« Mocassin Goodyear fabriqué en Espagne »
Cela pourrait être un nouveau sujet de philosophie. Et il y aurait beaucoup de copies médiocres tant il commence à y avoir de la concurrence sur le créneau du Goodyear espagnol (et portugais) abordable.
Certaines marques l’ont comprit, et commencent de plus en plus à tirer leur épingle du jeu: c’est notamment le cas de Septième Largeur dont les 12 ans d’expérience lui permet de faire la différence sur la production et le sourcing des cuirs.
Si vous ne connaissez pas Septième Largeur, nous avons déjà évoqué la marque et son concept dans les articles suivant:
Septième Largeur, des souliers intemporels (présentation générale)
Les bottines Moissac avec semelle dainite colorées main (les bottes workwear)
Les bottines Tobar Triple boucle (un patronage exclusif de Septième Largeur pour des bottines affirmées)
Avant le test à proprement parler, nous allons juste aborder brièvement la nouvelle collection ainsi qu’une nouveauté sur les embauchoirs (que peu de marques prennent la peine de retravailler).
Sommaire
I La collection Printemps-Ete 2021 Septième Largeur
Outre le mocassin en cuir de cerf testé dans cet article, voici mes trois coups de coeur de cette nouvelle collection Printemps-Ete 2021:
– le mocassin à pampilles Vadillo dont j’aime beaucoup le contraste entre le veau velours noisette et le cuir box marron
– les derbys Gastby Commando pour le parti pris ultra osé de la marque, et surtout le fait de proposer une paire aussi bourrine et utilitaire (avec une semelle épaisse) dans une collection été (mais ça passe)
– les mocassins Ivy League x Swan: une belle collaboration dans le plus pur style des mocassins Ivy League, avec cuir bookbindé et montage Blake
II Les embauchoirs en hêtre avec forme retravaillée
C’est assez rare pour une marque dans cette gamme de prix de peaufiner ses embauchoirs, mais c’est aussi le genre de détails qu’une marque plus établie va finir par travailler pour perfectionner son offre.
Forme spécifique et cou de pied surélevé
Septième Largeur se démarque sur ses formes en particulier avec un cou de pied un peu plus fort: il était donc assez logique d’adapter les embauchoirs à cette particularité, afin d’éviter un vide à ce niveau là et les plis qui vont avec.
On voit donc bien sur cette photo que le cou de pied est bien surélevé: c’est pertinent à la fois pour les souliers Septième Largeur, mais aussi d’autres marques dont les formes ont un cou de pied plus fort et qui n’avaient pas forcément d’embauchoirs adaptés.
Ils peuvent s’ajuster à la fois en longueur et en largeur pour s’adapter à une large variété de formes et de tailles
La poignée
Pour retirer plus facilement les embauchoirs des chaussures, la poignée a été surélevée. C’était cela où la traditionnelle poignée vissée qui a malheureusement tendance à se dévisser sur la durée.
La matière
On est assez habitués aux embauchoirs en cèdre rouge, quels sont les avantages du hêtre ? Il n’y a en fait pas tant de différence que cela, excepté peut-être l’odeur caractéristique du cèdre.
Plus spécifiquement, le hêtre résiste bien aux insectes et aux parasites. Tout comme pour le cèdre il est absorbant.
Dans le cas présent, le bois de hêtre utilisé vient de forêts françaises contrairement au cèdre souvent en provenance des Etats-Unis.
On vient bien sur cette photo que la surélévation du cou de pied permet de remplir correctement la chaussure, ça peut aussi être utile sur des marques autres que Septième Largeur.
Les embauchoirs Septième Largeur sont disponibles ici à 35€
II Test du mocassin plateau cousu main en cuir de cerf
Si Septième Largeur a été en France pré-curseur en Espagne sur le cousu Goodyear à un bon rapport qualité/prix. D’autres marques DNVB à l’internationales se sont depuis lancées sur le même segment, en produisant parfois dans la même usine que la marque, et avec des modèles parfois un peu moins cher.
On ne nommera ni l’usine ni ces DNVB, mais il me semble particulièrement important, pour bien vous aider à faire la différence, d’insister sur les exigences spécifiques de Septième Largeur auprès de cette usine (et aussi pourquoi il peut-être plus pertinent de faire confiance à une marque qui travaille et a noué une relation de confiance depuis plus de 12 ans avec la même usine, plutôt que la dernière marque digitale à la mode).
Le plateau cousu main
Le plateau des mocassins en cuir de cerf est cousu main, d’où un rendu légèrement irrégulier. Les deux empiècements de cuir sont jointés et cousus main avec une double aiguille. Une technique qui demande comme vous vous en doutez beaucoup de force dans les bras mais qui donne beaucoup de caractère à la paire.
C’est surtout la présence de coutures très apparentes qui indique que le plateau a été cousu machine (ces coutures peuvent d’ailleurs être vraiment peu esthétiques si on les choisit en plus contrastantes)
Le bloc talon en cuir
On retrouve les finitions caractéristiques de Septième Largeur comme le bloc talon en cuir : il est réalisé à partir de fines couches de cuir (contrairement à pas mal de marques qui utilisent du cuir reconstitué).
Un cuir de cerf de la Tannerie Labiesseuno
Pour ces mocassins, Septième Largeur a déniché un cuir de cerf auprès d’une tannerie familiale italienne confidentielle: La Biesseuno, crée en 1975. Je n’en avais jamais entendu parler, probablement car elle ne fait QUE du cuir de cerf: c’est même la tannerie leader sur ce marché.
Il est important avant de travailler avec une tannerie, quelle que soit sa taille, de vérifier ses certifications et son respect des normes: le cuir est comme vous le savez une industrie qui peut facilement être polluante, avec des conditions de travail dangereuses.
Ici, la tannerie La Biesseuno respecte les normes CPSIA (limitant l’utilisation de substances dangereuse) et dispose de la certification SA8000 assurant des conditions de travail décentes.
Les caractéristiques du cuir de cerf
En apparence, le cuir de cerf ressemble à un cuir grainé classique. Dans les faits, il a des propriétés beaucoup plus intéressantes
– finesse du grain et de la peau: il s’agit ici d’un vrai grain qui vient de la pilosité de l’animal par opposition à un cuir grainé où il s’agit d’un motif imprimé
Il est aussi plus fin qu’une peau classique, donc plus adapté à l’été notamment.
– souplesse: c’est assez impressionnant par rapport à un cuir classique, que ça soit un cuir grainé ou un cuir box calf. On peut porter sans douleurs le mocassin le premier jour, toute la journée
– douceur: il a en effet un touché doux, un peu velouté très agréable par rapport à un cuir grainé classique.
– respirant: je n’étais pas forcément convaincu que ce mocassin soit plus agréable à porter en été qu’un cuir suédé ou un nubuck classique. Et pourtant, le coté respirant de ce cuir le rend très agréable et pertinent pour l’été
– résistance: fort et endurant, il marquera par contre un peu plus facilement les rayures
Pourquoi le cuir de cerf a des caractéristiques si différentes d’un cuir classique ? Grâce à ses fibres entremêlées qui sont beaucoup plus longues. Ainsi, comme sur une chemise avec une fibre de coton extra-longue, on obtient plus de souplesse, de résistance et de respirabilité.
Le cuir de cerf est plus coûteux qu’un cuir classique, en particulier car le tannage est plus complexe.
Est-ce bien éthique de proposer du cuir de cerf ?
Le cerf est un animal sauvage, et non pas un animal d’élevage. Par rapport au simple cuir de vachette, ou encore au cuir d’agneau, lee cuir de cerf soulève ainsi forcément bien plus de questions éthiques sur lesquelles on ne peut pas vraiment faire l’impasse.
Et ce n’est pas juste car on trop été marqués par Bambi quand on était petits 🙂
Le cerf est donc un animal chassé. Mais, et c’est là qu’est la nuance, il n’est pas chassé pour son cuir mais parce que c’est nécessaire et que sa population doit être régulée. Benoît de BonneGueule en parle très bien dans l’article de lancement de leur blouson en cuir de cerf.
En ce qui concerne le cuir de cerf de la tannerie La Biesseuno, il s’agit d’un cerf de Virginie provenant d’Amérique du Nord
Voici un petit résumé synthétique du phénomène: l’homme a éliminé les prédateurs naturels du cerf comme le loup car ils étaient un danger pour le bétail.
La population de cerf n’est donc plus régulée: ils consomment les ressources de la forêt (arbres et pousse d’arbres) plus vite que celle-ci ne peut se régénérer et peuvent aussi transmettre des épidémies aux élevages (et on ne parlera même pas des questions évidentes d’accidents de la route).
Ainsi, ils sont donc chassés de manière encadrées, avec des quotas déterminés par des recensements très précis de la population et le tout sur la période de Novembre/Décembre. La viande est évidemment consommée dans ces états d’Amérique du Nord.
Le pré-tannage des peaux a d’ailleurs lieu aux Etats-Unis à partir du mois de Janvier, en suivant des traditions qui remontent à des centaines d’années (le cuir de cerf était déjà utilisés par certaines tribus amérindiennes).
Un Goodyear Comfort Welted
Il s’agit ici d’une déclinaison Comfort Walted du cousu Goodyear classique: je ne l’avais jamais remarquée auparavant mais elle rexiste au final chez Septième Largeur depuis une petite dizaine d’année.
Le Comfort Welted est un Goodyear classique dont la semelle a été amincie. Cette semelle plus mince explique aussi l’absence de gravure (qui n’a pas vraiment d’intérêt sur une semelle fine).
De même, les clous à l’avant servent normalement à ce que la gravure ne se décolle pas à l’avant: ils n’auraient pas eu d’intérêt ici et ont donc été supprimés.
Enfin, sur ce genre de semelle plus fine, on a pas non plus de cambrions apparents ou de forme biseautée: la forme est plus classique, pas spécialement allongée. Mais cela va très bien à ce genre de penny loafers.
III Conseils de style
Ce qui est intéressant avec ce type de paire, c’est sa grande polyvalence: la texture grainée a du caractère et se porter donc facilement aussi bien avec une tenue décontractée qu’avec un costume.
Tenue sartoriale décontractée
Il s’agit ici d’une vraie tenue estivale comme le révèlent le lin de la saharienne et du pantalon gurkha, et le seersucker de la chemise.
On pourrait se dire que la texture grainée marron foncée ne colle pas vraiment à la saison Printemps/Ete, mais la finesse ici du cuir de cerf permet de déroger à la règle.
La couleur et le rendu profond des mocassins en cuir de cerf contrastent par ailleurs bien avec le lin plus clair du pantalon, mais qui réfléchit moins la lumière.
Je porte avec ces mocassins:
Une veste The Nines en maille de coton Maggia
Un pantalon en laine et soie Poszetka
Une chemise en coton Sea Island The Nines
Une cravate Paisley The Nines
Tenue sartorial dépareillée
Ici, le jeu de lumière est radicalement différent en bas puisque le pantalon laine, lin et soie réfléchit autant la lumière que les mocassins en cuir de cerf.
Le haut est plus classique mais le motif Paisley et la maille permettent justement de bien faire echo à la texture marquée des mocassins.
Je porte avec ces mocassins:
Une saharienne Poszetska en lin de chez Solbiati
Un pantalon en lin Poszetska
Une chemise en coton Sea Island The Nines
Une cravate Paisley The Nines
Conclusion sur les mocassins en cuir de cerf Septième Largeur
Trouver des mocassins Goodyear fabriqués en Espagne (ou au Portugal) sous les 300€, ce n’est clairement plus si rare que ça avec les nouvelles marques qui apparaissent chaque jour sur le marché.
Septième Largeur l’a bien comprit et parvient ici à tirer son épingle du jeu grâce à ses 12 ans d’expérience sur le marché des souliers qui lui permettent de:
– proposer un sourcing plus original et donc des cuirs qu’on ne retrouvera pas ailleurs comme ce cuir de cerf de chez Labiesseuno
– travailler plus en profondeur la fabrication des mocassins, ici avec le Confort Welt, un montage exclusif Septième Largeur qui rend ces mocassins confortables dès le premier port.
Ces mocassins, confortables, polyvalents et qui se démarquent bien de la compétition sont en tout cas mon gros coup de coeur de la nouvelle collection Printemps-Ete 21 chez Septième Largeur.
Ils sont disponibles ici à 275€