Si je vous dis hors du commun, à quel type de pièce allez vous penser ?
Probablement pas à une chemise blanche, et vous aurez bien raison.
Bourrienne est un peu l’exception qui confirme la règle. Jamais je n’aurais cru avoir tant de choses à dire là dessus, et pourtant la marque possède une foule de détails intéressants.
C’est une marque qu’on suit depuis ses débuts en 2018: nous avons voulu avant de parler d’elle qu’elle arrive à maturité autant en terme de confection que de sizing.
Sommaire
I Bourrienne: une marque de chemises ambitieuse et chargée d’histoire
1 L’hôtel de Bourrienne
Les chemises Bourrienne sont étroitement liées à l’hôtel particulier de Bourrienne, racheté en 2017 par Charles Beigbeder et dont la restauration s’est récemment achevée.
Cet hotel est d’abord habitée par Fortunée Hamelin à partir de 1792: elle en fait un lieu mondain qui voit notamment passer Bonaparte, Madame Tallien, Joséphine de Beauharnais etc. C’est plus tard le secrétaire particulier de Napoléon, Louis Fauvelet de Bourrienne qui rachète l’hôtel et lui donne son nom.
Comme vous vous en douterez la restauration a été un chantier d’envergure, en particulier du fait de ces ornementations:
L’hôtel donne ensuite sur un petit jardin et une ancienne imprimerie. C’est dans cette imprimerie qu’a été crée la police Garamond (quand je vous dis que c’est un lieu chargé d’histoire..)
2 La boutique
La boutique de la marque se situe juste devant cet hôtel, au 58 rue d’Hauteville à Paris: tout y est minimaliste et épuré pour mieux mettre en valeur les particularités de ces chemises blanches.
C’est à partir de cet univers dandy littéraire du début 20e siècle que Cécile Faucheur, la directrice artistique de la marque, puise toute son inspiration pour la création de ses chemises.
3 Le style : une chemise blanche qui se suffit à elle même
À moins d’une texture particulière, je conseille rarement de porter une chemise blanche seule en haut. Le rendu serait un poil austère.
Bourrienne propose de son côté des chemises ultra travaillées, qui se suffisent largement à elle même en termes de style, sans pour autant aller dans l’excentricité (un sacré exercice d’équilibriste donc)
Voici un petit passage en revue des particularités de la marque en termes de finitions.
Les plastrons, la signature de Bourrienne
C’est sûrement la finition qui caractérise le plus l’esprit dandy et habillé de ces chemises, mais qui symbolise aussi tout le temps et le savoir-faire que demandent chacune d’entre elles (ce qui justifie largement le prix).
L’idée de Bourrienne est aussi à travers ce parti pris de banaliser le port du plastron, pour un jour le visualiser « sur une chemise sortie du jean ». De mon côté, je vous déconseille de porter ce genre de détails avec un jean ou un chino classique, je vous donne mes suggestions en fin d’article.
Chez Bourrienne, la Roll’s du plastron est très certainement ce plastron inspiré du 19è siècle plissé en Bretagne et cousu pli par pli qu’on retrouve sur la chemise Comédien: le plissage est réalisé par un artisan plisseur Français (vous l’aurez compris, ce n’est pas une spécialité courante).
Chaque pli est ensuite cousu un par un par l’atelier de Bourrienne: l’étape demande trois couturières pour préparer, coudre et repasser chaque pli.
Le résultat est un véritable travail d’orfèvre qu’on retrouve sur la chemise Comédien (qui est donc vendue à 360€ pour la version popeline, et 440€ pour la version lin):
Les différents poignets
On reviendra plus tard sur le poignet Bourrienne qui fait l’objet de ce test. On vous a sélectionnés quelques poignets remarquables.
Le poignet à languette
On utilisait sur les chemises anciennes des tirettes de plastron, visibles sur la photo de gauche et dissimulées à l’intérieur du pantalon: elles servaient à garder le plastron droit.
Bourrienne s’est inspiré de ce concept pour en faire une tirette de manche dans une boutonnière qui ferme la manche à l’aide du bouton de manchette.
Le poignet mousquetaire revisité
Comme un poignet mousquetaire classique, mais qui se referme avec une languette discrète
Les cols Bourrienne
Outre les traditionnels cols français, italiens et officier, Bourrienne remet au goût du jour le col ancien: il s’agissait de ces cols qu’on pouvait détacher de la base de la chemise pour les laver séparément.
Bourrienne réinterprète aussi le col cassé formel, en retirant simplement les triangles repliés.
Test de la chemise Bourrienne Nocturne
Ce test ayant été réalisé fin Juillet / débût Août, nous avons choisi une chemise Nocturne en lin, qui a été extrêmement agréable à porter grâce à son col léger et au lin respirant.
Les matières
Sur une chemise blanche unie, il est forcément un peu plus difficile de tricher sur la qualité des matières: Bourrienne a donc opté pour des tissus italiens, excepté le lin qui lui est français. On remarque également un gros travail sur les textures avec du seersucker, du jacquard à pois ou encore un cousu ottoman.
J’ai été très agréablement surpris par la qualité du tombé et de la tenue du lin, ce qui est loin d’être simple sur des chemises aussi travaillées.
Les finitions
Les poignets
Ici, ce ne sont pas les plis traditionnels qu’on retrouve sur les chemises formels mais des fronces, comme sur les chemises du début 20è siècle et qui donnent un vrai côté poète à l’ensemble.
L’inspiration de cette patte de boutonnage vient des manches bouffantes d’époque (visibles à gauche) qui venaient se fermer avec une bande boutonnée.
Faire fermer le tout par ce système de patte boutonnée est beaucoup plus technique qu’il n’y paraît et recquiert également une fente à enforme surpiquée (à la place de la patte capucine traditionnelle) dont le rôle est de relier les bords de manière symétrique, pour un rendu harmonieux.
L’inspiration de cette patte de boutonnage vient des manches bouffantes d’époque qui venaient se fermer avec une bande boutonnée.
La patte boutonnée qui referme le tout est la signature de ce modèle écrivain.
On ne s’attend pas forcément à avoir autant de détails sur un poignet de chemise (c’est pour ça qu’elle se suffit à elle-même): il accompagnera parfaitement une accessorisation légère et une montre habillée vintage (vous l’imaginez, ça serait une faute de goût majeure que de porter cette chemise avec une grosse plongeuse).
La confection
Bourrienne était auparavant confectionnée en Tunisie, pour des prix légèrement inférieurs: même si les finitions étaient uniques pour du prêt à porter, le positionnement était délicat pour des chemises blanches à plus de 150 euros.
La confection portugaise a provoqué une augmentation des prix, mais permet un savoir-faire plus poussé et plus à la hauteur des ambitions de la marque avec coutures anglaises et 6 points au centimètre.
Le plastron
Les chemises à plastron sont une des signatures de la marque: évidemment, plus il est travaillé et plus il va être compliqué à porter.
Tout est question d’équilibre sur ce genre de pièces et on a déjà une belle originalité au niveau du poignet: il fallait donc un plastron un peu plus sobre. A la place d’avoir un plastron compliqué, on a juste ici un joli contraste de matière.
Le col
Il s’agit ici d’un petit col mao ce qui était extrêmement agréable, en particulier sur une chemise en coton et lin. Attention, ce type de col n’est cependant pas idéal si vous avez un cou un peu long.
Les conseils de style
On arrive au deuxième volet un peu crucial de ce test: c’est bien beau d’avoir une chemise d’écrivain du début 19-20è siècle, mais comment la porter sans avoir une tenue complètement déconnectée de la réalité ?
J’aurais eu bien du mal à vous répondre à la création de la marque en 2018: les lookbooks proposés avaient un sacré caractère, mais personne ne pouvait s’imaginer habillé ainsi dans la rue.
Mais comme vous le savez, la mode est cyclique et la garde-robe de 2020 permet, paradoxalement, d’intégrer bien plus facilement cette chemise dans une tenue qu’en 2018.
Pourquoi ? Pour moi en grande partie grâce à l’émergence des pantalons habillés qui ont changé les moeurs sur deux aspects d’un vêtement:
– les finitions: on s’habitude de plus en plus aux pantalons sans passants de ceintures, avec à la place des ajusteurs latéraux ou de larges ceintures deux boutons décalées ou carrément la double ceinture des gurkhas.
– la coupe et les volumes: qui dit pantalon à pinces dit plus de volume au niveau de la cuisse, et une véritable amplitude qui fait sortir de la coupe traditionnelle semi-slim, et qui donne de fluidité au tissu en mouvement
Ces pantalons habillés contribuent actuellement beaucoup à redéfinir notre vision de la silhouette, et à la rendre plus en adéquation avec ce qu’elle pouvait être au 19è et début 20è siècle.
Et du coup, ils sont le compagnon parfait de ces chemises qui, elles aussi, jouent énormément sur la silhouette et proposent de nombreuses finitions remarquables.
J’aurais eu du mal à vous conseiller de porter ces chemises avec un chino ou un jean semi-slim, ou avec un pantalon de costume classique: tout ça aurait été complètement insipide à côté de ce genre de chemise.
Pour les chaussures, c’est pareil: on essaie d’opter pour une paire habillée et avec du caractère. J’ai choisi ici les richelieu brogues Patine que j’avais testées récemment.
Mais on peut également imaginer porter des jodhpur ou des chelsea.
J’éviterais bien entendu tout ce qui est style Gentleman Farmer et workwear (pas assez habillé), sneakers et streetwear (il serait possible mais pas évident de faire quelque chose d’intéressant avec des sneakers blanche basse) et richelieu noires bout droit (trop austère et connoté bureau).
L’accessorisation
Le travail sur les poignets autorise toutefois quelques bracelets discrets (comme ceux qu’on peut trouver chez Le Gramme par exemple).
En haut, on peut opter pour des lunettes de soleil ou un chapeau: je porte ici des lunettes de soleil en intérieur évidemment pour styliser davantage le shooting, ce qui n’est pas forcément de bon goût dans la vraie vie.
Et ce qu’on peut porter par dessus ?
A l’heure où j’ai écris l’article, je n’ai testé la chemise dans une tenue estivale, qu’avec le pantalon Gurkha Blandin&Delloye. J’ai cependant à l’occasion du shooting prêté ma chemise à une des photographes, Pauline, qui a pu l’intégrer dans sa tenue, avec un complet trois pièces Blandin&Delloye.
Je pourrai a priori faire le même constat pour homme mais on voit bien ici qu’un beau gilet croisé permet une très belle association.
Ce gilet intervient ici de manière détournée, et pas de manière classique, comme un gilet de costume avec une veste.
En effet superposition avec la veste m’a moins convaincue: elle est plus formelle et appelle davantage à la présence d’un col classique avec une cravate. Je conseillerais du coup de dépareiller veste et gilet pour casser cet effet.
Le mieux dans ce cas là est de rechercher un effet « Peaky Blinder »: je n’aime pas vraiment utiliser cette référence car c’est souvent galvaudé et mal exécuté, on vous donne cependant quelques pistes dans cet article.
On peut cependant tenter ce genre de style avec un gilet de costume porté en dépareillé, et la chemise deux boutons ouvert, un peu de cette manière:
Conclusion sur la chemise Nocturne
Alors forcément à 250 euros la chemise, on comprend bien que vous ne serez pas très nombreux à sauter le pas. Et on vous déconseille d’ailleurs de le faire si le reste de votre garde-robe ne suit pas pour le moment.
Cet article a surtout pour but de vous faire découvrir d’autres perspectives en termes de styles, de finitions et de volumes. Et aussi de vous montrer que ce genre de pièce que j’aurais trouvée très difficile à porter peut à présent bien s’intégrer dans un vestiaire un peu pointu.
Malgré le prix élevé, Bourrienne n’a en tout cas pas à rougir face à la concurrence au vu de l’originalité et de la technicité des détails proposés (on pense en particulier au plastron plissé réalisé en Bretagne): le tout servi par une confection portugaise et un tissu italien (et français pour le lin).
On est sur un véritable produit de luxe, avec une esthétique et une créativité qu’on ne retrouve pas ailleurs, ou alors pour beaucoup plus cher, chez des marques qui défilent (et sans forcément la même qualité de confection derrière)
La chemise Nocturne est disponible ici à 250 euros (pour sa version lin)