A l’heure de la multiplication des DNVB et autres marques digitales , je prends toujours beaucoup de plaisir à vous parler des ateliers qui ont leur marque en propre et produisent en direct.
Au delà du rapport qualité-prix évident (car on a vraiment 0 intermédiaires), l’histoire est plus riche et le savoir faire plus différenciant: c’est en tout cas ce que j’ai constaté avec Couturier Parisien, la marque issue d’un atelier de chemise haut de gamme serbe avec un bel héritage français dans le savoir faire.
Si les marques classiques (qui ne fabriquent pas) sont beaucoup plus répandues et ont encore de beaux jours devant elle, c’est car savoir-faire et faire-savoir sont deux compétences bien distinctes: il est assez rare qu’un atelier arrive par lui même à bien se vendre et il faut souvent creuser pour comprendre sa valeur ajoutée.
C’est un peu ce qui m’est arrivé avec Couturier Parisien dont l’offre au premier regard assez lisse cache en fait un avantage compétitif impressionnant par rapport à la concurrence sur les tissus et les finitions.
Sommaire
I Couturier Parisien: savoir-faire parisien et culture de l’artisanat
Je vous l’avoue, le nom Couturier Parisien me paraissait au premier abord extrêmement banal, et je n’étais pas certain qu’il soit le plus représentatif de l’identité de cet atelier.
Je vous encourage à lire son histoire pour vous rendre compte qu’il ne s’agit pas d’un atelier d’Europe de l’Est classique, et à quel point ce savoir-faire parisien a été préservé.
1 L’arrivée dans le Sentier
Couturier Parisien, le nom m’avait au premier abord semblé beaucoup trop générique pour être pertinent mais après avoir lu l’histoire de l’atelier, vous comprendrez pourquoi il est en fait très bien choisi.
Tout commence dans le quartier parisien du Sentier des années 70, bastion textile historique ou les métiers de confection sont jusqu’ici assurés par une main d’œuvre italienne. Celle ci est progressivement remplacée par une immigration serbe dont fait parti la famille de Dragan, actuel dirigeant de l’usine. Le grand-père de Dragan, Stevan, va ainsi arriver à ce moment-là à Paris et travailler pour l’atelier familial dont sont clients notamment Dior, Chanel, Yves Saint-Laurent etc.
2 L’atelier à Aubervilliers
Zoran, le père de Dragan, arrive quelques années plus tard en 1974 pour fonder son propre atelier en 1981 près de La Vilette.
L’usine familiale est située rue d’Aubervilliers et produit des chemises haut de gamme à la main: ainsi, chaque chemise est produite de A à Z par la même personne. Celle-ci a donc une connaissance du produit approfondie et une vision d’ensemble du processus de production, contrairement au travail à la chaîne classique où ls tâches sont forcément effectuées beaucoup plus mécaniquement, sans le même attachement au produit finit.
La vague de délocalisation des années 90 mets à mal cet atelier qui fermera ses portes en 1997: Zoran avait bien anticipé ce phénomène en ouvrant dès 1989 un atelier en Serbie qui est l’atelier actuel de Couturier Parisien.
3 L’atelier en Serbie: un savoir-faire préservé
Cette migration en Serbie n’a pas changé la qualité de la production de l’atelier: la région était l’une des premières à accueillir les délocalisations occidentales et a conservé un profond attachement à la philosophie de travail occidentale et à la qualité du produit. Cet atelier n’a jamais été assujetti aux nouvelles méthodes de travail propres à la fast-fashion, et c’est sûrement pour ça que des marques haut-de-gamme lui font confiance.
Aujourd’hui, Dragan travaille avec une équipe d’une vingtaine de personnes dans un atelier familial qui travaille aussi bien avec des DNVB qu’avec des marques de luxe tout en développant sa propre marque.
Si vous regardez la collection au global, et en particulier l’outerwear, vous retrouverez probablement des pièces qui vous sont familières. C’est lui qui initialement s’est occupé de leur développement.
4 Le vrai sans intermédiaire: ce que ça change sur le prix final
Afin de se rendre compte à quel point une marque d’atelier est compétitive, voici une liste des coûts sur lesquels elle économise par rapport à une marque classique:
– coûts de développement: modélisme, création des prototypes etc. L’atelier possède un bureau de style intégré, déjà financé par son travail sur les marques clientes de l’atelier, et peut donc le faire travailler à moindre frais sur le développement de sa propre marque
Un atelier qui développe directement ses vêtements s’épargne également les nombreux aller retours de développement d’une marque classique et d’un bureau de style: la validation d’un prototype est ainsi plus rapide, fluide et donc beaucoup moins chère dans cette configuration.
– coût logistiques: l’atelier commande aux tisseurs ses tissus en même temps que ceux destinés à ses clients et s’épargne les frais de port.
Les produits partent également directement de l’atelier jusqu’au client, sans nécessité de sous-traiter à un logisticien comme le font de nombreuses DNVB.
II Test de la chemise seersucker à col français Couturier Parisien
1 Le seersucker Journey de chez Thomas Mason
Dragan m’a confié travailler avec la maison Thomas Mason du groupe Albini chez laquelle il s’approvisionne en particulier dans la liasse Journey.
Pour rappel, Journey est pour moi à ce jour le meilleur tissu non-iron que j’ai pu voir grâce ) un traitement ultra qualitatif prolongé fil par fil (contrairement aux traitement les plus cheaps où le tissu fini est plongé entièrement dans un bain de produits chimiques).
Thomas Mason ne souhaitant pas être cité en dessous d’un certain prix de vente, Couturier Parisien n’est pas autorisée à communiquer dessus directement sur le site.
La marque est celle qui propose de loin le prix le plus bas du marché sur la liasse Journey en prêt à porter. Le prix le plus bas que j’ai pu voir autrement était de 129 euros contre 80 à 90 euros ici.
Comment expliquer une telle différence ? C’est encore une fois grâce au fait que Couturier Parisien est d’abord un atelier qui peut stocker lui même ses tissus et donc les utiliser avec plus de flexibilité. Une marque classique devra quant à elle payer pour louer un espace chez le fabricant et y stocker son tissu.
Pour une marque classique, stocker un tissu cher chez son fabricant représente un plus gros risque, ce qui se répercute donc forcément sur la marge pratiquée ensuite.
Au delà du tissu, Couturier Parisien se distingue sur le patronage et les finitions.
2 Les finitions
Pour certaines finitions (comme la couture à l’emmanchure et les coutures anglaises), les visuels ont été prises sur la chemise blanche en popeline de coton afin que la photo soit plus lisible que sur le modèle en seersucker rayé beaucoup plus chargé.
Un col français bien proportionné
Dragan m’a avoué qu’il y avait beaucoup de manières de rater un col (et pas seulement en le faisant trop petit ou trop étroit), et qu’il les avait à peu près toutes essayées pour sa marque ou pour ses clients (certaines marques ont des parti pris artistiques étranges).
Le défi de cette chemise en seersucker était de pouvoir se porter facilement avec un costume (pas évident avec le gaufrage) et c’est ce col structuré et bien proportionné qui y participe grandement.
Il se glisse facilement sous les revers de la plupart des costumes, il laisse une ouverture assez large pour le noeud de cravate de votre choix.
Et surtout, il se porte bien sans veste, deux boutons ouverts grâce à une construction de qualité: la triplure est en effet insérée en plusieurs parties dans les pans du col.
La tenue est excellente, et ce même sans patte de boutonnage derrière les pans. Dragan m’a d’ailleurs confié que les pattes de boutonnage invisibles étaient d’ailleurs souvent utilisées pour faire tenir tant bien que mal un col moins bien fini.
Ce qui est intéressant c’est qu’il ne s’agit même pas d’un grand col, que les pointes ne sont pas spécialement longues, et qu’il n’a pas foncièrement de parti pris sartorial. Bien que particulièrement adapté au port sous une veste, il reste donc très polyvalent.
La couture de l’emmanchure
La largeur de la couture à l’emmanchure est un point que je ne regardais pas systématiquement mais qui est plutôt révélateur de la qualité d’une chemise: plus celle-ci est fine, plus la manche est difficile à monter. Ici, la largeur de la couture à l’emmanchure est de 0.5 cm contre 1 cm sur les chemises au pricing similaire.
Les coutures anglaises
Sur la chemise Couturier Parisien testée, les coutures intérieures sont bien des coutures anglaises.
Pour illustrer mon propos, voici quelques visuels des coutures.
Vous allez me dire que les coutures anglaises sont une finition assez commune que l’on retrouve sur à peu près toutes les chemises: toutes les marques en parlent et ça devient d’une banalité affligeante de l’évoquer.
Oui et non: 90% des marques moyen de gamme ont bien compris que c’est un point qui était scrupuleusement examiné, en particulier sur la couture de l’épaule au col.
On va donc mettre celle-ci en avant en parlant de coutures anglaises sans davantage de précision.
En réalité, en jetant un coup d’oeil à l’intérieur de vos chemises, vous remarquerez que la plupart des coutures sont toujours bel et bien des coutures classiques double aiguilles.
En haut, une couture anglaise intérieure et en bas une couture double aiguille classique, sur une chemise qui avait des coutures anglaises au niveau de l’épaule.
Le nombre de points au cm
Le sacro-saint 7 points au centimètres: avec ce tissu, on aurait pu s’attendre à une impasse sur cette caractéristique et à trouver du 5 à 6 points au cm. Il s’agit cependant bel et bien de 7 points au cm.
La coupe
Le XS me va comme un gant, avec une emmanchure haute mais qui reste confortable et sans pinces à l’arrière.
Seul inconvénient pour les petites tailles comme moi: Couturier Parisien ne propose encore que trop peu de XS et commence son offre au S (qui pour le coup ne me va pas, et ne va pas vraiment perdre en taille car les tissus Journey sont 100% coton).
III Test du blouson Harrington en twill de laine
Comme je vous l’ai précisé juste avant, Couturier Parisien propose encore assez peu de très petites tailles: j’ai donc dû tester ce Harrington en S au lieu du XS habituel. Le fit n’est donc pas parfait, en particulier aux épaules.
1 Le twill de laine Zignone
Pour son outerwear, Couturier Parisien a opté pour un twill de laine Zignone en super 110’s: une jauge qui assure un bon compromis entre finesse et tombé. Le twill de laine étant un tissage assez serré, il tiendra également un peu plus chaud qu’une toile de laine classique.
Son poids est de 200g par mètre carré: parfait donc pour un port de début Avril à mi-Octobre.
Ce twill de laine Zignone a bénéficié de plusieurs traitements:
– anti-froissage
– déperlant
– anti-tâches
Dragan m’a même fait parvenir la fiche technique de ce tissu: on retient que même s’il est théoriquement lavable en machine, cela lui fera perdre très rapidement ses propriétés. On vous conseille donc plutôt comme pour vos costumes d’aller au pressing.
2 Les finitions
Le col
Pour moi, le col d’un Harrington se porte surtout ouvert: il est donc important qu’il conserve une bonne tenue et qu’on évite d’avoir un rendu tombant (pas fan pour ma part du fameux col plaqué, mais ça c’est un goût plus personnel).
Fermeture
Ici, on retrouve une bande de tissu au niveau de la fermeture droite: elle donne beaucoup de caractère à l’ensemble et c’est ce qui me fait préférer en grande partie ce blouson porté ouvert.
Seul reproche: le choix d’une fermeture simple et non pas d’une fermeture double comme sur certains Harrington.
Bords côtes français
Les bords côtes sont français et viennent de chez Action Maille, une société basée dans les Hauts de France et spécialisée depuis 20 ans dans les accessoires tricotés pour le prêt-à-porter.
Poches latérales à rabats
Il s’agit du style classique de poche des blouson Harrington: je vous déconseille en revanche d’en abuser sur ce genre de blouson habillé.
Elles sont en revanche idéalement situées pour y glisser vos mains.
L’intérieur
Pas grand chose à dire sur l’intérieur du Harrington qui est quant à lui assez classique, avec une poche intérieure de chaque côté.
IV Conseils de style
1 sportswear habillé
Cette tenue joue entre les codes formels et casuals. Elle est formelle à travers:
– les couleurs: une majorité de bleu et de gris
– les tissus: un twill de laine Super 110’s assez lisse sur le blouson Harrington et une laine 4 saison toute simple sur le pantalon gurkha
Je porte avec le blouson Harrington Couturier Parisien:
– une chemise seersucker Cotton Society
– un pantalon gurkha bespoke Alberto Voglio (test ici)
– des penny loafers en cuir suédé Morjas
2 Seersucker et solaro
Sur cette tenue, le défi était de porter du seersucker, une texture normalement très affirmée sous ce solaro Cerruti super 160’s beaucoup plus précieux et habillé.
Grâce aux proportions du col, et aux rayures pile assez larges pour atténuer le gauffrage, le rendu est ici très satisfaisant.
Je porte avec la chemise seersucker Couturier Parisien:
– un costume solaro Blandin&Delloye Lyon (test ici)
– une cravate vintage (bientôt en ligne sur notre eshop)
– des lunettes de soleil Carlotti Paris (test à venir)
– un chronographe vintage Dubois de chez mamontrevintage
– des tassel loafers avec semelle commando Septième Largeur
Pour les couleurs, on a un contraste au final assez moyen entre la chemise et le costume, qui sont tous deux plutôt clairs. Afin d’insérer du contraste, il convient ici de choisir une cravate soit très foncée, soit très vive. Le choix d’une cravate vive semble du coup bien plus évident en période estivale.
Le seersucker et le solaro contrastent ici de manière beaucoup plus marquée, mais du fait de l’harmonie en terme de couleurs et de proportions, ça ne choque pas trop.
3 Seersucker à l’italienne
Avec un costume croisé bleu marine, la tenue est ici plus polyvalente et plus sérieuse. Elle se distingue surtout par la confection sartoriale napolitaine (avec beaucoup de fait main) du costume, ses épaules naturelles et ses crans situés plus bas que la normale.
C’est un type de tenue facile à porter de mi-Avril à début Octobre: je vous la recommande en particulier pour Septembre où l’on sera très loins d’être à l’abri d’épisodes caniculaires.
Je porte avec la chemise seersucker Couturier Parisien:
– un costume croisé Sartorio (marque de Kiton) de chez By Willman (test à venir)
– une cravate vintage (bientôt en ligne sur notre eshop)
– des lunettes de soleil Carlotti Paris (test à venir)
– une pochette Portia 1924
On voit de nouveau sur cette photo que la chemise portée sans veste tombe très bien.
Conclusion
Vous l’aurez compris, Couturier Parisien est une marque d’atelier extrêmement prometteuse qui ne demande qu’à se faire connaître.
Si l’on se contente d’un coup d’oeil sur les chemises popelines et oxford, on pourrait lui reprocher au premier abord une offre assez basique, voire un peu lisse.
Mais ça serait oublier le rapport qualité/prix assez hors du commun qu’elle propose, en particulier sur les chemises avec:
– les tissus (l’offre la moins chère que j’ai pu voir sur le tissu Journey de chez Thomas Mason)
– les finitions avec des détails qu’on voit encore rarement sous les 100 euros: une couture à l’emmanchure beaucoup plus fine, des coutures anglaises là où on ne les cherche pas forcément, un col français bien proportionné qui tombé bien
L’offre outerwear vous rappellera probablement des pièces d’autres DNVB: c’est normal puisqu’elle a au départ été développée par Couturier Parisien. Ce blouson Harrington avec une laine bleu marine Zignone est un exemple représentatif de ce dont Couturier Parisien est capable: parfait pour la mi-saison (et même jusque début Novembre en portant un col roulé un peu épais en dessous).
Bref, Couturier Parisien est un excellent exemple des nombreux avantages compétitifs d’une véritable offre directe atelier. S’il lui reste encore tout un univers de marque à créer, elle est déjà sur la bonne voie avec une offre facile à porter et de bon goût.
Crédits:
Merci à Pierre Prospero, Raphael Seegmuller ainsi que l’hôtel Crowne Plaza République.
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