Je ne connaissais pas bien Maison Hardrige avant de faire cet article: je croyais même que c’était une marque de souliers fabriquée au Portugal comme on peut en trouver beaucoup d’autres, avec cela étant un accent particulier sur le confort.
Bref, jusqu’à ce que la marque me contacte, j’avais un peu du mal à la positionner dans l’offre de souliers en France, et à dégager sa valeur ajoutée.
Il ne m’aura pas fallu très longtemps pour me rendre compte qu’Hardrige était en fait
– une très solide alternative à Paraboot et Heschung avec une spécialisation forte sur le cousu norvégien
-…avec une offre professionnelle reconnue et plébiscitée par de nombreux corps de métiers français
-..et qui suscite également un bel enthousiasme sur les forums de puristes comme Depiedencap
Même si elle n’a plus d’outils de production à proprement parler, Hardrige est également avant tout une marque de fabricant ce qui apporte une valeur ajoutée certaine en termes de qualité des matières utilisées, et de contrôle qualité.
Sommaire
I HARDRIGE: UNE MARQUE DE CHAUSSURES UTILITAIRE AVEC PLUS DE 130 ANS DE SAVOIR-FAIRE
Hardrige est crée en 1985 à Sillans par Guy Richard, un ancien de Paraboot: jusqu’à Mars 2011, elle travaille surtout pour le marché militaire et fournit les rangers, chaussures de l’armée de l’air, gendarmerie etc. Les marchés publics représentaient à l’époque 70% de son chiffre d’affaire.
En 2011, un de ces marchés est malheureusement perdu par la marque au profit d’une entreprise chinoise (un scénario tristement classique): Hardrige est contraint de fermer son site de production à Sillans, de se réorienter vers le marché civil et de faire fabriquer au Portugal.
Ainsi, Hardrige délègue sa production au Portugal, mais pas comme n’importe quelle néo-DNVB classique le ferait.
En tant que marque de fabricant, elle garde un contrôle important sur
– le style (les bureaux de style sont en Isère),
– le choix des cuirs parmi d’excellents tanneurs français (Du Puy, Degermann, Annonay)
– les semelles (elles aussi françaises)
Le choix des cuirs est effectué par Hardrige et non par l’atelier: c’est une précision importante par rapport à d’autres marques qui sous-traitent chez de gros ateliers portugais et espagnols. Il s’agit dans ce cas de figures là souvent de l’atelier qui choisit directement les peaux sans que la marque ne puisse forcément le contrôler, d’où d’importantes disparités dans la qualité des cuirs du produit fini.
Tous ces éléments sont contrôlés à Sillans puis envoyés au Portugal pour le montage, dans une usine à la fois experte du Goodyear où Hardrige a également exporté son savoir-faire sur le cousu norvégien.
Enfin, les patines et l’entretien sont effectués à Lyon.
L’héritage Le Trappeur
Pour comprendre cet héritage et ce savoir-faire technique de Hardrige, il faut remonter à 1887 et à la création de la marque Le Trappeur: une marque typiquement montagnarde qui crée les tous premiers brodequins. Une esthétique qui ne vous sera pas inconnue et qui sera ensuite reprise par la plupart des marques techniques françaises.
Le Trappeur se spécialise dans la chaussure de travail jusque dans les années 30, puis se concentre sur les chaussures de sports d’hiver et de montagne.
C’est en 1968 avec le victoire aux JO de Jean-Claude Killy que ce savoir-faire est à son apogée.
Une chaussure adaptée aux professionnels
Hardrige fournit de nos jours de nombreuses branches de l’Administration et des Armées Françaises: militaires, policiers, gendarmes etc. Un bon gage de qualité sur la solidité et le confort de la marque.
Une grande partie des modèles s’inspire d’ailleurs directement des chaussures portées par les militaires français.
Les finitions techniques qui font la différence
Malgré son positionnement de chaussure utilitaire, comme Paraboot ou Heschung, Maison Hardrige mise avant tout sur le confort, ce qui peut être assez contre-intuitif quand on parle de souliers au cousu norvégien.
C’est par toute une myriade de finitions impossibles à deviner que Maison Hardrige parvient à les rendre confortables:
– une semelle intérieure à mémoire de forme Ortholite rembourrée et à cellule ouverte, avec un bon amortissement, légère et respirante
– dessus de semelle en cuir de veau légèrement perforé avec tannage végétal
– première de montage en Texon, une matière cartonnée très dense réalisée à 35% à partir de matériaux recyclés
– liège liquide en garniture entre la première de montage et la semelle d’usure: le liège liquide permet de couvrir l’ensemble de la surface. Avec les autres systèmes, il y peut y avoir des trous car la forme prédécoupée de liège ne correspond pas forcément à chaque relevé de première.
– ailettes anti-déformation bien pratiques pour éviter les frottements (vos orteils vous remercieront)
On est donc loin de la simple semelle en mousse à mémoire de forme qu’on peut trouver chez d’autres marques: la technicité d’Hardrige va bien plus loin
Le ressenti est assez impressionnant au porté: la semelle Extralight est (comme son nom l’indique) beaucoup plus légère et souple que les semelles dainite et vibram que j’ai pu tester jusqu’à présent. De manière générale, la technologie XL Extralight est présentée comme supérieure aux mousses injectées en EVA.
Evidemment, je ne peux pas encore me prononcer sur la durée de vie de ces semelles: je vous en redirai des nouvelles au bout de quelques mois de port.
La collection
L’offre Hardrige est divisée en trois gammes.
Hardrige Terre Air Mer
Comme le nom l’indique, ces modèles s’inspirent des pilotes de l’aviation française en cousu Goodyear ou Norvégien. Pour bien signifier cette reconnaissance par les corps les plus exigeants de l’armée française, certaines semelles sont blanches, avec du bleu et du rouge. Une fierté qu’on comprend facilement mais qui ne rendent pas ces paires foncièrement faciles à porter.
Hardrige Club
Il s’agit de la gamme de chaussures formelles d’Hardrige: on peut parfois y trouver des richelieu avec cousu norvégien, ce n’est pas le cas actuellement. Je suis assez curieux de voir ce que ça donne en termes de forme et de finesse.
C’est aussi dans cette gamme qu’on retrouve des mocassins en cousu Goodyear, dont je suis bien curieux de voir le confort et la durabilité.
Hardrige Vintage Sport
Hardrige propose enfin une gamme de sneakers avec cousu bolognais (un cousu particulièrement souple et confortable qu’on retrouve chez assez peu de marques) et aussi de belles patines faites main à Lyon.
II TEST DES DERBIES DEMI-CHASSE CACTUS
Le derby bout chasse: rappel
Vous vous en doutez, si on appelle ces chaussures Chasse, c’est qu’elles sont adaptées pour cette activité, et notamment plus résistante à l’humidité de la campagne et des forêts.
Voici ce qu’elles ont de plus:
– l’empeigne caractéristique des derbies
– les coutures sont plus hautes que d’habitude afin d’élever le plateau et de limiter l’infiltration de l’eau, ce qui demande donc de larges pièces de cuir pour la partie basse (plus une pièce de cuir est grande, plus c’est cher car elles doivent avoir le moins de défauts possibles).
Le bout fendu permet d’utiliser des pièces deux fois moins grandes: la couture utilisée est d’ailleurs un peu plus solide qu’une couture classique. Elle ne traverse en effet jamais entièrement la peau et est plus résistante à l’eau.
Ce qui fait la différence entre les appellations chasse et demi-chasse c’est le nombre de pièces de cuir qui composent l’empeigne (le dessus de la chaussure), le type de nez jointé et aussi le montage:
- Pour le derby chasse l’empeigne est fabriquée avec une seule pièce de cuir (le quartier revient jusqu’au bout avant de la chaussure). Les règles veulent qu’un derby chasse soit réalisé avec un montage norvégien.
- pour le demi chasse cette partie est composée de deux pièces (appelées claque et quartiers).
Vous voulez convertir un détracteur du bout chasse en fanatique ? Les Dover de chez Edward Green sont probablement le meilleur ambassadeur.
De nombreuses autres marques comme Cavour le déclinent en cuir Utah ou en nubuck:
Comme vous l’avez vu, ce modèle à l’origine très utilitaire peut également être très habillé: je voulais conserver ce côté utilitaire avec un cousu robuste mais avec une esthétique plus printanière et mi-saison.
Les derbies Cactus de chez Hardrige répondaient donc bien à ce cahier des charges:
Les derbies Cactus sont comme vous l’avez compris un derby bout chasse au cousu norvégien: de quoi donner un côté utilitaire et Gentleman Farmer, avec un cuir suédé qui sera un peu plus facile à dompter qu’un cuir grainé normalement utilisé sur ce type de paire.
L’intérêt de cette paire est également de constater ce qu’Hardrige peut apporter en termes de confort au cousu norvégien, réputé pour être difficile à dompter.
1) Cuir suédé
Attention, on a souvent tendance à croire que le cuir suédé est moins qualitatif que le nubuck. C’est faux: chacune de ses matières a ses avantages et ses inconvénients
Petite piqûre de rappel: le cuir suédé est différent du nubuck qu’on va généralement utiliser pour des chaussures plus habillées. Le cuir suédé est certes moins noble et moins fin qu’un nubuck: en revanche, il sera plus épais, durable et vieillira mieux qu’un nubuck. Il est donc bien adapté à un usage utilitaire, il faudra cela étant penser à l’imperméabiliser.
2) Confort
On voit ici bien à l’intérieur la semelle en cuir pleine fleure perforée pour avoir une vraie respirabilité. Difficile sinon de l’illustrer mais on sent dès le premier port un réel confort au niveau du talon grâce à la semelle en mousse ergonomique Ortholite.
L’amorti est par ailleurs largement renforcé par la garniture en liège liquide (donc pas en agglomérat, ni en feuilles):
D’autres finitions notables sont à observer: notamment les ailettes anti-déformations sur les côtés. Elles sont sacrément appréciables en particulier pour les frottements sur le côté qui peuvent se révéler particulièrement douloureux au fur et à mesure de la journée avec le gonflement de vos pieds.
Voici la fameuse semelle Extralight que nous avions évoquée: elle est extrêmement légère et souple immédiatement. Je ne vous cache pas qu’elle facilite grandement l’adoption de ces chaussures au cousu norvégien.
Il s’agit pour l’instant, en comparaison des semelles Dainite et gomme classiques, des semelles les plus légères et agréables que j’ai pu essayer jusqu’à présent.
Elles retirent toute la pénibilité et la douleur (n’ayons pas peur des mots) qu’on associe d’habitude aux premiers ports de chaussures et bottes utilitaires.
Evidemment, il faut voir dans la durée l’usure de cette semelle en comparaison des autres semelles plus denses et plus rigides comme la Dainite et le Vibram.
Difficile de vous en dire plus là dessus pour ma part vu que j’ai reçu la paire il y a 2 semaines mais la semelle est utilisée par Hardrige depuis environ 5 ans, en particulier pour des usages professionnels. On peut donc être assez serein sur leur durabilité.
3) Cousu Norvégien
Le cousu Norvégien est toujours plus massif que le cousu Goodyear. Il s’agit aussi d’un montage à deux coutures: une couture entre la trépointe et la semelle, une couture autre qui la relie à la tige.
La couture blanche relie la trépointe à la tige (c’est elle qui ne se voit pas sur les cousus Goodyear) et on distingue sinon la couture petit points classique qui relie la trépointe à la semelle.
Ici il s’agit d’un montage avec une trépointe par dessus la tige : cela renforce l’étanchéité et la résistance. Elle est alors aussi tournée vers l’extérieur et non vers l’intérieur.
C’est ce qu’on voit sur le schéma en bas à droite .Ce genre de montage est long et coûteux, et peut exiger jusqu’à 800 points de couture. La couture fait également le tour de la chaussure, derrière le talon (c’est ce qu’on appelle le talon baraquette).
4 La forme
Des derbies bout chasse avec cousu norvégien, d’une marque utilitaire qui fournit des professionnels: sur le papier, on pourrait s’attendre à un modèle assez pataud pas forcément adapté à la ville.
Si elles se portent dans une tenue décontractée, elles ne sont pas grossières pour autant et elles iront parfaitement avec un pantalon habillé, décliné dans une matière hivernale un lourde (comme vous allez le voir, j’ai ici choisi un pantalon habillé Abensia en velours côtelé).
III CONSEILS DE STYLE
Comme je vous l’ai indiqué plus haut, les derbies demi-chasse, aka split toe derbies, sont idéales pour un style Gentleman Farmer.
Qui dit Gentleman Farmer dit tweed, velours côtelé et éventuellement gros lainage. Evidemment, l’idée n’est pas non plus de se prendre complètement au premier degré et s’habiller comme à la campagne en plein Paris, mais plutôt d’intégrer ces matières dans une tenue urbaine.
C’est ce que j’ai fait ici avec notamment la veste safari de chez Besnard avec un joli tweed Prince de Galles de chez Abraham Moon. Le pantalon s’inscrit dans un style Gentleman Farmer à travers le velours côtelé: il est en dehors de ça très habillé grâce à sa couleur encre très particulière, et évidemment grâce à son ceinturage D-Ring.
On évitera évidemment les pantalons habillés plus classiques dans une laine 4 saison standard, qui seront beaucoup trop habillés et précieux pour ce registre.
Le pull Paris Yorker colle bien au registre grâce à sa laine perlée texturée, tout en restant assez neutre en termes de coupe et de couleurs.
Je porte avec:
– une veste Safari de chez Besnard
– un pull col roulé en laine perlée Paris-Yorker
– un pantalon habillé avec fermeture D-Ring Abensia Paris
– des chaussettes vanisées Maison Baylé
– des gants en cuir de cerf The Nines Paris
Conclusion
Hardrige est un cas un peu particulier dans l’éco-système du soulier: il s’agit d’une marque française de fabricant, avec plus de 134 ans de savoir-faire, dont le montage est effectué au Portugal avec le cahier des charges d’une manufacture française, et un contrôle complet sur toutes les autres étapes (patronage, choix des cuirs, patine, entretien etc).
Elle se positionne aussi sur un segment particulier: des chaussures au départ utilitaires, bien adaptées à un cadre urbain mais qui deviennent rapidement confortables grâce à un montage normalement difficiles à dompter comme le cousu norvégien, avec des détails techniques qu’on ne retrouve pas ailleurs (je pense notamment aux ailettes anti-déformation ou au liège liquide).
Les derbies demi-chasse Cactus en sont un excellent exemple: leur esthétique les rends faciles à porter en mi-saison mais vous pourrez aussi sans soucis les porter en hiver en imperméabilisant le cuir suédé. Elles s’intègreront par ailleurs facilement dans des tenues casual recherchées, mais pas trop précieuses.
Bref, je vous recommande ces derbies demi-chasse Cactus Hardrige: elles sont disponibles ici à 270€