Chez JamaisVulgaire, on vous le répète: on adore les marques d’usine, celles qui maîtrisent leurs propres appareils de production, qui sont le plus souvent centenaires et qui ont une vraie histoire à raconter.
On vous avait notamment parlé en France de Vetra et de le Glazik, et en horlogerie de maisons comme Timex ou encore Orient: nous n’avions en revanche pas encore eu l’occasion de nous intéresser à des maisons horlogères françaises.
Alors il nous fallait trouver un candidat icônique pour ça: avec Yema, nous n’avons pas été déçus.
Les montres Yema sont les premières montres françaises à
– avoir été envoyée dans l’espace
– à aller sous les 300 mètres de profondeur
– à être utilisées pour une expédition au Pôle Nord
Bref, une marque riche d’histoire comme on les aime, mais qui sait aussi s’adapter aux nouveaux modèles en renouvelant intelligemment ses références en pré-commande.
C’est justement l’objet de ce test: on va vous parler de la Speedgraf, qui sort demain.
Sommaire
I YEMA: L’HORLOGERIE FRANCAISE DES PIONNIERS
Yema est fondée en 1948 par Henry Louis Belmont, sorti major en 1931 de l’Ecole Nationale d’Horlogerie de Besançon. Il se différencie notamment en innovant dans l’automatisation de la production horlogère.
Le développement
Trois ingrédients font le succès de la marque: innovation, fiabilité et capacité à se grandir (ou à scaler, comme on dirait dans la start-up nation)
Innovation: Yema propose les premiers chronomètres automatiques entièrement fabriqués en France
Fiabilité: la montre antichoc est crée en 1950, et dès 1959 Yema insiste dans ses campagne publicitaires « Exactitude précision » sur la robustesse et technicité de ses montres.
La fameuse montre antichoc, une superbe esthétique pour une montre de ville. J’adorerais en tout cas en voir une réédition. (Photo par William Germain sur @ledoublv)
Fiabilité et sécurité (grâce à la butée-frein, signature de la montre Superman) mises en avant dans cette publicité
Croissance: Yema s’équipe très vite d’une véritable chaîne de production avec lignes d’assemblage de mouvement et bureaux d’études. Les volumes remarquables à l’exportation lui permettent d’ailleurs d’obtenir un Oscar de l’exportation en 1958.
La stratégie
La stratégie de la marque est claire: se spécialiser dans les montres techniques, destinées à des univers très exigeants. Ainsi la Superman sortie en 1963 équipe rapidement les pilotes de l’armée de l’air française, la Rallygraf les pilotes de course et la Yachtingraf se destine aux sports de voile.
Cette stratégie est payante et Yema devient rapidement le plus gros exportateur français de montres trois années de suite (devant d’autres géants de Besançon comme LIP): c’est plus de 500000 montres qui étaient alors vendues dans une cinquantaine de pays.
De cette âge d’or subsistent de nombreuses montres vintage que s’arrachent les collectionneurs, ainsi qu’une énorme communauté d’aficionados: c’est notamment au contact d’une Superman vintage que William Germain, l’actuel brand manager, s’est passionné pour la marque.
La concurrence des montres à quartz asiatique en 1970 entrave sérieusement cette prospérité et la marque est rachetée plusieurs fois entre 1988 et 2003: d’abord vendue par John Henry Belmont Jr à Matra, puis par Matra au groupe Hattori (Seiko), et au groupe Ambre en 2009.
Pour simplifier mais vous donner aussi une idée de ce déclin, voici les chiffres que j’ai pu obtenir:
– en 1982: 2 millions de montres produits par an
– en 1991: 200000 montres vendues
– en 2000: 100000 montres vendues
– en 2005: un objectif de vente à 50000 montres
Le groupe Ambre
Difficile de parler du nouveau visage de Yema sans évoquer le groupe Ambre: crée en 1965 à Morteau (près de Besançon et de la Chaux de Fonds) par M et Mme Bôle, l’entreprise fabrique au départ des montres pour d’autres marques. Elle compte près de 300 employeurs au plus fort de son développement.
Elle est à présent gérée par Christopher Bôle, le petit fils des fondateurs: en plus du rachat de Yema en 2009, le groupe a aussi racheté Yonger&Bresson en 1990.
Ambre est une des dernières entreprises françaises qu’on peut qualifier de groupe horloger: c’est à dire qui possède son atelier et qui emploie ses horlogers.
Le Made in France
Le groupe prends donc le Made in France très au sérieux. L’assemblage se fait à Morteau, dans le Doubs et on cherche dans une montre à avoir le plus de pièces françaises possibles (sauf si elles n’y sont pas tout fabriquées, auquel cas il faut aller en Suisse ou au Japon).
Morteau est comme vous le voyez très avantageusement situé entre Besançon et La Chaux-de-Fonds.
Ligne Héritage et reconquête du marché
A l’arrivée de William en 2017, Yema propose des montres à quartz entre 280 et 450 euros, et quelques modèles automatiques jusqu’à 750 euros. Bref, un positionnement intermédiaire qui était loin de faire honneur à l’héritage extrêmement riche de la marque, et aux produits de pointe qu’elle avait développé à ses débuts.
Afin de remettre en avant cette histoire, William retrouve en Asie, en Europe et aux Etats-Unis de multiples groupes de collectionneurs Yema, friands des modèles les plus pointus.
Ces modèles se distinguaient justement dans les univers techniques ultra exigeants en terme d’horlogerie: la course, la plongée, la voile, l’aviation et l’exploration spatiale.
C’est la Speedgraf que nous allons aborder aujourd’hui, un bel exemple de ré-édition, développé avec la communauté.
II TEST DE LA SPEEDGRAF, LE CHRONOGRAPHE ACCESSIBLE DE YEMA, DEVELOPPE AVEC LA COMMUNAUTE
Si la Rallygraf est la montre des sports automobiles, alors comment se positionne la Speedgraf ? La Speedgraf est en fait sortie avant la Rallygraf, dans les années 60: elle n’avait pas de nom à proprement parler mais les fans la surnommaient « Daytona ».
Une démarche collaborative
On a beaucoup parlé des lignes Héritage, et cette Speedgraf ne vient en fait pas directement d’elle, même si elle est très inspirée de la Daytona.
Le projet était en fait disponible sur Yema Colabs: un groupe facebook collaboratif (2400 membres) où la communauté et l’équipe de Yema échangent pour aboutir ensemble à des prototypes pertinents. L’idée de la Speedgraf est venue de la demande d’une gamme de chronographes intermédiaires, plus accessibles que les chronographes Héritage déjà disponibles (à environ 2500 euros).
L’équipe de Yema est donc partie d’un mouvement Seiko NE86, pour rester dans une tranche de prix abordable (à la place donc du mouvement suisse ETA Valjoux des autres chronographes, beaucoup plus onéreux) pour ensuite développer autour le cadran et le boîtier.
Les dimensions
C’est ce qui m’a tout de suite plu: un boîtier de 39mm et une épaisseur de 15mm. Des dimensions qui en font une montre adaptée aux petits poignets, et qui peut aussi se porter dans une tenue plus habillée en changeant le bracelet.
Le bracelet
Il s’agit d’un bracelet perforé vintage typique des bracelets de pilote des années 70: il s’intègrera donc bien dans une tenue casual mais j’éviterais en revanche de le porter avec une tenue formelle. Je ne le verrais en tout cas pas du tout avec une simple chemise popeline.
La lunette
La lunette en aluminium est bidirectionnelle, afin que la montre puisse s’utiliser en plongée loisir (elle est étanche à 100 mètres).
Mouvement
Il s’agit d’un mouvement Seiko NE86: c’est la nouvelle version du mouvement NE88 introduit en 2014. Il est notamment doté d’une roue à colonnes (considéré par les puristes comme plus noble que les cames) et un embrayage vertical (versus embrayage latéral).
Les roues à colonne, cames et embrayage sont des mécanismes bien spécifiques aux chronographes: je vous invite à lire la page 60 de cet excellent article pour en savoir plus.
Ce mouvement ne prend plus en charge le compteur des heures, au profit de deux sous-compteurs: 30 secondes à 9 heures et les minutes à 3 heures.
La réserve de marche est enfin de 45 heures.
Cadran, aiguilles et index
La Speedgraf se distingue notamment par son cadran contrasté (compteurs noirs sur fond blanc, on appelle ça aussi Panda inversé).
L’extrêmité de la trotteuse est rouge vive et permet une meilleur lecture du télémètre et du tachymètre sur le contour du cadran ce qui nous rappelle que cette montre est véritablement un outil.
Le tachymètre sert notamment à calculer la vitesse de déplacement d’une personne ou d’un objet en mouvement: étant donné que je n’ai pas d’usage pratique de cette fonction, je vous laisse en apprendre plus directement sur cette page qui la vulgarise bien mieux que moi. Le télémètre quant à lui permet de calculer la distance entre vous et un évènement sonore (pratique pour les orages): cette page vous explique en détails son utilisation.
Les aiguilles et indexs ont été traités au Super-LumiNova C5, une peinture phosphorescente répandue dans le monde de l’horlogerie.
III CONSEILS DE STYLE: BIEN PORTER UNE MONTRE RALLY
Ce qui me déplait sur la plupart des sites de mode, c’est cette fameuse tendance à associer une belle montre automatiquement à une tenue formelle, c’est-à-dire un costume.
Pourtant ces montres là peuvent être issues de la plongée, de la voile, de sport automobile ou encore de l’aviation: elles ont une symbolique utilitaire qui n’a pas grand chose à faire dans un registre business ou habillé, qui demande des montres beaucoup plus minimalistes.
Pas besoin non plus rassurez vous d’être habillé en plongeur, en pilote de ligne ou en astronaute. Tout ce que demandent en fait ces montres, ce sont des tenues avec de la texture et du caractère.
Une tenue avec de la texture
On reste loin d’une tenue de pilote de rally donc (je n’ai même pas mon permis) mais une tenue avec beaucoup de couleurs (rouge, marron, vert et un orangé discret sur les rayures de la chemise) et surtout un jeu de textures riches grâce au pantalon et à la chemise en seersucker.
La construction bien particulière du pantalon (autant en terme de ceinturage que de pinces) combiné à du seersucker passe particulièrement bien avec ce genre de bracelet rally.
Gustave s’est de la même manière prêté au jeu, avec un twill de coton lourd et du denim. En mêlant à la fois sartorial et casual:
IV LA LIGNE HERITAGE: LES MODELES EMBLEMATIQUES REMIS AU GOUT DU JOUR
Si l’objet de cet article est la Speedgraf, on ne peut pas parler de Yema sans évoquer les autres montres Héritage.
Le travail effectué sur Yema pourrait être un vrai cas d’école sur l’art et la manière de réactualiser une marque en exploitant à fond son histoire, mais aussi les moyens de distribution d’aujourd’hui comme la pré-commande en ligne. Même si ce n’est pas l’objet principal de cet article (qui reste la Speedgraf), on va quand même passer en revue les modèles qui jusqu’à présent ont été réactualisés.
Plongée et aviation: la Superman et la Flygraf
Elle est purement esthétique sur la ré-edition car Yema dispose bien de tous ses brevets.
Sports de voile: la Yachtingraf
Courses: Rallygraf et Speedgraf
La Rallygraf reprend les codes de la version de 1974 appelée « Brown Sugar » du fait de son cadran marron: les sous-compteurs font penser à un tableau de bord et leur beige clair contraste bien avec un cadran marron. Le modèle plus classique de 1966 est lui aussi réinterprété
CONCLUSION
J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire cet article sur Yema car peu de marques ont une histoire aussi riche sur autant de domaine clefs de l’horlogerie (voile, aérospatial, aviation, plongée etc).
En terme strictement business, c’est aussi extrêmement intéressant de voir ce que peut donner le travail d’un passionné qui exploite à fond les archives et modèles vintage, les moyens de distribution actuels (la pré-commande en ligne) et le tout en échangeant constamment avec sa communauté.
Cette Yema Speedgraf est un excellent exemple de ce travail: un chronographe bien pricé, assemblé en France, doté d’un mécanisme performant, de superbes finitions et d’une esthétique réussie.