Je vous propose aujourd’hui une petite pause entre les articles conseils et les sélections pour s’intéresser davantage à la mode en général.
Avant de vraiment travailler dans le milieu, je croyais que lancer une collection était un risque énorme, avec un investissement conséquent, et qu’on ne pouvait pas vraiment en vivre avant des années.
Et bien, c’est le cas, mais ce n’est pas un effort si inaccessible que ça : plus besoin en tout cas d’être un riche héritier ou de faire un emprunt sur 15 ans pour se financer. Avec juste une idée en poche, un concept détaillé et une organisation bien en place, il est possible de se lancer en minimisant les risques, en particulier grâce au crowdfunding.
On va du coup s’intéresser à quelques marques prometteuses, qui se sont lancées grâce au crowdfunding, ou qui utilisent ce levier pour continuer l’aventure.
Au delà de belles aventures entrepreunariales, vous allez aussi découvrir des produits de qualité, que vous pourrez obtenir à un tarif privilégié grâce à un mode de financement avantageux.
Sommaire
Introduction: Le crowdfunding dans la mode, c’est quoi ?
Vous avez sûrement déjà entendu parler de crowdfunding avec des projets de grande envergure. On distingue deux types de financements et de contreparties:
–financer le développement du projet: Vous avez probablement déjà entendu parler de l’hoverboard de Retour vers le Future et de son projet de développement sur indiegogo. C’est un bon exemple de projet de crowdfunding très lourd en développement, et dont on a peu de chance de voir de vrais bénéfices, à moins d’y investir en masse.
C’est davantage un mode de participation pour lesquels les contreparties seront symboliques (une dédicace, un autocollant ou une maquette), et dont la principale satisfaction sera surtout d’avoir contribué au développement d’un projet qu’on juge important.
Une dérive possible, ce sont un peu tous ces projets de voyage qu’on peut voir sur Ulule et KissKiss BankBanks où certains internautes tentent de se faire financer leur road trip en lui donnant un vernis humanitaire ou sociologique, et avec des contreparties vraiment bidons (par exemple recevoir des photos de vacances). Il devient ici difficile de discerner les projets vraiment utiles de ceux plus opportunistes.
Tout de même 1464 projets de voyages financés
Pour en savoir plus sur ces crowdfunding douteux, je vous invite à lire l’article consacré à ce sujet de jetenculetherese, et le tumblr hilarant http://yourkickstartersucks.tumblr.com/
En tout cas, c’est un système qui est peu utilisé dans la mode. Et les rares qui ont essayé de se lancer se sont cassé les dents: la conception d’une collection ou d’un vêtement (patronage, sourcing, confection etc) s’organise en amont, avec des financements propres.
On peut en tout cas en voir beaucoup sur le site Iamlamode, il s’agit surtout de mode féminine.
Voici un schéma de veste, je ne sais pas exactement encore comment la faire mais donnez moi quand même 500 euros chacun car elle a l’air plutôt cool non ?
–faire une précommande: C’est le système le plus utilisé. Le porteur de projet a déjà au moins conçu un prototype, a un approvisionnement en matière première (tissus, boutons et autres finitions) assuré pour faire face à une demande importante. Le système des tailles est bien en place et l’atelier prêt à fonctionner. Dans l’idéal, on cherchera une idée originale et surtout pérenne: l’idée est qu’une marque avec une collection variée puisse être développée ensuite.
Ce système permet au créateur de limiter les risques, et de ne pas avoir de frais de stockage: les prix proposés sont donc d’autant plus intéressants.
I Gustin
Présentation de la marque
Gustin est un peu le pionnier du crowdfunding avec un projet Kickstarter lancé en Janvier 2013. Si c’est ce modèle économique qui l’a alors fait connaître, il faut malgré tout savoir que la marque existe depuis 2005 et qu’elle était déjà distribuée avant son kickstarter dans des multimarques prestigieux, au côté de marques comme APC et Nudie.
C’est dans une logique d’optimisation des coûts que Gustin s’est lancée: l’objectif était alors de mieux estimer la demande avant de lancer une production, et d’éviter ainsi les frais de stockage, la marge des distributeurs et de limiter les invendus.
Et ensuite ?
Gustin a été la première marque à populariser ce modèle économique via son Kickstarter: sa visibilité a donc pu lui permettre de lancer une plate-forme en propre de crowdfunding, où des dizaines de projets différents sont présentés chaque mois, en fonction des arrivages de matière première.
C’est donc un bel exemple de diversification qui nous est ici présenté, avec une identité de marque workwear affirmée et une offre devenue très variée.
Seul inconvénient: la marque repose encore entièrement sur le crowdfunding pour absolument tout ses articles, et il est très possible que ça rebute une bonne partie de sa clientèle qui voudrait davantage de flexibilité et de spontanéité sur ses achats.
II Léo et Violette
Ce n’est probablement pas la première marque française à se lancer dans le crowdfunding, mais c’est pour moi la plus ambitieuse à de nombreux points de vue.
1 Avoir l’ambition d’aller sur Kickstarter
Alors que de nombreuses marques ont publié leur projet sur ulule, Kiss Kiss Bank Bank ou indiegogo, Léo et Violette a fait le choix de Kickstarter. C’est un point que j’ai beaucoup apprécié car il apporte une véritable visibilité internationale au projet, en plus d’apporter une audience internationale conséquente propre à Kickstarter, justement en recherche de projets innovants.
Si les autres plate-formes ont le mérite d’être européennes ou françaises, elles sont par contre forcément moins ambitieuses en terme d’audience.
2 Un produit et une présentation en béton
Le produit: On va au delà du prêt à porter, puisque la marque présente une pièce de maroquinerie innovante, qui recquiert un savoir-faire élevé et un sourcing sans failles.
On voit d’emblée sur le projet que le prototype est finalisé ainsi que la production et le sourcing. Il est aussi parfaitement mis en valeur dans diverses situation de la vie quotidienne, et avec plusieurs exemples de produits à transporter.
La vidéo est elle aussi irréprochable:
Le petit cartable – Full video from Léo et Violette on Vimeo.
3 Communication et préparation
La communication de la marque: Elle est plutôt pérenne: on ne s’identifie pas seulement à un produit mais à l’univers développé par ce couple, celui d’un public urbain qui veut de belles pièces, avec un vrai cachet et un certain confort d’utilisation. La vidéo y est pour beaucoup.
Dans cet article de BonneGueule, Léo et Violette expliquent aussi simplement comment ils ont réussi à bien préparer le lancement de leur Kickstarter, en mobilisant leurs proches et en atteignant le plus de clients potentiels avant même le démarrage du Kickstarter, pour s’assurer dès le début une levée importante.
4 Un avenir prometteur
La gamme: La marque a su développer un bel univers de marques autour du Petit Cartable avec d’autres produits au moins aussi innovants comme le sac à dos, le 48H et la pochette. Tout comme pour Gustin, ce premier succès a entraîné la marque dans un cercle vertueux.
Point différenciant: la marque a réussit à se détacher du crowdfunding pour adopter une distribution plus classique sur son e-commerce. C’est pour moi un point plutôt positif, qui vous permet d’être gagnant au niveau flexibilité et délais de livraison.
Bref, ça se passe par ici.
III Jacques et Démeter
Le crowdfunding quand on a déjà quelques années
Jacques et Démeter est un cas un peu particulier, puisque là encore c’est une marque qui existait déjà depuis un certain temps, avec une forte présence en ligne (sur son e-shop propre, mais aussi sur l’Exception).
Le crowdfunding sert ici à présenter une collection plus ambitieuse et variée, pour mettre en valeur des modèles qui n’existent pas encore et qui auraient représenté un gros risque commercial.
On est en présence d’une marque déjà bien établie, donc ce n’est pas forcément le projet le plus innovant mais cela reste une excellente manière d’obtenir un produit d’un très bon rapport qualité/prix à un tarif encore privilégié.
2 Faire le point sur la collection
Pour les créateurs, c’est aussi un excellent moyen de faire le point sur leur collection et de voir quels modèles fonctionnent ou pas: le modèle original de crowdfunding leur permet d’attirer l’attention d’un public qui ne connaissait pas encore forcément la marque, et de recueillir des feedbacks supplémentaires pour se diversifier ensuite de manière saine.
Il faut savoir qu’il n’est pas facile de proposer des collections avec des dizaines de produits différents car c’est le développement des prototypes qui est le plus coûteux et le plus risqué. C’est encore plus le cas pour des chaussures: ici Jacques et Demeter proposent à la fois du montage Blake et du Norvégien pour leurs semelles.
3 Un risque élevé pour une marque établie
Le risque est par contre beaucoup plus élevé dans le cas de Jacques et Demeter: si vous vous rendez sur leur site e-commerce, vous vous rendrez compte que quasiment tous les modèles vendus actuellement (mis à part ceux de l’outlet) sont en fait liés à la précommande Ulule.
C’est assez rare de voir une marque déjà existante consacrer l’intégralité de son site e-commerce (et donc une bonne partie de ses revenus) à un projet Ulule, qui sera forcément plus risqué qu’un processus d’achat « normal ».
Les double boucle marron, mon gros coup de coeur de cette collection.
Je salue vraiment cette démarche courageuse et j’espère qu’elle portera largement ses fruits. Vous pouvez y contribuer ici.
IV Les inconvénients
1. Le manque d’identité
Après ces quelques études de cas (et excepté évidemment le produit d’information), on peut facilement identifier un pattern (une structure) très similaire assez commune à tous ces projets.
Réduire les coûts en excluant les intermédiaires et les frais de stockage
– Relocaliser : une optimisation des coûts qui permet de s’offrir une production Made in USA ou Made in France
– Certaines marques tombent généralement dans un design basique ultra épuré pour toucher le plus de monde possible, avec une coupe ajustée, slim mais pas trop.
Comme le blog Rawrdenim l’avait justement souligné, cette idéologie de marque peut parfois sembler caricaturale et se résume en une phrase, qui peut désigner bien des marques :
« We’re cutting out the middleman so we can take the same high-end garment found in an exclusive boutique and deliver it to you wholesale, right to your doorstep, for a third of the price. It’s made in the USA to the same high standards and with the same great materials in a classic yet modern fit that’s slim, but not too slim. Plus it’s built to last so you can wear it for years to come! »
Traduit ça donne ça, et c’est assez représentatif de la tendance actuelle.
« On exclut les intermédiaires pour vous fournir un vêtement haut de gamme normalement disponible en boutique de luxe et vous le vendre à prix de gros, livré à domicile.
Ils sont fabriqués aux Etats-Unis/en France avec les mêmes standards et les mêmes matières premières que les produits haut de gamme, avec une coupe ajustée, slim mais pas trop. Ces vêtements sont confectionnés pour durer, de manière à les porter pour des années à venir. »
C’est certes une initiative louable, mais à force de chercher le basique intemporel épuré, ne s’habillera t’on pas tous exactement de la même manière ?
2. Le cas des t-shirts
Les projets de t-shirts fourmillent eux aussi sur les sites de crowdfunding, et ils n’ont bien souvent pas de réelle innovation au niveau du produit en lui-même (coupe, matière etc). Tout se situe dans l’imprimé, donc avec une valeur ajoutée assez médiocre.
Le souci, c’est que ces projets occupent bien souvent beaucoup trop d’espace dans les catégories mode de crowdfunding et ne laissent pas assez de place à la vraie confection de vêtements. D’autant plus que la création d’une ligne de tee-shirts peut facilement s’autofinancer, avec à peine quelques mois d’économies.
Le site ulule recense tout de même 1177 projets de financements de t-shirts.
Le tumblr http://etsionfaisaitunemarque.tumblr.com/ en parle plutôt bien. (par contre, quasiment aucun des t-shirts de ce tumblr n’a utilisé le crowdfunding, mais ils illustrent bien le propos sur la valeur ajoutée).
Et si on levait 10000 euros pour financer la production massive de ce beau débardeur ?
Qu’en pensez-vous ?
Avez-vous déjà soutenu des campagnes de crowdfunding lancées par des marques de mode masculine ?
Voyez-vous ça comme un moyen efficace de lancer la votre ?
Super article Valéry. Nous aurions une petite expérience à te raconter subsidiairement 😉
Superbe article, je peux en attendant vous donner quelques retour positif de ce financement avec deux exemples concret dans ma ville de Romans sur Isère: Les Jeans et sneackers 1083 et les chaussures de foot Milemil.
Pour les sneackers et les chaussures, cela a permis de relancer l’économie de la chaussure tombée bien bas ces derniers temps dans notre ville jadis « capitale française de la chaussure »… Nous avions le savoir-faire et les entreprises, il ne manquait que les bonnes idées…
Aujourd’hui, 1083, c’est 7550 commandes passées depuis mais 2013… et Milemil a élargi sa gamme avec des chaussures dites « coté ville » pour tous les jours….
Après avoir travaillé chez les deux plus grande marques de maroquinerie de luxe françaises,ma copine va passer par ce type de financement pour sa marque de maroquinerie pour homme d’ici fin avril. Cela lui permettra de financer ce projet et ce lancer ensuite dans la distribution de ses créations faites à la main…
Merci de ce feedback, je vais jeter un coup d’oeil à 1083 !