Guide ultime du Denim : test du jean Lee 101Z 19OZ
C’est au moins la cinquième fois que je vous le dis…
En mode masculine, il ne faut jamais rester sur ses préjugés, et une marque médiocre une année peut devenir excellente par la suite.
Les marques grand public peu intéressantes peuvent aussi développer des gammes premium au bon rapport qualité/prix, avec des produits vraiment pointus et qualitatifs. Et c’est justement ce que j’ai constaté avec Lee 101, la gamme premium de Lee, pour laquelle j’ai testé un jean 19 oz.
Histoire d’y voir plus clair dans l’offre actuelle, j’ai aussi voulu vous présenter les principales filatures de denim au Japon et aux Etats-Unis. On s’y perd trop souvent entre Kurabo, Kuroki ou encore Kaihara et il était temps de les distinguer clairement.
C’était une bonne introduction au test du jean Lee (faits pour le coup à partir de Kurabo).
I MAITRES DU DENIM: PRESENTATION DES PRINCIPALES FILATURES
Kurabo
Les filatures Kurabo ont été fondées il y a environ 110 ans et sont une des manufactures les plus anciennes au Japon: il s’agit un peu du berceau du denim japonais, qui a mit en place de nombreux procédés toujours utilisés aujourd’hui (notamment la teinte à l’indigo naturel).
Kurabo s’est fait connaître comme le fournisseur de la toute première marque de jean, Big John.
La filature travaille aujourd’hui notamment avec des marques ultra qualitatives comme Baldwin, Epaulet ou encore BonneGueule.
Nissinhbo
Son objectif est de marier les techniques traditionnelles de confection japonaises avec l’industrie moderne.
Leurs denims les plus populaires sont notamment les ring-spun (comme le Bold Boy qu’on avait testé il y a un bon bout de temps), réputés comme inégalables en terme de qualité et de durabilité.
Elle a récemment annoncé une diminution de sa production pour se concentrer sur la qualité du produit. Nisshinbo fournit notamment Left Field NYC et Taylor Stitch.
Un jean Taylor Stitch bien délavé, confectionné à partir de denim Nisshinbho
Kaihara
Relativement nouvelle, Kaihara a été fondée en 1951 mais s’est rapidement imposée comme un concurrent sérieux aux anciennes filatures à travers plusieurs innovations comme le ROPE DYEING.
Cette technique faite maison n’est pas encore utilisée ailleurs et permets à la filature d’exporter dans plus d’une vingtaine de pays.
Kaihara a également acquis en 1990 des machines vintage pour produire un denim selvedge ring spun.
Kaihara fournit notamment Uniqlo, Evisu et Baldwin, ainsi que la branche premium « Made in Japan » de Levi’s.
Japan Blue Group
Il s’agit de l’acteur le plus récent, fondé en 2005: ce n’est pas qu’une filature mais une structure verticalement intégrée qui gère toutes les étapes du process de production. Les marques distribuées sont Japan Blue (l’entrée de gamme) et Momotaro (le haut de gamme).
Cette structure verticale permet un rapport qualité/prix optimal. L’idée créative est d’utiliser l’ancien artisanat avec des esthétiques modernes.
Japan Blue est assez novatrice sur les matières et utilise notamment du coton d’Afrique (parfois Zimbabwe, parfois Côte d’Ivoire).
La boutique Blue Owl Workshop aux Etats-Unis distribue à la fois du Japan Blue et du Momotaro
Photo issue de chez Rope Dye
Kuroki
Située dans le bassin textile d’Okayama, Kuroki est également une filature relativement récente puisque fondée en 1984
Tout comme Japan Blue, Kuroki est structurée en 3 départements spécialisés dans une étape de la production: la teinture, le tissage et le délavage. (il s’agit plus du coût d’une question de qualité que de maîtrise des coûts vu que la distribution n’est pas intégrée)
Voici quelques marques qui utilisent du denim de chez Kuroki:
– 3sixteen.
– Tellason
– Taylor Stitch
Les fondateurs de la marque 3sixteen en pleine négociation chez Kuroki.(photo issue de routinebitinghard.com)
Un jean 3sixteen bien délavé (photo issue de routinebitinghard.com)
Nihon Menpu
Il s’agit d’une des filatures les plus confidentielles: en activité depuis 1917, elle fonctionne avec des machines vintage à utilisation manuelles et utilise une méthode traditionnelle de teinture de l’indigo (qui remonte à plusieurs siècles). Elle apporte une grosse valeur ajoutée en terme de profondeur de teintes et de variétés de couleurs, ainsi que de délavage.
Elle travaille notamment avec Edwin, 45RPM et RRL.
Cone Mills
La filature la plus connue des Etats-Unis (et en fait une des seules): pratiquement toutes les marques de jeans passées par Kickstarter ont utilisé du denim Cone Mills (et il y en a eut vraiment beaucoup).
Avec une fabrication made in USA, la filature est parfaitement dans cette tendance de relocalisation.
Le denim Cone Mills est aussi une des seules possibilités pour les jeunes marques aux premières production modestes (les minimum de commande demandés par les filatures japonaises sont élevés en comparaison de très gros clients comme Uniqlo et il est difficile d’obtenir leur attention) et aux moyens limités.
Les puristes critiquent Cone Mills du fait d’un denim plus lisse, léger et moins brut que les équivalents japonais, avec un poids maximum seulement à 17 oz (plus lourd et ça devient bien moins confortable pour un vêtement de travail). Il se veut être fonctionnel car il était avant tout prévu pour les travailleurs qui avaient besoin d’un produit confortable. A l’inverse, les jeans japonais obéissent à une logique plus héritage: les filatures ont d’abord cherché à reproduire le plus fidèlement possible les imperfections des premiers jeans américains, avant de finir par les exagérer.
- Levi’s Vintage Clothing
- Apolis
- Left Field
- Tellason
- Railcar Fine Goods
- Epaulet
Cone Mills utilisé chez Hawkmills (Endclothing)
…mais aussi chez Tellason
…ainsi que chez Lumina
II Test Jean Lee 101 Z Regular
Histoire
Fondée en 1889 dans le Kansas par Henry David Lee, Lee est une marque workwear qui produisait à la base des combinaisons et des vestes. C’est à partir de 1913 que la marque se fait connaître avec sa combinaison Lee Union-All, une des premières combinaisons complètes.
Distribuée aux cheminots, fermiers et mécaniciens et devient un moteur de croissance pour Lee qui ouvre plusieurs usines supplémentaires. Le succès de la marque se concrétise par une mascotte dans les années 20, Buddy Lee qui devient une des premières mascottes dans la publicité aux Etats-Unis.
La promesse de la marque est de produire des jeans increvables, avec le slogan “can’t bust them”: la pauvre mascotte devait du coup se soumettre à bon nombre de crash tests en jean Lee pour montrer à quel point ils étaient solides.
En 1926, Lee confectionne un jean un peu plus lourd que d’habitude (13 oz) appelé le Cowboy Pant, à destination des marins, bûcherons et forcément des cowboys. Aussi connu sous le nom de Lee 101, on trouve aussi une variation avec la toute première fermeture éclair au monde, le jean 101Z.
Celui-ci devient rapidement une icône de la culture populaire et est par exemple adopté par James Dean dans les années 50, notamment dans le film “East of Eden”.
La marque s’est ensuite diversifiée dans du plus casual et moins workwear avec des gammes stretch.
La ligne 101 de Levi’s revient ainsi aux fondations de la marque et propose des denims selvedge italien et japonais, avec une trame selvedge bleue.
On y trouve notamment le patch en cuir avec le logo ainsi que la cuture symbolique S sur la pochette arrière. Ces modèles selvedge sont confectionnés sur les mêmes machines, présentes au Japon, que celle utilisées aux Etats-Unis il y a plus de 50 ans.
Expérience de délavage
Autant j’imaginais Lee comme une marque très mainstream, autant les puristes donnent en fait énormément de crédit au modèle premium Lee 101.
Nombreux sont ceux d’ailleurs à s’être lancé dans un délavage de longue haleine, durant plusieurs années et sans jamais aucun lavage manuel, et encore moins de lavage en machine.
Photo issue de blacknation.co.za
Sur cet exemple, les coutures à l’entrejambe ont dû être réparées plusieurs fois, et les poches intégralement refaites (c’est ce qui casse au final en premier). Le jean a d’ailleurs prit feu à la jambe à cause d’un chauffage électrique trop vieux (ce qui donne un joli délavage mais n’est pas vraiment à refaire à la maison).
Ce jean n’a pas été lavé pendant 7 ANS.
Photo issue de https://brund.dk/products/lee-101s-kaihara
Cette seconde pair de jean 101S a été portée par Henri Brund tous les jours pendant environ 18 mois, avec seulement quelques lavages mains, dont le premier après 8 mois de ports et d’usure quotidiennes. Il s’agit ici d’un denim left hand 13.75 oz de chez Kaihara, avec une confection en Turquie.
Le modèle 101S.
Le modèle actuel Lee 101 n’a pas grand chose à envier au Levi’s 501 en terme de notoriété
Le 101 Slim Rider, sur lequel le 101S moderne s’appuie a été sorti pour la première fois en 1941 et a été conçu par la star de rodéo Turk Greenough et sa petite amie Sally Rand: celle-ci a simplement utilisé une agrafeuse pour resserrer le jean aux cuisses. (il était par contre à l’époque bootcut, ce n’est plus le cas aujourd’hui).
Photo issue de darahkubiru.com
La collection 101
La collection Lee 101 est du coup la gamme héritage de Lee, qui remets l’accent sur des finitions soignée et des matières vintage, mais le tout avec des coupes légèrement plus ajustées.
Je n’étais pas forcément tenté par faire un article sur la marque Lee à proprement parler, mais les marques héritage réservent souvent de bonnes surprises: Lee se positionne ici en tout cas en terme de jean dans le créneau du jean premium à plus de 140 euros, et va jusqu’à proposer des denims à 23 oz.
En terme de rapport qualité/prix, on est évidemment pas sur du Gustin ou du Taylor Stitch (dont le fonctionnement en crowdsourcing permets de meilleurs prix). Mais pour une marque aussi répandue, avec un tel volume et une distribution aussi large, ça reste très satisfaisant. (ce que je n’aurais pas forcément affirmé sur la gamme Lee classique sur laquelle je reste plus réservé).
Si le fit suit bien, les chemises en flanelle sont également ultra prometteuses.
Le fameux jean 19 oz que j’ai pu tester:
La chemise de cowboy bien texturée avec la classique poche W avec boutons pressions:
Le jean 101 Z Regular
Coupe et matière
La taille est haute, mais la coupe est ajustée et les jambes sont droites (avec une ouverture à la cheville d’environ 18cm). Le denim est un 19oz ultra épais qui vient de chez Kurabo, dans un twill right-hand sanforisé (on vous rappelle ce que c’est ici). Elle a une texture slub (un peu duveteuse, avec quelques petites peluches à peine visibles) très prisée par les amateurs de denim.
A 19oz, c’est une véritable armure à porter, et je ne pensais pas qu’une marque aussi connue que Lee soit présente dans un univers aussi puriste.
Cette toile est assez increvable et après moins de 5 moins de port régulier reste encore bien rigide.
Finitions
Ourlet
Pour plus de maintien, la couture intérieure de la jambe est une double couture. L’ourlet est fini dans un point de chainette bien épais.
Poches
Les poches avant avec rivets sont confectionnés à partir d’une toile de coton hyper épaisse et les poches arrière sont semi doublées avec le même tissu.
Sur la poche arrière droite, on trouve un discret patch Lee, renforcé à l’intérieur par deux coutures.
La poche latérale dans un coton ultra résistant (rien à voir avec les viscoses d’autres marques qui se percent en quelques mois)
C’est extrêmement rare: même la poche arrière est demi doublée. On peut aussi y voir une autre étiquette.
Cette étiquette là est elle même cousue à une double couture derrière avec point d’arrêt.
Le niveau de détail est du coup juste hallucinant: essayez d’imaginer un peu l’attention qu’on accorde spécialement à une étiquette complètement cachée que personne ne peut voir. C’est très révélateur du niveau global de finitions de ce jean.
La fermeture éclaire
Le zipper est l’une des caractéristiques les plus importantes de ce jean ( et qui explique d’ailleurs la lettre Z): Lee était l’une des premières marques à utiliser le zipper, notamment dans les combinaisons.
On a ici un zipper en laiton ultra robuste.
Pas de signe de la marque du zipper mais un bon aperçu d’un délavage bien entamé
Patch en cuir de vachette à l’arrière
On retrouve également le patch de cuir de vachette avec la marque Lee (aussi présente sur l’étiquette arrière). Cette version comporte tout de même le trademark « R » qui apparaît sur tous les modèles à partir des années 60.
Conseils de style
Avec un jean au denim aussi affirmé, il faut opter pour un haut bien texturé et des chaussures de caractère: c’est ici le cas avec cette chemise texturée M.Studio (on dirait de loin du chambray ou de l’oxford, mais c’est en fait une texture géométrique plus particulière) et les bottines en cuir de daim et avec montage bolognais Oliver Sweeney.
Bref, probablement pas ma meilleure tenue (shootée un peu à l’arrache un lointain week-end de Décembre 2015). On remettra cet article à jour lorsque j’aurais l’occasion de vous proposer de nouvelles tenues réalisées avec ce jean. En attendant, on a tout de même un résultat satisfaisant sur les détails.
Les bottines Oliver Sweeney ont par exemple la hauteur idéales pour permettre un ourlet fin mais qui mets en valeur la qualité des finitions et la trame selvedge.
J’avais sur cette photo portée un pull M.Studio (que je ne vous recommande pas car il s’est bien trop détendu) par dessus la chemise de la même marque. En terme de texture, on avait une bonne combinaison à porter avec ce denim de caractère.
CONCLUSION
Casual: 10/10. (On peut difficilement faire plus casual qu’un jean selvedge héritage à 19 oz. )
Formel: 0/10 (Je ne me risquerais pas à le porter en casual Friday avec un blazer car je trouve denim trop dense et la texture trop marquée pour bien s’intégrer à une tenue habillée plus lisse. )
Prise de risques: 3/10 Ce n’est pas pour le style mais plus par rapport à votre aptitude à vous à casser un jean 19 oz, ce qui prends du temps et n’est pas forcément agréable.
Rapport qualité/prix: 7/10 (A 200 euros, on peut forcément trouver mieux chez des marques plus confidentielles, mais je suis cependant très agréablement surpris qu’une marque comme Lee propose ce genre de produits pointus et héritage. Et qu’ils soient du coup assez accessibles grâce à un réseau de distribution bien développé)
Bref, une très bonne surprise avec la ligne premium d’une marque dont je n’attendais pas grand chose. On a certes un jean à 200 euros, mais confectionné à partir d’un denim Kurabo 19oz increvable et avec des finitions à toutes épreuves (et même pour les petits détails que personne n’est censé voir).
Ce modèle est distribué à l’étranger à côté des jeans premiums d’enseignes plus confidentielles comme Tellason ou 3sixteen et n’a pas grand chose à leur envier, à part un pricing légèrement excessif de 15-20 euros.
Il est disponible ici sur le site de lee à 200 euros.
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