Collab 2

L’annรฉe derniรจre, je vous prรฉsentais une premiรจre collaboration avec Fratelli Mocchia di Coggiola, cette maison de tailoring italo-parisienne qui m’avait tant sรฉduit par sa capacitรฉ ร  manier les codes de l’รฉlรฉgance masculine avec autant de rigueur que d’humour. Vous vous souvenez peut-รชtre de ces mocassins ร  pampille et de ces bottines balmorales, tous deux dotรฉs d’un talon cubain lรฉgรจrement surรฉlevรฉ qui nous avait permis de jouer sur les proportions sans verser dans la caricature.

Cette nouvelle collection, baptisรฉe The Businessman, prolonge cette signature tout en l’inscrivant dans un univers bien particulier : celui de la finance amรฉricaine des annรฉes 90, avec ce qu’il faut de second degrรฉ pour รฉviter de se prendre trop au sรฉrieux. Nous avons ainsi travaillรฉ sur trois modรจles essentiels du vestiaire business : des richelieu noires ร  bout droit, des penny loafers noirs, et mes prรฉfรฉrรฉs, des mocassins ร  mors en cuir grainรฉ bordeaux.

I. WALL STREET, SMOG ET TALON CUBAIN

Fratelli Mocchia di Coggiola a construit autour de cette collection un univers narratif assez jouissif : celui de Wall Street avec son dรฉcor d’acier, de verre et de smog. On y croise Luke Stark, businessman infatigable et self-made man, son secrรฉtaire ambitieux Raph qui rรชve de le dรฉtrรดner, et le mystรฉrieux Mr. World, cette figure insaisissable de la finance internationale.

Du coup, cette mise en scรจne un peu dรฉcalรฉe reflรจte parfaitement l’esprit de ces souliers : ils sont parfaitement sรฉrieux dans leur construction et leurs finitions, mais possรจdent ce supplรฉment d’รขme qui les distingue des modรจles business conventionnels. C’est prรฉcisรฉment cet รฉquilibre qui m’intรฉresse : รชtre suffisamment dans les codes pour ne jamais faire fausse note dans un contexte professionnel, tout en conservant cette petite audace discrรจte qui signale qu’on connaรฎt son sujet.

II. LE PENNY LOAFER NOIR : DES FJORDS NORVร‰GIENS ร€ WALL STREET

Le premier modรจle est un penny loafer en box calf noir extrรชmement classique, typique du milieu des affaires amรฉricain. Il pourrait presque passer pour austรจre si nous n’y avions pas intรฉgrรฉ ce talon cubain de 3,8 cm qui devient ici une originalitรฉ suffisamment discrรจte pour rester professionnelle, suffisamment marquรฉe pour attirer le regard des connaisseurs.

L’histoire de ce soulier mรฉrite qu’on s’y attarde, car elle illustre parfaitement comment un modรจle artisanal norvรฉgien devient l’uniforme de Wall Street en passant par les campus de l’Ivy League. C’est toute l’histoire de l’รฉlรฉgance amรฉricaine qui se joue dans ce soulier.

Quand les cordonniers norvรฉgiens rencontrent les mocassins iroquois

Tout commence bien avant les annรฉes 1930, dans le village norvรฉgien d’Aurland. Le cordonnier Nils Tveranger y dรฉveloppe dรจs 1908 un mocassin sans lacets qui fusionne intelligemment les chaussures traditionnelles portรฉes par les pรชcheurs scandinaves avec le bout mocassin cousu qu’il avait observรฉ chez les Iroquois lors de son apprentissage en Amรฉrique du Nord. Cette rencontre inattendue entre savoir-faire nordique et technique amรฉrindienne donne naissance ร  un modรจle vรฉritablement rรฉvolutionnaire.

La transformation en icรดne amรฉricaine s’opรจre en 1936 lorsque G.H. Bass s’empare du concept et crรฉe son “Weejun” โ€“ contraction ludique de “Norwegian”. L’innovation de Bass tient ร  l’ajout d’une bride en cuir avec cette dรฉcoupe en diamant caractรฉristique sur l’empeigne, celle qui deviendra la fameuse “fente du penny”, ainsi qu’un surpiquรฉ “beefroll” sur les cรดtรฉs pour assurer le soutien structurel.

Yale, la nรฉgligence รฉtudiรฉe, et une piรจce de monnaie

Le surnom “penny loafer” รฉmerge dans les annรฉes 1950 lorsque les รฉtudiants de l’Ivy League commencent ร  glisser une piรจce dans la fente diamant. Dรจs 1940, Yale affirme que la chaussure “a pris l’universitรฉ d’assaut”. Ainsi, la culture campus de l’รฉpoque privilรฉgie cette fameuse “nรฉgligence รฉtudiรฉe” et cette “insouciance soignรฉe” qui dรฉfinissent le style preppy : le penny loafer rรฉpond parfaitement ร  cette aspiration, suffisamment dรฉcontractรฉ pour l’esprit universitaire tout en conservant une รฉlรฉgance appropriรฉe.

Dans les annรฉes 1980, le modรจle devient presque un uniforme ร  Wall Street. Les penny loafers noirs sont alors considรฉrรฉs comme parfaitement appropriรฉs pour les affaires aux ร‰tats-Unis, largement acceptรฉs en business casual et mรชme avec des costumes dans de nombreuses industries. L’augmentation de la sรฉcuritรฉ dans les aรฉroports et les immeubles joue รฉgalement : le design slip-on signifie aucun retard pour passer les contrรดles, et le temps, c’est de l’argent pour les courtiers.

Notre version : box calf italien et talon cubain

La version que nous proposons reste fidรจle ร  cet hรฉritage amรฉricain tout en bรฉnรฉficiant du savoir-faire espagnol qui caractรฉrise la production Fratelli Mocchia di Coggiola. Le cuir noir lisse offre une finition soignรฉe et professionnelle, tandis que la bride conserve sa dรฉcoupe caractรฉristique en diamant. L’intรฉrieur en cuir souple garantit un confort optimal, mรชme lors de longues journรฉes au bureau.

Le talon cubain confรจre au modรจle sa personnalitรฉ distinctive. Cette รฉlรฉvation modรฉrรฉe amรฉliore la posture et allonge la silhouette sans jamais verser dans l’ostentation. Le cuir provient de la tannerie italienne Conceria Nuova Antilope, en activitรฉ depuis 1958, qui produit un box calf reconnaissable ร  son tannage au chrome et sa tranche gris-bleutรฉe caractรฉristique.

Le penny loafer se situe dans une zone intรฉressante du spectre formel : moins formel qu’une richelieu lacรฉe, mais plus habillรฉ qu’un mocassin classique, en particulier dans sa version noire. Cette polyvalence en fait un modรจle particuliรจrement prรฉcieux dans un vestiaire masculin contemporain oรน les codes se sont assouplis sans pour autant disparaรฎtre.

ร€ Wall Street, le penny loafer noir serait portรฉ par le CEO ou le VP sรปr de lui, celui qui a fait ses preuves et qui nรฉgocie en coulisse les deals les plus stratรฉgiques.

Du rebelle au prรฉsident : James Dean, Elvis et JFK

James Dean incarne parfaitement le penny loafer dans “Rebel Without a Cause” et “East of Eden” en 1955, crรฉant cette image de sophistication juvรฉnile mรชlรฉe de rรฉbellion qui deviendra emblรฉmatique. Elvis Presley en fait un รฉlรฉment essentiel de ses performances, tandis que Michael Jackson les immortalise dรฉfinitivement avec ses fameuses chaussettes blanches pour exรฉcuter le moonwalk dans “Billie Jean”.

Au-delร  de la scรจne musicale, John F. Kennedy prouve que le penny loafer peut รชtre vรฉritablement habillรฉ en le portant aussi bien avec des costumes qu’en tenue dรฉcontractรฉe. Miles Davis les porte lors de sessions d’enregistrement, confirmant leur polyvalence absolue.

Comment porter le penny loafer avec un costume gris

Le penny loafer noir constitue un choix particuliรจrement judicieux avec ce costume gris clair trois-piรจces visible sur ces photos. Cette association รฉquilibre brillamment l’ambition professionnelle et une dรฉcontraction mesurรฉe : le mocassin allรจge la rigueur du costume complet tout en conservant une รฉlรฉgance affirmรฉe.

L’ouverture gรฉnรฉreuse du pantalon (environ 20-21 cm visible ici) s’avรจre dรฉterminante pour rรฉussir cette combinaison. Cette cassure prononcรฉe sur l’empeigne รฉvite que le mocassin ne paraisse trop exposรฉ et maintient l’รฉquilibre formel de la tenue. Avec un pantalon plus ajustรฉ, le penny loafer risquerait de dรฉsรฉquilibrer la silhouette en paraissant trop massif.

Avec un gris aussi clair, le cuir noir s’impose comme une รฉvidence et maintient l’ancrage formel nรฉcessaire. Un penny loafer marron, mรชme foncรฉ, introduirait une note trop dรฉcontractรฉe qui affaiblirait l’autoritรฉ de l’ensemble. Le noir bรฉnรฉficie de la dรฉcontraction structurelle du mocassin sans lacets tout en prรฉservant la sophistication requise pour un contexte professionnel.

La chemise blanche en popeline ou oxford lรฉger constitue le choix le plus sรปr. La cravate rayรฉe bordeaux visible ici fonctionne parfaitement : elle apporte une couleur mesurรฉe sans excentricitรฉ. Le gilet trois-piรจces compense intelligemment la dรฉcontraction introduite par le mocassin et renforce le caractรจre abouti de la tenue.

III. LE MOCASSIN ร€ MORS BORDEAUX : QUAND FLORENCE RENCONTRE WALL STREET

Le deuxiรจme modรจle est un mocassin ร  mors en cuir grainรฉ bordeaux, piรจce emblรฉmatique qui incarne la rencontre entre l’artisanat florentin et l’รฉlรฉgance internationale. C’est la paire la plus ostentatoire de cette collection, mais aussi ma prรฉfรฉrรฉe : elle assume pleinement son statut tout en restant parfaitement portable dans un contexte professionnel si elle est portรฉe avec discernement.

1953 : Aldo Gucci invente le loafer italien

L’histoire de ce soulier dรฉbute prรฉcisรฉment en 1953, annรฉe oรน Aldo Gucci ouvre la premiรจre boutique de la maison hors d’Italie, dans le hall du Savoy-Plaza Hotel ร  Manhattan. Lors d’une visite antรฉrieure ร  New York, Aldo avait remarquรฉ la forte prรฉfรฉrence des hommes amรฉricains pour les loafers slip-on dรฉcontractรฉs, particuliรจrement les Bass Weejuns populaires auprรจs des รฉtudiants preppy.

Du coup, Aldo vise alors ร  crรฉer une version italienne plus habillรฉe et sophistiquรฉe qui plaira ร  la clientรจle amรฉricaine tout en maintenant le raffinement europรฉen. Le dรฉtail du mors โ€“ cet ornement mรฉtallique miniaturisรฉ constituรฉ d’un double anneau reliรฉ par une barre, inspirรฉ du mors de bride utilisรฉ dans les harnais de chevaux โ€“ est ajoutรฉ en hommage ร  la fascination de son pรจre Guccio pour l’รฉquitation.

Cette rรฉfรฉrence รฉquestre s’enracine profondรฉment dans l’ADN Gucci. Guccio Gucci avait travaillรฉ comme porteur de bagages au Savoy Hotel de Londres aprรจs la Premiรจre Guerre mondiale, oรน il observa les aristocrates britanniques fortunรฉs et leur mode de vie centrรฉ sur le polo et l’รฉquitation. Lorsqu’il fonde son entreprise ร  Florence en 1921, il se spรฉcialise naturellement dans les articles en cuir de haute qualitรฉ et les accessoires รฉquestres. Le motif du mors รฉtait dรฉjร  apparu sur les sacs Gucci au dรฉbut des annรฉes 1950 avant d’รชtre incorporรฉ dans les chaussures.

Le choix stratรฉgique du cuir noir plutรดt que marron fut dรฉterminant : le noir n’รฉtait pas typique pour les loafers de l’รฉpoque mais les rendait immรฉdiatement plus formels. Le dรฉtail mรฉtallique du mors ajoutait quant ร  lui une sophistication habillรฉe qui รฉlevait le loafer amรฉricain dรฉcontractรฉ vers quelque chose d’associรฉ au raffinement et au statut europรฉens.

De la jet-set au MoMA : consรฉcration d’une icรดne

Le succรจs est instantanรฉ auprรจs de l’aristocratie italienne et de la jet-set internationale. Sophia Loren, Gianni Agnelli (l’industriel italien et icรดne stylistique la plus importante du pays), Cary Grant, Fred Astaire ou Jacqueline Kennedy Onassis adoptent rapidement le modรจle. Dans les annรฉes 1970, les hommes d’affaires de Wall Street les adoptent en masse, leur valant le surnom รฉvocateur de “deal sleds”.

Les chiffres parlent d’eux-mรชmes : dรจs 1969, Gucci vend 84 000 paires annuellement rien qu’aux ร‰tats-Unis. La reconnaissance suprรชme arrive en 1985 lorsque le Museum of Modern Art de New York intรจgre le mocassin ร  mors ร  sa collection permanente โ€“ la seule chaussure ร  bรฉnรฉficier de cet honneur, tรฉmoignage de son statut d’objet de design iconique au-delร  de sa fonction vestimentaire.

Notre parti pris : bordeaux grainรฉ et mors dorรฉs

Notre choix du cuir grainรฉ bordeaux constitue un parti pris affirmรฉ. Lร  oรน la version noire classique incarne la formalitรฉ et la retenue, le bordeaux apporte une touche de personnalitรฉ bienvenue dans un vestiaire business souvent trop monochrome. Le cuir grainรฉ provient รฉgalement de Conceria Nuova Antilope : sa texture est obtenue par un procรฉdรฉ mรฉcanique oรน le cuir est pressรฉ sous diffรฉrents moules pour crรฉer des grains prononcรฉs.

Le mors en mรฉtal dorรฉ conserve sa forme originelle : ce double anneau reliรฉ par une barre reste immรฉdiatement reconnaissable. C’est un ornement qui fonctionne parce qu’il raconte une histoire, celle de l’hรฉritage รฉquestre florentin, tout en restant suffisamment discret pour ne pas basculer dans l’ostentation.

L’intรฉrieur en cuir souple garantit un confort optimal mรชme lors de journรฉes chargรฉes. Le montage en cousu Goodyear assure une soliditรฉ ร  toute รฉpreuve et la possibilitรฉ de ressemeler le soulier, prolongeant considรฉrablement sa durรฉe de vie.

Comment รฉviter l’รฉcueil de la vulgaritรฉ

Nรฉ dans les ateliers Gucci au milieu du XXe siรจcle, ce soulier affiche sans dรฉtour son statut ร  travers cette fameuse boucle mรฉtallique dorรฉe qui orne l’empeigne. Pourtant, lorsqu’il est portรฉ avec discernement comme sur ces images, il parvient ร  รฉviter l’รฉcueil de la vulgaritรฉ pour incarner une รฉlรฉgance affirmรฉe.

C’est prรฉcisรฉment la sobriรฉtรฉ du costume rayรฉ tennis gris anthracite qui permet au mocassin bordeaux de s’exprimer sans basculer dans l’excรจs. Les rayures fines et serrรฉes, parfaitement verticales, ancrent la tenue dans un registre professionnel rigoureux. Le manteau camel vient tempรฉrer davantage l’audace de la chaussure : cette couleur neutre et intemporelle agit comme un rรฉgulateur, un contrepoids qui empรชche la tenue de verser dans la dรฉmonstration gratuite.

Le bordeaux du mocassin dialogue intelligemment avec les tons chauds du manteau tout en crรฉant un contraste suffisant avec le gris froid du costume. Cette harmonie colorรฉe tรฉmoigne d’une rรฉflexion aboutie : on n’a pas simplement enfilรฉ des souliers tape-ร -l’ล“il, on a construit une palette cohรฉrente.

Les chaussettes ร  rayures bleues et blanches, visibles furtivement, confirment cette approche assumรฉe du vestiaire. Plutรดt que de chercher ร  attรฉnuer l’impact du mocassin ร  mors par des accessoires discrets, on continue d’affirmer sa personnalitรฉ par petites touches mesurรฉes. La serviette en cuir cognac prolonge cette logique : chaque รฉlรฉment de la tenue possรจde son caractรจre propre tout en participant ร  un ensemble remarquablement รฉquilibrรฉ.

Cette tenue convient ร  l’entrepreneur accompli, au dirigeant d’entreprise crรฉative ou au consultant senior qui n’a plus besoin de prouver sa lรฉgitimitรฉ et peut se permettre d’afficher une personnalitรฉ marquรฉe. Le mocassin ร  mors signale une certaine assurance financiรจre et une connaissance approfondie des codes vestimentaires : on sait exactement jusqu’oรน on peut aller sans franchir la ligne.

Le mocassin ร  mors bordeaux demande un peu plus d’assurance mais offre des possibilitรฉs intรฉressantes. La couleur bordeaux se marie particuliรจrement bien avec les nuances de gris et de bleu marine. Je le verrais volontiers avec un costume en flanelle grise ou un blazer bleu marine accompagnรฉ d’un pantalon en laine beige. Dans l’univers que nous avons imaginรฉ, ce modรจle collerait parfaitement au financier excentrique et bon vivant, celui qui aime cรฉlรฉbrer sa rรฉussite avec une touche d’extravagance mesurรฉe.

De la dolce vita ร  DiCaprio : parcours cinรฉmatographique

Le mocassin ร  mors a connu une carriรจre cinรฉmatographique impressionnante. Audrey Hepburn danse avec รฉlรฉgance dans une paire lors d’une scรจne iconique de “Funny Face” (1957). Sophia Loren les porte dans “La Maglie del Prete” (1970), incarnant l’รฉlรฉgance italienne.

Du cรดtรฉ masculin, Dustin Hoffman les porte dans “Kramer vs. Kramer” (1979), Matt Damon dans “The Talented Mr. Ripley” (1999) โ€“ film rรฉguliรจrement citรฉ pour son influence sur la garde-robe estivale masculine โ€“, Brad Pitt dans “Fight Club” (1999), et Leonardo DiCaprio dans “The Wolf of Wall Street” (2013), oรน l’on voit mรชme Jonah Hill tenir une paire de loafers Gucci.

Plus rรฉcemment, le mocassin Gucci apparaรฎt dans “Quantum of Solace” (2008), portรฉ par le mรฉchant Dominic Greene, et dans “Frost/Nixon” (2008) avec Michael Sheen, oรน le soulier symbolise un moment charniรจre dans la vie d’un ancien prรฉsident.

IV. LA RICHELIEU ร€ BOUT DROIT : DU CAMPUS D’OXFORD ร€ LA CITY DE LONDRES

Le troisiรจme modรจle est une richelieu ร  bout droit en cuir noir lisse, aussi appelรฉe Oxford cap toe. Il s’agit de la chaussure formelle par excellence, aboutissement d’une รฉvolution fascinante qui transforme un soulier initialement perรงu comme dรฉcontractรฉ en symbole ultime de l’รฉlรฉgance masculine.

Quand les รฉtudiants d’Oxford inventent la rรฉbellion par les pieds

L’histoire dรฉbute vers 1800 avec la demi-botte Oxonian qui gagne en popularitรฉ parmi les รฉtudiants de l’Universitรฉ d’Oxford. En 1825, ces รฉtudiants raccourcissent les bottes montant au genou pour crรฉer l'”Oxoniana” โ€“ une botte de taille moyenne avec boutons, talon plus haut que les richelieu modernes, et fermeture latรฉrale. La premiรจre mention รฉcrite du “Oxford shoe” date de 1846.

Le contexte de cette รฉvolution est dรฉterminant : la transition s’opรจre alors que les pantalons plus longs avec coupes plus amples remplacent les culottes ajustรฉes Regency. Les hommes ne peuvent plus rentrer les pantalons dans de hautes bottes, nรฉcessitant des chaussures plus courtes. Les รฉtudiants d’Oxford, recherchant le confort plutรดt que la formalitรฉ, sont pionniers de ce changement.

Ironie de l’histoire : la chaussure Oxonian รฉtait initialement considรฉrรฉe comme dรฉcontractรฉe โ€“ un choix rebelle comparรฉ aux bottes formelles portรฉes par les gentlemen. Certains hommes pensaient mรชme que les lacets รฉtaient “trop fรฉminins”. Ainsi, ce qui deviendra la chaussure la plus formelle du vestiaire masculin commence sa carriรจre comme un symbole de rรฉbellion estudiantine.

L’ajout du bout droit : fonction et raffinement

La variation ร  bout droit รฉmerge ร  la fin du XIXe siรจcle avec un double objectif : la piรจce de cuir supplรฉmentaire sur la boรฎte d’orteil sert ร  la fois de renforcement (protรฉgeant la zone des orteils de l’usure) et de raffinement esthรฉtique. Cette ligne horizontale qui traverse l’empeigne crรฉe une rupture visuelle qui affine la silhouette du soulier.

Le bout droit peut รชtre cousu uni (plus formel) ou prรฉsenter des perforations le long de la couture, crรฉant un quarter-brogue lรฉgรจrement moins formel. C’est cette version unie que nous avons retenue, privilรฉgiant la sobriรฉtรฉ et l’รฉlรฉgance formelle.

La consรฉcration victorienne et le rรจgne sur la City

ร€ l’รจre victorienne (1837-1901), les richelieu commencent ร  gagner du terrain au-delร  du cadre universitaire. Leur apparence raffinรฉe les rend adaptรฉs aux occasions formelles, s’alignant parfaitement avec l’accent de l’รฉpoque sur la biensรฉance et le dรฉcorum. Les avancรฉes de la Rรฉvolution industrielle rendent les chaussures de qualitรฉ plus accessibles ร  la classe moyenne bourgeonnante.

Au XXe siรจcle, la richelieu ร  bout droit noir devient la norme absolue pour les services bancaires, juridiques et financiers de la City de Londres. La rรจgle “pas de marron en ville” fait du richelieu noir un standard incontournable. Avant 2016, le rapport de la Commission britannique sur la mobilitรฉ sociale dรฉclarait : “Pour les hommes, le port de chaussures marron avec un costume business est gรฉnรฉralement considรฉrรฉ inacceptable par et pour les banquiers britanniques.”

L’uniforme typique prรฉ-COVID dans la City : costume bleu marine, chemise blanche ou bleue avec boutons de manchette argentรฉs, et richelieu noires ร  bout droit de fabricants prestigieux comme Crockett & Jones ou Gaziano Girling. Les monk straps รฉtaient explicitement dรฉsapprouvรฉes. Bien que les dress codes se soient assouplis depuis le COVID, la richelieu noire ร  bout droit reste le choix le plus sรปr et continue de rรฉgner sur les rรฉunions clients importantes.

Notre version : rigueur classique et talon cubain

La version que nous proposons respecte scrupuleusement les codes de ce modรจle historique. Le cuir noir lisse offre une finition impeccable et professionnelle.

Le bout droit est cousu uni, sans aucune perforation : nous avons optรฉ pour la version la plus formelle possible. La ligne horizontale qui traverse l’empeigne est parfaitement droite et rรฉguliรจre, tรฉmoignage du soin apportรฉ ร  la fabrication. Cette simplicitรฉ apparente cache en rรฉalitรฉ une grande technicitรฉ : obtenir des lignes aussi nettes et rรฉguliรจres requiert un savoir-faire considรฉrable.

Le montage en cousu Goodyear assure une soliditรฉ exceptionnelle. Cette mรฉthode de construction, plus coรปteuse et technique que le Blake classique, permet de ressemeler le soulier plusieurs fois au cours de sa vie, garantissant un investissement durable. La semelle en cuir se patine avec le temps et รฉpouse progressivement la forme du pied, amรฉliorant le confort au fil des ports.

L’intรฉrieur est entiรจrement doublรฉ en cuir souple, sans aucun matรฉriau synthรฉtique. Cette attention aux finitions invisibles distingue les souliers de qualitรฉ des modรจles industriels oรน l’on รฉconomise sur ce que l’ล“il ne voit pas.

Rigueur maximale et audace discrรจte

La richelieu ร  bout droit noir constitue le sommet de la hiรฉrarchie formelle dans le vestiaire masculin. Associรฉe ici ร  un costume rayรฉ tennis bleu marine, elle incarne l’archรฉtype du businessman rigoureux : celui qui maรฎtrise les codes, respecte les conventions et ne laisse rien au hasard.

Les rayures tennis, particuliรจrement fines et serrรฉes comme on les observe sur ces photos, รฉvoquent immรฉdiatement l’univers de la finance et du conseil. La construction croisรฉe renforce encore davantage le caractรจre formel de l’ensemble : la superposition des pans, les revers gรฉnรฉreux et le boutonnage haut confรจrent une stature imposante qui appelle naturellement la richelieu la plus stricte.

Le manteau ร  chevrons gris portรฉ par-dessus prolonge cette approche structurรฉe : on reste dans un registre business britannique assumรฉ, presque vintage, qui rappelle les dirigeants d’entreprise des annรฉes 1950.

Contrairement au bout fleuri qui autorise une certaine souplesse ou ร  la richelieu ร  dรฉcoupes multiples qui introduit un peu de lรฉgรจretรฉ, le bout droit affirme une sobriรฉtรฉ totale. Sa ligne รฉpurรฉe et rectiligne signale sans ambiguรฏtรฉ un positionnement professionnel sรฉrieux. C’est la chaussure des transactions importantes, des conseils d’administration et des prรฉsentations stratรฉgiques.

C’est prรฉcisรฉment lร  que rรฉside l’intรฉrรชt de cette paire : le talon cubain, lรฉgรจrement surรฉlevรฉ et incurvรฉ, apporte une note singuliรจre sans compromettre la formalitรฉ de l’ensemble. Cette fantaisie technique reste invisible au premier regard mais modifie subtilement la posture et la dรฉmarche : on gagne quelques centimรจtres, la silhouette s’รฉlance davantage.

Les chaussettes ร  rayures vertes visibles sur le gros plan confirment cette approche : on respecte scrupuleusement les codes formels tout en s’autorisant des dรฉtails personnels mesurรฉs. C’est l’รฉlรฉgance du professionnel accompli qui n’a plus besoin de prouver sa lรฉgitimitรฉ et peut se permettre ces touches de caractรจre.

De Cary Grant ร  James Bond : l’รฉlรฉgance britannique au cinรฉma

La richelieu noire ร  bout droit est la chaussure des gentlemen du cinรฉma. Cary Grant fixe le standard dans “North by Northwest” (1959), portant des oxblood cap-toe oxfords avec un costume en Glen plaid gris โ€“ la recette parfaite qui inspirera James Bond et Don Draper.

Pierce Brosnan puis Daniel Craig dans “Skyfall” et “No Time to Die” portent des Crockett & Jones Highbury, des Oxford noires particuliรจrement raffinรฉes. Colin Firth dans “Kingsman: The Secret Service” (2015) fait de la richelieu noire ร  bout droit un รฉlรฉment essentiel de l’uniforme des agents secrets. Patrick Bateman (Christian Bale) dans “American Psycho” (2000) incarne le pouvoir et la sophistication impeccable de Wall Street.

V. LE TALON CUBAIN : DE LA CAVALERIE PERSE AUX BEATLES

Ce qui unit ces trois modรจles, c’est un parti pris technique particuliรจrement rรฉussi : tous sont montรฉs en cousu Goodyear, garantissant soliditรฉ, longรฉvitรฉ et possibilitรฉ de ressemelage. Un choix cohรฉrent pour des souliers destinรฉs ร  un usage professionnel intensif.

L’รฉlรฉment le plus distinctif reste nรฉanmoins le talon cubain de 3,8 cm, lรฉgรจrement inclinรฉ vers l’intรฉrieur. Ce type de talon trouve ses racines dans la cavalerie perse du IXe siรจcle, oรน il assurait la stabilitรฉ dans les รฉtriers. Aprรจs avoir presque disparu du vestiaire masculin au dรฉbut du XXe siรจcle, il fut rรฉintroduit de maniรจre spectaculaire en octobre 1961 par les Beatles, qui commandรจrent leurs fameuses “Beatle Boots” chez Anello & Davide ร  Londres.

Les annรฉes 1960-1970 marquent l’apogรฉe du talon cubain. La “Peacock Revolution” lรฉgitime le talon masculin comme reconquรชte d’un style du passรฉ, rรฉfรฉrenรงant les talons de Louis XIV et la tradition flamenco espagnole. Des figures comme David Bowie, Elton John ou Prince portent des talons de plus en plus hauts. Mรชme les hommes d’affaires adoptent des talons lรฉgรจrement plus hauts dans les annรฉes 1970.

Aprรจs un dรฉclin dans les annรฉes 1980-1990, le talon cubain connaรฎt un retour contemporain depuis les annรฉes 2000, notamment grรขce ร  Hedi Slimane chez Dior Homme puis Saint Laurent. Ainsi, ce dรฉtail apporte ร  la fois du confort et une silhouette lรฉgรจrement plus รฉlancรฉe, sans verser dans l’excรจs. C’est prรฉcisรฉment ce qui confรจre ร  ces modรจles leur caractรจre lรฉgรจrement dรฉcalรฉ : suffisamment discret pour rester professionnel, suffisamment marquรฉ pour se distinguer.

La production est confiรฉe ร  des ateliers portugais reconnus pour leur expertise dans la fabrication de chaussures intemporelles.

VI. CHOISIR SA POINTURE

Pour รชtre le plus clair possible : รงa taille grand. Je prends personnellement une pointure de moins que d’habitude : lร  oรน je fais du 41.5 chez Crockett & Jones ou 7รจ Largeur, j’ai pris ici du 40.5.

Prenez tout de mรชme le temps de faire les quelques mesures suivantes, รงa prend 5 minutes et รงa รฉvitera 90% des erreurs.

Longueur :

  • Commencez par poser une feuille de papier au sol. Placez-vous dessus en portant les chaussettes que vous comptez utiliser avec vos futures chaussures.
  • ร€ l’aide d’un crayon, dessinez le contour de votre pied en maintenant le crayon bien perpendiculaire.
  • Une fois le contour rรฉalisรฉ, tracez deux repรจres horizontaux : l’un au niveau du talon, l’autre ร  l’extrรฉmitรฉ des orteils. La distance entre ces deux points vous donnera la longueur exacte de votre pied.

Largeur :

Pour obtenir une mesure prรฉcise, repรฉrez d’abord la partie la plus large de votre pied : elle se situe gรฉnรฉralement au niveau des articulations mรฉtatarso-phalangiennes. Enroulez ensuite votre mรจtre ruban autour du pied ร  ce niveau prรฉcis, en veillant ร  ce qu’il soit bien horizontal et ni trop serrรฉ ni trop lรขche.

Pointure38.038.539.039.540.040.541.041.542.0
Longueur (mm)238.4241.7245.0248.4251.7255.0258.3261.7265.0
Largeur D (standard)232.0234.3236.5238.8241.0243.3245.5247.8250.0
Largeur E (large)241.0243.3245.5247.8250.0252.3254.5256.8259.0
Largeur EE (trรจs large)245.5247.8250.0252.3254.5256.8259.0261.3263.5
Pointure42.543.043.544.044.545.045.546.046.5
Longueur (mm)268.3271.7275.0278.3281.7285.0288.3291.6295.0
Largeur D (standard)252.3254.5256.8259.0261.3263.5265.8268.0270.3
Largeur E (large)261.3263.5265.8268.0270.3272.5274.8277.0279.3
Largeur EE (trรจs large)265.8268.0270.3272.5274.8277.0279.3281.5283.8
Pointure47.047.548.048.549.049.550.0
Longueur (mm)298.3301.6305.0308.3311.6315.0318.3
Largeur D (standard)272.5274.8277.0279.3281.5283.8286.0
Largeur E (large)281.5283.8286.0288.3290.5292.8295.0
Largeur EE (trรจs large)286.0288.3290.5292.8295.0297.3299.5

CONCLUSION

Cette collaboration propose trois modรจles essentiels du vestiaire business, exรฉcutรฉs avec soin et dotรฉs d’un caractรจre bien particulier grรขce ร  ce talon cubain inspirรฉ des annรฉes 1950-1970. Ces souliers ne sont pas de simples accessoires : ils portent en eux des dรฉcennies d’histoire, des campus d’Ivy League aux bureaux de Wall Street, des podiums milanais aux รฉcrans de cinรฉma.

Bref, ces modรจles s’adressent ร  ceux qui recherchent des souliers ร  la fois solides et confortables, mais qui apprรฉcient aussi ce supplรฉment d’originalitรฉ discrรจte qui fait toute la diffรฉrence. Un clin d’ล“il ร  l’histoire de la mode masculine, tout en restant rรฉsolument contemporains. La livraison est prรฉvue pour fin janvier 2026 dans le cadre d’une commande groupรฉe.

Valery

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