Cette région s’appelle Northamptonshire, et pour ceux d’entre vous qui ne sont pas familiers avec l’histoire de la chaussure moderne pour homme, sachez que c’est tout simplement le berceau du soulier masculin moderne, tel qu’on le connaît aujourd’hui depuis le XIXe siècle.

Test des derbies Bowen : Des brogues de caractère made in England

Quelques marques font donc encore de la résistance, quelques marques produisent encore des souliers selon la tradition anglaise, proposant de solides montages Goodyear, dont la réputation d’immortalité n’est plus à prouver (il suffit d’ouvrir l’armoire à souliers de mon beau père pour y trouver certaines paires qui ont plus de 30 ans et qu’il porte encore). Chez Jamais Vulgaire, nous ne sommes pas sectaires, et nous aimons rendre les honneurs à tout un chacun. Ainsi, nous sommes ravis de vous faire (re)découvrir une marque qui s’entête à faire des souliers anglais : Bowen !

D’ailleurs, ce n’est pas la seule marque de la région que nous testons actuellement, nous vous avons également déniché une autre pépite locale historique, qui paraîtra très prochainement sur le blog.

Histoire de Bowen : Un français à Northampton

Comme vous avez pu le lire dans le titre, Bowen est une marque française née dans les années 80, qui a décidé de fabriquer des souliers en Angleterre, en plein cœur d’une région qui est à l’origine de la tradition bottière moderne : Northamptonshire.

Déjà à l’époque de sa création,  les formes et les montages italiens étaient déjà en vogue sur le marché de la chaussure pour homme. C’est donc en toute connaissance de cause que Bowen décide quand même d’opter pour une fabrication et une allure anglaise. C’est à contre-courant de la tendance qu’ils se lancent en choisissant de proposer tout le contraire : un soulier increvable aux formes arrondies. En effet, les années 80 sont également la grande période des délocalisations massives et de l’appauvrissement général de la technicité des produits dans la mode (et dans d’autres secteurs d’ailleurs).  Alors qu’une grande partie du marché délocalise, Bowen préfère démarrer son activité en jouant la carte d’un produit traditionnel intemporel.

Au fur et à mesure des années, les gammes de souliers de Bowen se multiplient. En 1991, le maître bottier Michel Delaunay rejoint la maison franco-anglaise et encourage l’innovation en proposant notamment de nouveaux modèles tels que les derbies one cut. En 2000, ils décident d’ouvrir un atelier en Toscane. Une sorte de pied de nez plutôt amusant car ils y font façonner des souliers en cousu Goodyear ! Un nouvel atelier qui leur permet de proposer de nouveaux souliers bi-matières et des cuirs grainés dans un style beaucoup plus urbain et moins formel.

Sauf que, Bowen ne s’installe pas bien longtemps en Italie, ils décident de revenir aux sources à l’occasion du rachat d’Alfred Sargent (un chausseur anglais réputé du comté de Northampton qui a longtemps réalisé des paires sur demande) par le groupe Manbow (le nouveau nom du groupe Manfield suite au rachat de Bowen)  en 2014. Ils en profitent donc pour revenir à Northampton, accompagnés par l’expertise pointue des ateliers d’Alfred Sargent.

Grâce à ce retour au bercail, Bowen propose de nouveaux souliers, particulièrement solides et destinés à traverser les âges et les intempéries. Des modèles dans lesquels on retrouve une identité anglaise forte et assumée. Aujourd’hui la collection Bowen se divise en deux : D’une part sa gamme formelle de souliers de villes qui est produite à Northampton  (celle que nous testons aujourd’hui), aisément reconnaissable en regardant simplement la semelle à l’intérieure, sur laquelle est écrit « Bowen by Alfred Sargent ». Bowen possède également un autre atelier en Toscane qui produit les modèles plus casual avec les particularités que nous avons énoncés plus haut.

La derby perforée Bowen

Les souliers Bowen proposent un parti-pris stylistique british assumé, que nous avons décidé de mettre à l’épreuve en choisissant un modèle de caractère : la derby perforée. Un modèle d’autant plus pertinent en cette saison d’automne qui arrive et qui marque le retour du froid et des précipitations. Il  fallait donc choisir un modèle iconique du style anglais , une paire avec des perforations, une patine de caractère,  qui respire les balades automnales, la campagne et prête à affronter les intempéries (qui, entre nous, tardent sérieusement à montrer le bout de leur nez). Nous avons donc opté pour le modèle Coventry !

 

Le cuir grainé

Il existe trois manières de traiter le cuir d’un soulier. Soit il s’agit d’un cuir lisse (destiné aux souliers formels puisqu’on cherche alors un grain le plus petit possible, presque invisible à l’œil nu), soit d’un cuir velouté (nubuck/velours), soit d’un cuir grainé, où on cherche au contraire à grossir le grain du cuir pour qu’il soit visible et offre une véritable texture dont le grain est palpable.

Comme pour le cuir lisse, on peut glacer le cuir grainé, mais ça ne conviendrait pas sur ce genre de modèle. On préfère garder l’aspect brut du cuir tel quel, le glaçage se destinant plutôt à un soulier de ville pour un contexte formel (même si c’est tout à fait envisageable sur une paire de bottines à condition que le cuir soit lisse).

On utilise souvent ce genre de cuir sur des souliers destinés à la campagne car le cuir grainé absorbe un peu mieux les chocs et les griffures sont moins visibles que sur un cuir lisse ou un cuir velouté. On peut parfois lire sur les forums que le cuir grainé est plus solide que le cuir lisse. C’est une légende urbaine. En revanche, sur un cuir de qualité moyenne, le cuir grainé présente l’avantage de gommer certains défauts de la peau. Cela étant dit, je ne sais pas si on peut vraiment appeler ça un « avantage » ou un cache misère.

C’est donc un choix particulièrement cohérent sur cette paire de derby, puisqu’elle se destine au style décontracté. Le cuir grainé permet notamment d’obtenir de légères nuances de patines aux extrémités, un effet bienvenu qui permet au soulier de gagner en nuances de marron avec le temps.

Il convient de notifier que le tannage des cuirs est végétal ! Un processus plus long et plus coûteux pour la marque, mais qui fait une réelle différence sur la qualité intrinsèque de la peausserie.

Les perforations

Les perforations, qu’on appelle « brogues » en anglais, sont  littéralement des petits trous dans le cuir qui permettent d’orner le soulier d’un micro motif. Une finition que l’on trouve sur de nombreux modèles de souliers (Richelieu, Bottines, Derbies..) qui habillent en ajoutant une touche de caractère, typique du style décontracté anglais. Il en existe trois sortes :Half-Brogue, Full-Brogue (des Richelieu) et Full Brogue Longwing (sur Derby). Dans le cas présent, il s’agit donc d’une Full Brogue Longwing.

C’est une finition technique : en effet les perforations étaient tout d’abord utiles pour les agriculteurs  et les ouvriers  anglais qui travaillaient en extérieur (le climat local n’étant pas réputé pour sa douceur et son ensoleillement) et avaient besoin de souliers qui évacuent rapidement l’eau et la boue lors de fortes intempéries. D’ailleurs, sur les tous premiers modèles de souliers ornés de perforations, le laçage était situé nettement plus haut et il n’y avait pas de languettes afin d’empêcher la terre et la poussière de s’incruster dans la chaussure.

On note que celles présentes sur notre paire de Bowen sont irrégulières, preuve d’une réalisation artisanale. En effet, aussi affûté puisse être l’artisan, il reste humain et les réalisations ne sont donc pas parfaitement alignées.

 

Les œillets

D’ordinaire, sur une paire de souliers classique, les œillets se font discrets : petits et fondus dans le cuir. C’est tout le contraire ici, Bowen opte pour des œillets larges et affirmés, contrastants et ornés d’une petite boucle de métal ! C’est à travers ce genre de petites finitions qu’une paire prend tout son sens et laisse imaginer le souci du détails qu’une marque peut offrir sur ses souliers, que ce soit en termes de finitions tout comme de cohérence esthétique. Rien n’est laissé au hasard et les moindres détails sont soignés.
. On ne retrouve pas de lacets contrastants et c’est tant mieux. À mes yeux c’est une faute de goût qu’il convient d’éviter. Ce que l’on cherche dans ce genre de modèle, c’est le côté brut et authentique du gentleman farmer, pas de l’excentricité. Plus particulièrement encore lorsqu’on parle de souliers anglais, car si le style anglais devait se résumer en un adjectif, cela serait probablement la sobriété.

 

La semelle gomme

Toujours dans un souci de cohérence et de praticité, il était évident que cette paire de souliers proposerait une semelle gomme plutôt qu’une semelle cuir. Tout d’abord parce  c’est la semelle tout terrain qui résiste à tout et qui est idéale pour affronter les intempéries et la boue. Cependant, il faut noter que c’est moins confortable qu’une semelle en cuir et qu’il faut l’utiliser plusieurs fois pour être complètement à l’aise.

En plus d’être particulièrement solide, cette semelle épaisse est particulièrement pertinente esthétiquement : massive et contrastante, elle est cohérente avec le reste du style brut du soulier.

Conseils de style : Affronter le froid façon gentleman farmer

On a conscience que c’est un modèle et un style particulier et segmentant. Mais chez Jamais Vulgaire nous aimons rendre honneur à chaque grande famille de style qui rend honneur à l’élégance, et le style gentleman farmer en fait indéniablement parti.

Mais c’est quoi au juste le style gentleman farmer ? C’est cette élégance sobre et brut de la campagne anglaise, des pièces aux matières robustes et résistantes (du tweed, du cuir, des cotons cirés…) qui en jettent, avec des textures imposantes au caractère bien trempé (sans mauvais jeu de mots).  Né dans la campagne ouvrière anglaise, le style finit par toucher toutes les strates de la société britannique, notamment les aristocrates qui partent en weekend sportif dans leur domaine écossais. Troquant ainsi leurs oxford noires pour des boots marrons et des vestes à carreaux en tweed.

Le style gentleman farmer se transforme petit à petit et devient ce fameux style « sportswear » classique. Il connaît même un certain regain d’intérêt ces dernières années auprès d’une clientèle exigeante et désireuse de s’offrir des vêtements techniques de qualité, conçus pour affronter les intempéries et les aventures en dehors des centres urbains.

La derby brogue : modèle iconique du style gentleman farmer

Difficilement portable l’été en ville, ce modèle devient en revanche tout à fait pertinent lorsque les températures se mettent à fondre et que la pluie fait son comeback.
Pour nous, une des tenues qui représente plutôt bien ce style est le costume dépareillé. Une veste bleu marine ou grise (idéalement en flanelle ou en tweed), couplée à un pantalon de costume d’un ton différent et hop le tour est joué.

Une tenue bien moins formelle que le costume complet mais qui ne manque pas de charme, surtout lorsqu’on garde la cravate. On fait donc sauter certaines règles du formel  tout en gardant quelques codes de ce registre. On troque donc les souliers noirs pour une paire marron ou bordeaux (il vaut mieux éviter de porter des souliers noirs avec une tenue destinée aux loisirs ou à la campagne), et le costume uni pour une veste de caractère (grise, bleu marine, vert foncé, marron, beige, tout est permis) et un pantalon fondu contrastant (parmi les précédentes couleurs énoncées entre parenthèses ) . On obtient donc une tenue « sportswear » (décontractée) élégante, destinée à être portée le weekend ou bien lors d’un casual friday.

 

Conclusion sur les derby Bowen

On voulait tester la marque Bowen sur un modèle pointu qui sort vraiment de l’ordinaire.  Un modèle racé qui puisse nous démontrer ce que Bowen peut offrir en termes de style et de caractère british. Résultat ? Des finitions propres, une véritable forme arrondie, un cuir et une patine soignée, ainsi qu’une semelle increvable. Pour une fabrication anglaise, le prix est tout à fait convenable : 345€. ! Un prix particulièrement compétitif quand on sait qu’il faut plutôt compter 450-500€ chez d’autres marques anglaises. Bien que la qualité globale du soulier soit un cran au dessous, on parle quand même d’un beau produit réalisé à Northampton avec de belles peausseries et des détails bien soignés.

 

Gustave Uhlig

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