FashionTech, les enjeux du progrès dans le domaine de la mode
Disclaimer: Je laisse aujourd’hui la parole à Fabrice, le fondateur premier magazine et site dédié à la FashionTech, Modelab. Il dresse ici un état des lieu de ce qui a pu se faire dans le domaine ces dernières années, aussi bien en matière de progrès technologiques que d’habitudes de consommation. Bonne lecture !
Avec l’arrivée du digital, nous assistons à une modification de l’écosystème mode de manière assez brutale. Celui-ci se trouve bousculé dans ses fondements.
Au niveau produit, le vêtement et les accessoires commencent à intégrer de l’électronique. L’Apple Watch est symptomatique de ce rapprochement entre la Silicon Valley et le secteur de la mode.
Concernant le retail, les ventes en magasin physique s’effondrent tandis que les ventes sur le net explosent. Alors que la révolution mobile, dite M-Mobile, semble déjà à des années lumières. Le See now buy now vient juste de déferler sur les catwalks.
(crédits photo: Eco-os)
Bref, le secteur mode dans son ensemble subit un chamboulement sans précédent.
Auparavant, l’innovation prenait des décennies. Aujourd’hui, en quelques années, de nouvelles tendances apparaissent ou disparaissent. Blackberry, concurrent principal d’Apple et de Samsung sur le téléphone, vient d’annoncer la fin de son fameux mobile. Au niveau mode, le site Chic-Type qui permettait de recevoir des box de vêtements a déposé le bilan après 4 ans d’existence.
Aujourd’hui, la mode est confrontée à un défi majeur : celui de sa mutation. C’est ce qu’on appelle la Fashiontech.
LA FASHIONTECH MAIS AU FAIT C’EST QUOI EXACTEMENT ?
Toute définition par essence s’avère restrictive et excluante, donc forcément, je vais faire des malheureux.
Le problème du secteur de la mode, c’est que par rapport à d’autres activités, il concerne principalement l’habillement et donc le tissu. Aujourd’hui, il est plutôt assez facile de faire rentrer de l’électronique dans une voiture ou dans du mobilier, car ceux-ci sont constitués de matériaux durs tandis que le textile est pour sa part souple, donc flexible et extensible.
Cette électronique a besoin d’énergie, et intégrer une batterie dans un tee-shirt relève d’une vraie gageure (pour l’instant). Je ne vous parle pas du lavage d’un vêtement bourré de fils électronique ou d’encre pouvant conduire de l’électricité… Bien évidemment, vous n’avez jamais essayé de laver votre iPhone et vous avez plutôt raison 😉
Bref, l’univers Fashiontech a pris du retard dans l’intégration de l’électronique dans le vêtement, mais pour de bonnes raisons.
Finalement digitaliser une voiture ou une montre, c’est plus que facile. Et les premiers objets connectés viennent de secteurs déjà hautement touchés par l’électronique.
L’INTÉGRATION DE L’ÉLECTRONIQUE, UN ENJEU MAJEUR
Un centre de recherche aussi connu que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA de Grenoble) a essaimé une start-up : Primo1D. Elle a développé une puce intégrée directement dans un fil (et donc invisible à l’œil nu), qui émet un signal, grâce à une technologie de radio-identification appelé RFID. En terme d’usage, cela veut dire que vous pouvez connaître, en temps réel, votre stock dans un magasin ou sur un chaîne d’approvisionnement.
Mais cela a d’autres implications, notamment en termes de Big Data. Si votre vêtement produit une donnée cela veut dire également que vous êtes géolocalisable et que donc à tout moment, on peut savoir où vous vous trouvez. Ainsi, pour les marques, c’est un avantage considérable. En effet, imaginez que vous vous baladiez en ville et que vous passiez à côté d’un magasin qui solde à plus de 50 % un produit que vous avez déjà remarqué lors d’une navigation sur le web, vous allez alors recevoir une notification sur votre iPhone.
En revanche, l’autre interrogation vient du fait que peut-être vous ne souhaitez pas recevoir ce type de notification, ou tout simplement qu’on trace vos déplacements. Bizarrement, lorsque vous naviguez sur Internet via Mozilla ou Internet Explorer, on peut récupérer l’ensemble de notre navigation…
Cela vous rappelle quelque chose. Ce qui existe sur le web, existera également dans le monde physique, via, bien évidemment, vos vêtements connectés, et aujourd’hui grâce à votre smartphone.
Certains d’entre vous me parleront de navigation privée (c’est quand vous indiquez à votre navigateur que vous ne souhaitez pas qu’on se souvienne de vous) et ils auront raison. Simplement, combien d’entre vous l’utilisez réellement ?
TRADITION OU MODERNITÉ : LA FASHION TECH C’EST UN PEU DES DEUX 😉
Présent lors du Consumer Electronic Show de Las Vegas en 2015 (CES), the place to be pour l’électronique, Oombrella a eu la bonne idée de réaliser un parapluie connecté.
Relié à une application qui envoie des notifications pour vous avertir en cas de pluie qui vous permet ainsi d’anticiper son usage. En outre, une puce intégrée permet de le géolocaliser plus que facilement et donc ne pas l’oublier.
Au-delà de l’aspect technique son design qui semble directement inspiré d’un manga attire le regard. Dès que je prends le métro avec lui, je suis certain que dans les 10 minutes quelqu’un va me demander où je l’ai trouvé : succès garanti. Des couleurs plus passe-partout sont aussi disponibles.
En termes d’usage, Oombrella se rapproche de Primo1D. Simplement, la différence se situe au niveau de la visibilité. Ainsi, notre fil connecté est complètement invisible tandis qu’Oombrella grâce à un design catchy permet de susciter l’intérêt et les interactions. Néanmoins, on peut se demander si aujourd’hui, un vêtement fashiontech doit obligatoirement avoir un design futuriste pour justement attirer le regard.
Nos amis de DeRigueur ont justement réalisé le choix opposé. En partant d’une pochette en cuir fin pour iPhone, ils ont intégré en son sein de l’électronique qui permet de recharger son portable.
Ainsi, nous assistons à deux tendances au cœur de la Fashiontech. D’un côté, l’intégration d’une technologie avec son corolaire un design branché et/ou futuriste. D’un autre côté, le mixage entre d’un côté la tradition et de l’autre l’intégration de composantes électroniques.
Maison Du Puy de Lome est enfin la seule marque Fashiontech de vêtement, qui propose des costumes confectionnés en France, basés sur un système de morphotypes (avec une approche différente de celle de Morph par exemple).
De mon point de vue, je suis moins sensible à l’effet Waouh car il est basé sur l’instant et donc par définition éphémère tandis que la qualité qui s’avère souvent associée à la tradition résiste et s’inscrit dans le temps.
LA SILICONISATION DU MONDE OU COMMENT LA MODE S’UBERISE
Il n’est pas étonnant de voir que les réelles innovations viennent de Californie, on parle ainsi de siliconisation du monde. Airbnb a disrupté l’industrie de l’hôtellerie tandis qu’Uber est en train de dynamiter celui des taxis.
Ces modèles similaires sont basés sur une application web qui ressence pour Airbnb des logements de particuliers vaquant et pour Uber des véhicules individuels pouvant transporter des personnes sur des distances courtes. Le point commun entre ces modèles consiste sur le fait qu’ils n’ont pas de stocks. En d’autres termes, ils ne possèdent pas les bâtiments ni les voitures. Ils sont justes une plateforme d’intermédiation. Ainsi, ils ont réussi à déplacer le risque chez le possesseur du bien ou du véhicule. De manières légitimes, nous voyons des chauffeurs d’Uber manifester afin de revendiquer les mêmes droits que les salariés. Malheureusement, cette uberisation s’accompagne également de la création d’emplois certes mais extrêmement précaires.
Amazon est aussi basé sur ce même modèle, 70 % de son chiffre d’affaires est réalisé comme une place de marché. Les produits appartiennent à ses sous-traitants qui ont des cartons Amazon pour envoyer les commandes.
Le problème de ce type de modèle vient du fait qu’il créé de la valeur uniquement pour la plate-forme et que le créateur mode, quant à lui, se retrouve fort démuni, car il doit assurer la production et l’achat de matière pour réaliser des produits qu’il n’est pas sûr de vendre.
LE SEE NOW BUY OU LA TYRANNIE DE L’INSTANTANÉITÉ
La Fashiontech ne concerne pas seulement le vêtement ou les accessoires, mais également la manière d’acheter et donc de produire ainsi que bien évidemment notre rapport aux marques.
Lors de la Fashionweek, la marque anglaise Burberry a lancé une nouvelle manière de consommer : le See now buy now. Traditionnellement, lorsque vous assistiez à un défilé, il fallait attendre 6 mois pour recevoir son vêtement. Cela était dû au temps d’achat des matières premières et de leur transformation en produits finis (vêtements ou accessoires). Tandis qu’aujourd’hui avec le See now buy now vous pouvez le commander directement et le recevoir quelques jours plus tard.
Cela implique une production de plus en plus rapide et donc une gestion des achats de matières premières très fines. De manières pragmatiques, la marque anglaise essaye surtout de créer un coup médiatique, déjà fort bien réussi, car les autres enseignes qui veulent s’aventurer sur le chemin du See Now Buy Now devront avoir une gestion de production plus qu’efficiente au risque de sur stock et donc d’invendus.
Cette nouvelle manière de répondre quasiment en direct aux attentes du consommateur marque un tournant dans le secteur de la mode. En effet, grâce au numérique dont les réseaux sociaux sont le marqueur le plus emblématique, on a assisté à une révolution du lien entre les marques et les consommateurs. Le temps d’achat et de distribution a quasiment été réduit à zéro notamment à cause des produits dématérialisés. Lorsque vous regardez un film sur Netflix ou écoutez un single sur Spotify, c’est immédiat.
Le but des marques de mode devient alors de réduire au maximum le temps d’attente et de tendre vers le temps zéro des produits immatériels qui est devenu est un standard.
À Paris, Zalando, le fameux vendeur de chaussure, a créé un partenariat avec la start-up Stuart qui permet à un coursier de venir chez vous récupérer des vêtements qui ne conviennent pas.
Ce type de partenariat entre les grands groupes et le start-ups sera une des grandes tendances des années à venir car ils permettront de tester de nouvelles offres à moindre coût et partager les risques.
LE SHOWROOM À LA PLACE DU RETAIL PHYSIQUE
Cette course à l’immédiateté modifie notre manière de consommer et le magasin physique a perdu de son pouvoir d’attraction face à la profusion d’offres sur le net. Afin de retrouver sa grandeur, et surtout sa valeur, celui-ci devient de plus en plus un showroom et/ou un pop-store.
La marque Bonobo par exemple a lancé un magasin, à New-York sur la 5ième avenue, qui a pour objet uniquement de présenter ses produits, et qui n’a qu’un seul exemplaire de taille. Une fois l’achat effectué, vous pouvez revenir le lendemain pour le récupérer, ou vous faire livrer chez vous.
Le pop-store répond également aux préoccupations de la génération millénnials qui veut une expérience basée sur le moment. Avec l’ouverture d’un magasin pendant une durée courte, les marques créent un sentiment d’urgence chez leurs clients. Et surtout, elles poussent à l’exclusivité. En effet, généralement celui-ci est associé à un lancement produit donc un double effet qui produit une double envie.
LE CONSOMMATEUR AU CŒUR DE LA FASHIONTECH
Avec le digital, nous avons également assisté à un déplacement du savoir et donc du sachant (celui qui sait). En effet, avant le Net, lorsque vous alliez en boutique le vendeur vous expliquait la fabrication du vêtement ainsi que son histoire. Aujourd’hui, tout cela a bien changé. Vous pouvez trouver l’ensemble des connaissances techniques ou historiques sur un produit en surfant sur le web et en plus, vous pouvez l’acheter au meilleur prix. Ainsi, vous êtes plus informés, et le vendeur se trouve dans une position asymétrique. Il n’a pas toujours la connaissance que vous avez acquise suite à vos recherches.
Des marques ont tenté de résoudre ce problème, notamment en fournissant des tablettes aux vendeurs afin qu’ils aient accès au même niveau d’information que vous en temps réel. Comme d’habitude Burberry a été précurseur dans ce domaine avec son Flagship à Londres.
LA FASHIONTECH OU LE SOUÇI DE LA TRANSPARENCE
De l’autre côté de l’Atlantique, la marque américaine Everlane, à la base un pure-player (c’est-à-dire qui vend uniquement sur le net) a su construire son succès sur la notion de transparence. En d’autres termes, elle a su expliquer au consommateur/client toute sa démarche et son processus de fabrication comme argument de vente. En ayant un rapport direct avec son client (elle est à la fois productrice et distributrice) elle a su également réduire ses marges et proposer un produit hyper-compétitif au juste prix.
Maintenant, nous assistons à un mouvement antagoniste au Fast Fashion (des vêtements à bas coût réalisés à toute vitesse, notamment par H&M ou Zara) qui se nomme bien évidemment Slow Fashion. En d’autres termes, le net a permis d’éduquer le consommateur notamment grâce à des blogs comme Jamais Vulgaire. Et a permis de réfléchir à la justesse des prix.
Avec cette redistribution des cartes, les marques ont dû se réadapter et surtout apporter une valeur nouvelle, celle de la transparence.
Le grand enjeu des marques de mode dans les années à venir sera de dépasser le cadre de la mode et d’impliquer leur démarche dans un sens collectif. Mon ami Régis Debray parlerait alors de transcendance.
LA FASHIONTECH OU LA CONSCIENCE DU GREEN EN EXERGUE
Dans ce sens-là, le développement durable et le respect de la planète deviendront des pierres angulaires des créations de marques.
Je vous rappelle que l’industrie de la mode est la seconde industrie la plus polluante du monde. Les rapports de Greenpeace sont, dans un sens, édifiant. La production de vêtement a plus que doublé en plus de 10 ans. Face à cette frénésie d’offre, il existe également un autre coupable : le consommateur.
Dire que j’ai envie d’acheter des vêtements non produits par des enfants et dont la teinture ne serait pas toxique est une lapalissade, mais concrètement comment fait-on ?
Patagonia, lors du dernier black Friday, a annoncé qu’il reverserait l’ensemble de son chiffre d’affaires de la journée à une ONG qui défend la préservation de la planète. Elle estimait qu’elle réaliserait 2 millions et finalement, elle a réussi à atteindre les 10 millions.
L’opération Black Friday de Patagonia
Avec cette stratégie, la marque sportive se positionne comme un défenseur de la planète et ses consommateurs se caractérisent comme des militants. Acheter se transforme en acte citoyen de défense de la planète.
CONCLUSION
La Fashiontech ne se limite pas à imaginer le futur de la mode: il commence maintenant notamment dans notre rapport d’achat aux marques.
L’industrie de la mode a depuis trop longtemps abusé d’un système ou le marketing a dépassé le produit d’où une perte de valeur et de repères.
Quel est le prix juste d’un vêtement ?
De manière très simple, grâce au digital, le consommateur s’invite au centre du processus de production et donc de consommation. Il a un rapport direct avec les marques via notamment les réseaux sociaux et devient surinformé. En d’autres termes, il devient hyper-exigeant et volatile.
Pour arriver à créer une relation sur le long terme et donc de confiance, les marques doivent s’engager dans un rapport de personnalisation poussé à l’extrême. Nicolas Colin l’a parfaitement défini par son terme de multitude, s’adresser à tous de manière individualisée.