LA DEMI-MESURE AVEC LE PLUS HAUT DEGRÉ DE PERSONNALISATION
Avoir l’impression de progresser et toujours en apprendre plus..
C’est un peu ce qui me stimule à continuer à écrire sur JamaisVulgaire après plus de 4 ans, et c’est assez humain car écrire des articles sur des pièces qui suivent toutes le même créneau et sont construites de la même façon devient au bout d’un moment très mécanique (et on ne fait pas un blog de mode masculine pour se retrouver avec un travail mécanique).
Et j’ai justement pu retrouver un peu de nouveauté et approfondir considérablement mes connaissances sur le costume en testant la marque Les Francs-Tireurs, fondée par Yves Chadeyras et Marion Couraud, et âgée d’à peine 2 ans. On a ainsi pu aller beaucoup plus loin que les finitions classiques qu’on analyse habituellement et les notions déjà survolées comme l’entoilage.
I PRÉSENTATION DES FRANCS-TIREURS
Yves possédait auparavant déjà sa propre marque et confectionnait ses costume chez un grand groupe dont l’atelier principal est en Roumanie et qui produit pour pas mal de marques moyen de gamme en prêt à porter et pour de nombreuses marques en demi-mesure. Ce gros fabricant spécialisé dans le costume a l’avantage d’avoir une mécanique ultra rodée et de proposer aux tailleurs des liasses de tissus qualitatives à des prix imbattables grâce à de belles écconomies de volume.
Bref, c’était l’idéal pour proposer de bons costumes, à de bons rapports qualité/prix.
Yves a cependant par la suite voulu donner un positionnement plus haut de gamme à son offre, et surtout davantage se faire plaisir en personnalisant davantage ses costumes, et en travaillant plus en profondeur sur la coupe et les spécificités morphologiques de ses clients.
Tout ce travail supplémentaire se remarque en fait à travers tout un tas de différences ultra subtiles qui se remarquent à peine prises séparément, et qui font toute la différence sur le costume dans son ensemble (en particulier quand on l’enfile).
1 L’entoilage
Sur le papier, il est évident qu’un entoilage complet (aussi appelé “montage traditionnel/ full trad” chez la plupart des tailleurs demi-mesure) est la meilleure option pour les costumes toutes saisons (et évidemment pas forcément pour les costumes d’été vu que ça leur donne beaucoup de poids et que ça tient plus chaud).
J’ai lu de nombreuses fois que tous les entoilages ne se valaient pas, mais évidemment c’est bien compliqué de s’en rendre compte en pratique car on a rarement l’occasion de faire des comparaisons d’entoilage. (et il faut déjà être certain d’essayer des vêtements d’ateliers différents, sinon c’est peu ou prou le même montage).
Je n’avais justement pas encore eu l’occasion de le faire avant que Nicolas Gabard (de Husbands) me fasse essayer ses vestes sur lesquelles j’ai senti une énorme différence assez compliquée à expliquer: un peu comme si je me retrouvais enveloppé d’une armure qui va s’assouplir au fur et à mesure de mes ports.
C’est justement une impression similaire que j’ai eu au tout premier essayage de la veste du costume: elle est pourtant ici semi-entoilée mais l’entoilage réside justement dans le haut du torse (sur les épaules et sur le devant du torse). Ce semi-entoilage est donc un peu plus lourd et rigide qu’à l’accoutumée mais il gardera un peu mieux les formes une fois bien ajusté. (c’est un peu comme les jeans bruts, une toile lourde et rigide sera ensuite mieux ajustée, ainsi que plus résistante et durable qu’une toile plus légère et moins qualitative).
Il n’y a ensuite pas vraiment de secrets, un entoilage complet prends ici plus d’une journée à faire.
En option: l’entoilage complet
La position du premier bouton
Il doit normalement se situer 10 cm au dessus du nombril pour avoir une longueur de revers optimale qui mette bien en valeur les épaules. (c’est le rôle des revers d’un costume: dessiner un V sur le torse pour qu’ils donne une impression de largeur au niveau des épaules). S’ils sont trop courts, l’effet tombe à l’eau et s’ils sont trop longs le rendu est trop casual.
Les poids dans les pans
Des poids sont placés dans les pans à l’arrière du costume, ce qui permet un meilleur tombé au niveau du dos qui se plaque mieux et qui suit mieux le dos.
La ligne d’épaule
Une finition assez emblématique des temps modernes: de manière générale, nous avons une ligne d’épaule de plus en plus en avant vu qu’on passe beaucoup de temps devant un ordinateur dans une position qui est donc penchée. (sans oublier qu’on a tendance à se tenir en général de moins en moins droit, surtout dans les transports quand après avoir passé la journée sur son ordinateur on reste en plus plus ou moins penché sur son écran de smartphone).
Vous aurez du coup généralement des plis dans le prêt à porter au niveau de la ligne d’épaule, qui s’est rarement ajustée à cette nouvelle particularité.
C’est en ajustant ainsi la ligne d’épaule à proprement parler (c’est à dire la couture apparente qui va du col à l’épaule) qu’on peut atténuer les plis. Les ateliers qui proposent ce degré là de personnalisation sont rares mais celui avec qui travaille Yves en fait justement parti et permet de déplacer la ligne d’épaule au centimètre près.
La coupe
Tout peut d’ailleurs se customiser au centimètre près, ce qui facilite notamment la répartition du tissu de la veste à l’avant, à l’arrière et sur les côtés. On peut ainsi obtenir une veste impeccablement fittée dans le dos, avec la marge qu’il faut à l’avant et avec un rendu très proche du corps sur les côtés en optimisant la répartition du tissu sur ces trois axes.
Les épaules
Si vous avez déjà lu le guide ultime du costume, vous savez déjà qu’on analyse une épaule en regardant en fait deux parties différentes: la cigarette et le padding.
Le padding est en fait le rembourrage situé sous la ligne d’épaule qui permet de renforcer l’épaule en hauteur dans le cas où on a une épaule un peu basse (et ça arrive souvent en demi-mesure vu que c’est justement là qu’on remarque qu’une épaule est plus basse que l’autre et qu’on corrige ce défaut).
Ca peut aussi arriver si on a les deux épaules un peu trop basses, ou si on veut faire de son costume un power suit très business, qui vise à renforcer la carrure.
La cigarette est quant à elle le petit rembourrage tubulaire qu’on observe en tête d’épaule: elle vise surtout à renforcer l’épaule horizontalement (ce qui permet aussi de donner plus de carrure).
On peut avoir une cigarette plus ou moins renforcée qui peut soit souligner l’épaule, soit carrément légèrement l’élargir (mais ce qui n’est pas forcément conseillé).
Ainsi, une épaule sans padding ni cigarette est une épaule naturelle (sur laquelle on pourra éventuellement retrouver la fameuse finition spalla di camicia) qui donne les mêmes plis que sur une chemise.
Voici différents exemples de paddings et têtes d’épaule que les Francs-Tireurs proposent:
-cigarette peu marquée, classique
-cigarette marquée pour un look un peu plus structuré
– épaule napolitaine, avec fronces – que les anglais appellent shirring
-épaule napolitaine sans fronces « Spalla di camicia »
II PRISE DE MESURE ET CHOIX DU COSTUME
Le processus
Lors du premier essayage du vêtement fini, entre 4 et 5 semaines après la prise de mesure, on confirme: le tombé du vêtement, le cintrage, la longueur du pantalon, son fit, etc.
Si ajustement(s) il y a, un couturier parisien s’en charge et le vêtement est prêt pour un second essayage 1 semaine à 10 jours après.
Le costume testé
Yves m’a proposé de tester l’entrée de gamme qu’il vient de mettre en place à 650 euros confectionnée à partir d’un sergé de laine Vitale Barberis Canonico tout simple 4 saisons super 110.
J’avais déjà pratiquement tous les types de costume bleu possibles, mais je n’avais pas encore de costume gris vraiment formel (à l’exception du costume Characters, mais dont les proportions ont un gros parti pris créatif qui ne le rendaient pas vraiment adaptés à un vrai port formel).
Au coup de coeur, j’aurais été tenté de prendre un croisé uni dans l’une ou l’autre couleur, mais le choix raisonnable était davantage le deux boutons gris classique.
Yves a d’emblée bien saisit mes préoccupations et m’a proposé spontanément les choix qui correspondaient à ce registre.
Les revers
Voici un parti prit que j’aime beaucoup chez les Francs Tireurs: Yves fait un effort particulier pour sensibiliser ses clients à ce que doivent être des revers bien proportionnés, et ne cède que rarement à d’éventuels clients trop influencés par la mode qui voudraient des revers trop fins pour eux.
Ca fait assez plaisir de voir un tailleur chez qui on voit, autant sur les mannequins que sur les racks, des costumes dont les revers ont des dimensions un minimum correctes.
Les poches
On a opté pour la configuration classique des costumes formelles: des poches à rabats latérales standards légèrement en biais. On rajoute à ça la poche ticket au dessus de la poche latérale droite qui donne tout de suite une touche beaucoup plus habillée. Généralement, la poche ticket est caractéristique des vestes de costume qu’on évite de dépareiller.
La doublure
Même chose sur la doublure où on a opté pour un violet foncé parfait pour du formel. (on aurait éventuellement pu prendre une doublure plus claire ou à micro motifs pour des pièces plus casuals dépareillables).
J’ai voulu ici partir sur un haut et bas pas forcément destinés à être dépareillés, étant donné que la texture assez lisse du costume et le gris très foncé en font déjà de toutes façons un ensemble formel.
Le pantalon
Là aussi, on est complètement sur du formel avec un pantalon taille haute et des finitions bien plus habillées.
J’ai voulu pour une fois un pantalon à porter sans ceintures (je n’en avais pas encore): on a donc pas de passants mais des boucles de serrage sur les côté qui apportent une certaine élégance au tout (je trouve ça d’ailleurs bien plus élégant qu’un pantalon de costume porté avec une ceinture même bien choisie).
Les poches latérales sont très classiques et légèrement en biais (on aurait pu faire dans l’originalité et les choisir verticales, c’est un parti pri un peu tailleur qui n’ajoute selon moi pas grand chose en terme de confort).
Rien à signaler non plus sur les poches à l’arrière, extrêmement classiques.
III CONSEILS DE STYLE
Avec ce type de finitions, on reste forcément sur des tenues formelles, ou au moins habillées (on a tout de même pu dépareiller la veste avec un résultat correct) .
La tenue habillée
Ici, avoir un costume au tissu relativement lisse permet d’aller dans l’originalité sur tout le reste de la tenue. J’ai donc opté pour une chemise en demi-mesure Howard’s avec des rayures verticales bleu marine très business et dont la particularité réside surtout dans le pin collar.
Etant donné que le tout reste très neutre d’un point de vue motifs et couleurs, on a pu se faire un peu plaisir sur la cravate et la pochette, qui viennent toutes deux ici des Francs Tireurs. (j’ai d’ailleurs eu un gros coup de coeur sur la cravate avec une variation de motifs madder réinterprétée).
La tenue dépareillée les francs-tireurs
Forcément, on a fait le choix d’un pantalon en flanelle plutôt simple pour faire ce dépareillé, de manière à assurer un contraste de couleurs sans failles et à donner un peu de caractère à la tenue.
Ici, je porte une chemise en dobby Première Manche et encore une fois une cravate et une pochette les Francs-Tireurs.
CONCLUSION
Note formelle: 10/10 (un costume gris deux boutons est l’une des premières acquisitions à faire pour le boulot)
Note casual: 3/10 (le pantalon et la veste peuvent se dépareiller, mais en restant dans un registre habillé)
Prise de risques: 0/10 (c’est un basique pour le boulot)
Rapport qualité/prix: 10/10 (pour 650 euros, il s’agit d’un excellent rapport qualité/prix pour de la demi-mesure avec un travail poussé sur la morphologie et sur les finitions)
J’ai été très satisfait de mon expérience chez Les Francs-Tireurs: Yves procède à une analyse minutieuse de la morphologie et à des ajustements précis, qu’on voit encore très rarement ailleurs en demi-mesure. Les possibilités offertes par son atelier sont assez impressionnantes et la qualité de l’entoilage et des autres finitions appréciables.
Le travail stylistique sur les épaules et les pinces du pantalon est un peu plus prononcé qu’ailleurs, et Yves laissera surtout rarement un client lui imposer des revers ultra fins comme la mode actuelle le dicte souvent. Beaucoup de parti pris stylistique j’ai bien apprécié.
L’adresse:
89 rue du Faubourg Saint Antoine, métro Ledru-Rollin ou Bastille
Le noir est beaucoup moins risqué que le marron en tout cas 🙂 Mais pour un rendu plus habillé tu peux risquer le bordeau/aubergine aussi.
C’est un tissu super 110’s normal.
J’ai choisis un peu plus court que la longueur standard pour ma morphologie: sinon ça donnerait une veste un peu trop longue qui rallongerait mon torse et me rendrait plus petit visuellement.
Pas de collar gap a priori mais il y a dû y avoir une pose malheureuse.
Bonjour !
Je vis à Bordeaux donc la seule marque de demi-mesure qui vaille le coup est Blandin&Delloye. Mais comme Valéry a essayé B&D et Les Francs-Tireurs pourrait-il me parler de ces deux marques et notamment me dire laquelle il préfère et pourquoi ?
Merci de ce que vous faîtes !
Anthony
Bonjour !
À Bordeaux nous n’avons que Blandin et Delloye qui propose du sur-mesure de qualité. Mais si vous deviez comparer B&D et les Francs-Tireurs lequel emporterait la comparaison ? Et surtout pourquoi ? Je sais que vous aviez eu l’opportunité de tester les deux marques alors je suis très curieux de connaitre votre avis sur la question 🙂
Merci !
Bonjour, actuellement à la recherche d’un 3 pièces, en demi-mesure, et à la lecture de vos articles, j’hésite véritablement entre l’atelier mesure ainsi que les francs-tireurs, que me conseillez-vous? Sachant que je recherche un costume gris moyen ou anthracite à rayure craie avec un revers large (sans être sur du uomo) dont je pourrais choisir la hauteur, je vous montre une illustration ci-jointe.
En vous remerciant par avance.