Mon meilleur conseil pour mieux vous habiller ? (et aussi le plus pénible à suivre)
C’est sûrement avoir une excellente connaissance de l’histoire des vêtements, et du contexte dans lequel ils ont été crée. C’est grâce à ces connaissances que vous pouvez marier des vêtements de manière cohérente, et parvenir à composer une tenue adaptée à un registre.
Simple exemple: un ceinturage gurkha n’aurait rien à faire dans une tenue Black Tie. Pourquoi ? Car c’est un ceinturage en fait très utilitaire, apparu dans un environnement militaire (il était porté par les colons britanniques). Cela n’a donc rien à faire dans un cadre habillé, où chaque élément de votre tenue se doit d’être tout sauf fonctionnel.
Difficile par contre de savoir ça si vous ne connaissez pas à la fois l’histoire du gurkha, et aussi tous les codes à suivre sur le Black Tie. Pour avoir ces notions, vous pouvez notamment lire JamaisVulgaire, ou d’autres références (très) scolaires comme Dressing The Man d’Alan Flusser ou Gentleman de Bernard Roetzel
Ces deux derniers ouvrages en particuliers ne sont pas foncièrement digestes mais restent indispensables pour construire une base solide.
Une fois que vous aurez ces bases, vous pourrez profiter d’une littérature un peu plus légère voire facétieuse réalisée par des experts contemporains. Et je voulais justement vous parler de l’ouvrage « Du Monocle et autres accessoires disparus » de mon ami Massimiliano Mocchia di Coggiola.
Le concept ? Il y recense dix accessoires portés auparavant par les hommes et aujourd’hui disparus, sinon délaissés avec entre autres faux-col, chapeau melon, guêtres etc.
Si cela peut paraître simpliste au premier abord, c’est en réalité un habile prétexte pour analyser avec finesse et humour les mutations sociologiques qui ont tristement amené l’homme d’un vestiaire nuancé et d’une richesse rare à un jean t-shirts baskets invisible parfois remplacé pour les (très) grandes occasions par un costume bleu marine mal coupé aux revers anorexiques.
Avant de revenir plus en détails sur le contenu du livre, il me paraît indispensable de vous présenter Massimiliano, probablement un des derniers vrais dandys parisiens, son univers décalé et pourquoi selon moi c’était le mieux placé pour écrire ce livre.
Sommaire
I Massimiliano Mocchia di Coggiola: le dandy pluridisciplinaire
Originaire de Turin dans laquelle il étudie la muséologie et la critique d’art, Massimiliano s’installe à Paris en 2007. Ce qui le distingue de nos contemporains, c’est de n’avoir jamais choisi entre l’écriture et la peinture ce qui lui permet , en plus d’illustrer très facilement ses propos, d’avoir une vision complète, aussi bien esthétique que figurative, de son sujet de prédilection: le dandysme.
Difficile de résumer Massimiliano en quelques centaines de mot: la préface le présente comme écrivain, illustrateur et styliste. Le plus simple est que j’approfondisse chacune de ces trois facettes, qui gravitent dans tous les cas toutes autour du dandysme.
Le styliste
Si vous avez suivi les derniers articles, vous vous souvenez sûrement que Massimiliano est l’un des deux frères de la maison de tailleurs Fratelli Mocchia di Coggiola dont nous avions testé un très beau smoking MTM en Avril dernier.
Il s’y occupe aux côtés de Francesco du stylisme et habille notamment le fameux groupe La Femme depuis 2013. Le clip « Mon ami » est un excellent exemple: Massimiliano y a peint le décor et les motifs des chemises. La patte est aussi clairement visible dans Amour dans le motu, Hypsoline ou encore Sphynx.
L’écrivain
Historien de la mode est sûrement ce qui peut définir le plus fidèlement et académiquement Massimiliano. Avec « Du Monocle », il est en effet loin d’en être à son coup d’essai avec déjà plusieurs ouvrages à son actif: la plupart en italiens et certains en français
On peut notamment évoquer:
Dandysmes: un bref traité sur le dandy tel qu’on le connaît à travers les définitions contemporaines, les différents types de dandys (avec une partie sur le « e-dandy » que je suis bien curieux de lire, de même pour la notion de « Gagà » jamais abordée ailleurs en France) avant d’aborder en deuxième partie des personnages et mouvements icôniques du dandysme (Jacques de Bascher et la sprezzatura par exemple).
Si vous lisez l’italien et que vous allez plus loin vous pourrez également vous plonger dans Il Dandy et Il Gagà:
En plus de ces ouvrages, il intervient à travers des articles et illustrations dans des magazines de référence comme Dandy Magazine, Monsieur, Arbiter ou encore Stilemaschile (et aussi JamaisVulgaire à travers l’article sur le dress code Black Tie)
L’illustrateur
Les illustrations de Massimiliano peuvent se retrouver d’abord pour illustrer son propre propos, car peu sont aussi compétents pour représenter fidèlement les subtilités d’une élégance dandy.
Il peut également ponctuellement la mettre au service d’établissements parisiens, comme l’Alcazar:
Mais on pourra également retrouver certaines de ses oeuvres simplement dans la rue (ce qui va bien avec notre époque vu qu’être bien habillé semble être devenu une forme d’anti-conformisme):
Là où il parvient à exploiter avec brio ce talent, c’est surtout à travers les chemises, doublures et pochettes en twill de soie réalisées chez Fratelli Mocchia di Coggiola. Les doublures en particulier méritant un article dédié, nous y reviendrons plus tard.
Après cette présentation, j’espère que vous êtes aussi convaincu que moi que s’il y a quelqu’un capable de se lancer dans ce livre, c’est bien lui.
II 🧐 Du Monocle: un regard insolite et décalé sur le dandysme
J’ai mis un peu de temps à publier cet article car je suis loin d’être un critique littéraire: l’idée ici sera plutôt de mettre en avant ce qui m’a plu dans ce livre, en essayant de ne pas trop vous spoiler. Voici une brève introduction à cet ouvrage de 110 pages (hors intros etc) qui peut se lire quasiment d’une traite mais qui regorge d’ancedotes piquantes.
Chaque présentation de vêtement obéit à une dynamique bien particulière: raisons de la disparition, invention, conseils de style et bien entendu fautes de goût. Gardez à l’esprit que ce livre est avant tout une manière ludique d’enrichir votre culture sartoriale, mais certainement pas un guide pratique de style.
Les coulisses de l’histoire
Ce concept de livre n’aurait que peu d’intérêt s’il s’agissait de reprendre factuellement l’histoire de chaque pièce, de manière formelle et ennuyeuse. Massimiliano distille donc des anecdotes un peu plus impactantes et mémorables sur chacun des objets, par exemple la canne et celle de Beau Brumell:
« La canne de Brumell était en bois rose avec la pomme en forme de main, en ivoire, tenant une petite longue vue: le Beau était mondain et il aimait les potins »
Ou encore le monocle et sa symbolique dans les soirées lesbiennes des années 20, avec au passage la riche histoire de la boîte de nuit parisienne Chez Moune:
« Comment ne pas citer Le Monocle, boîte de nuit pour femmes qui aiment les femmes (…) il changea de nom et de décor pour devenir Chez Moune. Emblème d’une sorte de masculinité, certaines femmes en furent attirées afin de ne plus laisser de doutes sur leur inclinaisons« .
Les illustrations
Chaque chapitre compte d’ailleurs une illustration réalisée par Massimiliano, voici par exemple ce qu’on peut trouver pour l’habit de soirée (le frac) à droite, le monocle au milieu et les guêtres à gauche.
Les règles de bon goût implicites
Si Massimiliano avait un talent, ça serait de vous expliquer en quelques mots des règles de bon goût et de bienséance implicites propres à certains milieux et qu’on ne retrouvera pratiquement jamais écrites noires sur blanc.
Cette citation sur l’habit (comprendre le frac) en est un excellent exemple: « L’habit est donc le plus formel des vêtements du soir, et ceci fait de lui une arme à double tranchant. Il anoblit une soirée, lorsque dans cette soirée on compte plusieurs hommes en frac; mais il ridiculise l’homme qui le porte, si tout le monde est juste en costume sombre ».
Le rapport au style à l’étranger
Comprendre le rapport aux vêtements dans les autres pays et en apprécier les singularités est aussi crucial pour son apprentissage et ne pas se retrouver à singer un style que l’on a aperçu en vacances, ou sur Instagram sans le comprendre. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Massimiliano a vu du pays (le terme le plus exact serait well-travelled, qui n’a malheureusement pas de véritable équivalent français) et saura vous faire profiter de sa riche expérience à travers quelques punchlines bien placées.:
« Albion n’est pas une référence de ce que l’on fait encore, mais une sorte de réserve indienne, de musée de l’élégance masculine, le signe que si on fait encore quelque chose là-bas, ça signifie qu’on ne le fait plus nulle part ailleurs »
Conclusion
Vous l’aurez compris, tout comme Massimiliano n’est pas un auteur comme les autres Du Monocle n’est pas un ouvrage de style masculin comme les autres: il n’a pas d’équivalent à ce jour pour relier à des accessoires et faits pointus sur le dandysme des anecdotes insolites, cocasses et décalées qui rendent le livre léger, drôle et abordable.
Il s’adresse ainsi aussi bien aux plus pointus d’entre vous qui souhaiteraient approfondir avec facilité leurs connaissances (sans avoir besoin de se plonger dans un livre plus technique mais potentiellement plus terre à terre et ennuyeux) qu’aux parfaits néophytes de l’art sartorial et du style de vie dandy pour qui ce style subversif et ces anecdotes insolites pourront être la meilleure des pédagogies.
Le livre Du Monocle est disponible ici à 16,5€