S’il y a un sujet que l’on a pas encore beaucoup abordé jusqu’à présent, il s’agit bien du Made in France.
Pourquoi ? Car l’expression a malheureusement été bien galvaudée depuis l’actualité d’Arnaud Montebourg, du Slip Français ou encore d’Armor Lux.
Pêle-mêle, on se retrouve avec des produits aux processus de fabrication souvent flous, avec parfois seulement la dernière étape de production réalisée en France (l’étiquetage dans les cas les plus vicieux). On ne parle même pas des marques qui se revendiquent comme « marques françaises » (seulement car les créateurs sont français) mais qui se content d’un vague import export de produits Alibaba, vaguement rebrandés au moment de la distribution.
Il fallait donc une marque engagée à 100% dans le process, si possible sur un produit recherché, dont la France ne s’était pas forcément faite une spécialité.
S’il y avait bien une marque qui cochait toutes ces cases, c’était bien DAO, une marque fondée à Nancy par Dao Davy qui propose depuis cette année le denim Stanislas, le premier denim français dont la toile elle aussi est confectionnée en France.
Sommaire
I Histoire de la marque
L’histoire de Davy
Davy Dao a une véritable histoire de self-made-man : il grandit dans une famille de 8 enfants aux moyens modestes, et doit donc porter logiquement les vêtements de ses aînés, pas toujours adaptés à sa taille mais ajustés du mieux possibles par sa mère couturière.
C’est à partir de 14 ans qu’il se prend au jeu et qu’il effectue ses premières altérations sur un baggy Levi’s. En parallèle, il travaille comme vendeur dans des multimarques spécialisés dans le denim pour approfondir sa connaissance du marché, en plus de faire ses armes dans la technique.
Vient alors le moment de se lancer, et Davy se pose forcément une question cruciale : fabriquer au Vietnam (le pays d’origine de ses parents, a priori une solution intéressante en terme de coûts de production) ou en France.
Et forcément, tout l’incite initialement à produire au Vietnam, où il se rend en 2012 et y reste une année : il y passe énormément de temps dans les ateliers mais réalise rapidement le manque de transparence sur les conditions de travail, notamment l’âge des ouvriers.
Les débuts en France
A son retour, il décide ainsi de produire en France, de manière plus transparente et responsable et ouvre son premier atelier: 3 machines dans son studio de 21m carrés.
Sa première boutique ouvre en 2014 à Nancy, près de la place Stanislas : elle est appelée Denim Fabric et propose des jeans sur-mesure (en terme de coupes, finitions, tissus) grâce à la maîtrise verticalisée de la production de Davy.
Le premier crowdfunding prometteur de la marque
C’est fin 2015 que Davy veut aller plus loin et proposer des modèles de série, mais toujours personnalisables via la plate-forme KissKissBankBank : c’est le Type 5 qu’il propose. Un demi-slim classique avec une belle toile chevrons 14 oz, un fil de couleur champagne ou rouge pour 120 euros : assez imbattable pour un jean fabriqué en France et une toile ultra quali 98% coton et 2% lin, d’un petit atelier japonais (avec une texture nid d’abeille qui, pour la petite histoire vient à la base d’une erreur de conception).
Avec une centaine de jeans vendus (pour une production à l’époque de 30 à 50 jeans par mois) et 12000 euros de CA dégagés, ce crowdfunding est une belle première étape pour aller plus loin en rentabilisant la marque.
Ce Type 5 était un jean de référence pour la marque: Davy avait d’ailleurs déjà longuement expérimenté sur le modèle en le déclinant de manière assez originale:
– avec une braguette en kevlar:
– un modèle pour les cyclistes avec bandes de sécurité, le Self-Edge Cyclo
– un modèle avec empiècement en carbone, référence à la Formule 1
Entre 2016 et 2018, Davy continue tranquillement son développement en s’attaquant à la blogosphère avec un premier article sur CommeUnCamion, et aussi un premier trophée CommeUnCamion.
Le DenimLin, une belle consécration
Davy poursuit sur sa lancée en 2018 : il ne s’agit plus alors simplement de proposer du prêt à porter classique mais de pousser le concept beaucoup plus loin avec le premier jean 100% français, entièrement en lin sur Ulule.
L’enjeu devient alors de proposer une production qui soit à la fois vraiment locale, et aussi plus écologique : le lin cultivé en Normandie, et peu consommateur d’eau était pour cette problématique la meilleure alternative au coton.
Si les jeans 100% lin n’existaient pas encore à l’époque, ce n’était pas un hasard : il faut en fait le mélanger à de l’élasthane pour un minimum de confort, et les coûts en R&D sont excessivement lourds : le tissu baptisé DenimLin demande ainsi 24 mois de développement réalisés en collaboration avec le fabricant de textile vosgien Valrupt Industrie.
La campagne est conclue avec succès à 750% et plus de 122000 euros de collectés : une étape supérieure est franchie dans le développement de la marque.
Elle permet de pérenniser des emplois supplémentaires et aussi de proposer une première vraie gamme de prêt à porter.
L’histoire de la marque est assez longue, mais elle vous permet de comprendre tout le chemin parcouru pour arriver au denim Stanislas.
Transparence complète du sourcing
Si le produit en lui-même est déjà un bel exemple de transparence à tout point de vue, DAO n’a pas non plus lésiné sur les à-côtés: les cartons viennent d’Eloyes, les étiquettes de la région de Troyes. Les boutons pression et rivets viennent quant à eux d’Italie et les patchs en cuir d’Espagne.
Les cartons (baptisées DenimBox) sont d’ailleurs inspirées de boîte à bières et sont un bel exemple de créativité.
Tout ce qui a pu être produit en France, dans des coûts raisonnables, l’est et le reste est 100% européen.
L’obsession du rapport qualité/prix
A ce niveau de prix, on ne s’en rend pas forcément compte, mais le rapport qualité/prix est tout simplement exceptionnel pour des jeans avec cette qualité de matière, ces finitions et une fabrication en France.
Davy attache beaucoup d’importance à faire le plus possible en interne, de manière intelligente, pour comprimer le plus possible les coûts: patrons, coupe, fabrication et création. C’est un véritable état d’esprit « Système D » qui se voit par exemple à travers l’acquisition d’un équipement de production d’occasion, dégoté chez des petits ateliers et parfois même chez des particuliers, à moins de 4000 euros (alors que cet équipement vaut normalement entre 15000 et 25000 euros).
On le voit aussi à travers le système de boutique-atelier qui intègre à la fois les activités de vente, création et production.
TEST DU DENIM STANISLAS : 100% français
Il s’agit d’un hommage à Nancy et de la place Stanislas, proche de la boutique DAO.
Celle-ci rend hommage au Duc de Lorraine Stanislas Leszczynski.
La matière: le premier selvedge français
Outre le fait qu’on ait à faire au premier selvedge 100% français, il y a beaucoup à dire sur le tissu en lui-même: un coton peigné doux et confortable.
Densité: les jeans classiques ont une densité de 25 fils au cm carré, le denim Stanislas a quant à oui une densité de 32 fils au cm , pour une robustesse supérieure.
Tissage: un tissage main droite right hand twill sur lequel le fil de trame écru n’apparaît pas. La toile est plus uniforme et le bleu plus profond
Teinture: ce bleu profond est accentué par une teinture à l’indigo naturel
A projet original, il fallait également un parcours original, et c’est bel et bien le cas de Cédric, le fondateur de la filature de Montbéliard. Issu de la finance, il cherche à se reconvertir et à trouver un métier plus manuel, une vocation plus concrète.
Passionné de mécanique, mais pas forcément d’automobiles ou de motos, il s’intéresse à l’univers du tissage et, tout comme Davy, se forme en autodidacte à force de lectures variées sur le sujet, et aussi forcément par la pratique sur des machines européennes.
Il franchit le pas en achetant une vieille machine à navettes Picanol de 1962 et, à force d’essais, réussit à produire le selvedge selon la méthode traditionnelle.
Voici l’interview vidéo de Cédric pour aller plus loin sur le sujet:
Poids
Le denim selvedge est plus lourd qu’une toile classique. Ici, le denim Stanislas pèse 13,5 oz: il s’agit d’un poids polyvalent qui assure à la fois un minimum de rigidité au jean, mais qui garantit également un minimum de confort au premier port, et un selvedge qui va s’assouplir relativement rapidement.
Finitions: un jean selvedge, qu’est ce que c’est ?
La notion parait aujourd’hui évidente tellement le terme est omniprésent, mais on s’est rarement arrêté pour se demander pourquoi c’était une finition à ce point recherchée, et plus coûteuse à produire.
Dans son article, Davy énumère 5 raisons:
– plus de tissu: entre 2,30 et 2,50m requis contre 1,20 et 1,50m de tissu pour un jean classique
- un placement beaucoup plus exigeant et chronophage: en particulier durant le matelassage (la superposition de couches de tissus), le denim doit rester bord à bord sur chaque extrêmité.
- le lieu de production: un selvedge recquiert des machines vintage spécifiques (à navette) avec une production assurée dans 5 pays: Japon, Etats-Unis, Italie, Inde et Chine. Deux pays tirent leur épingle du jeu: le Japon et les Etats-Unis.
- le poids: les jeans selvedge sont généralement plus épais (au moins 11 oz) et demandent donc des machines industrielles coûteuses, capables de traverser toutes les épaisseurs
Ourlet et trame selvedge
Le liseré selvedge reprend les couleurs du drapeau français: à partir de fil blanc et de fil rouge.
Etiquette en cuir faite en Espagne
Le denim Stanislas: un chino en denim
Il ne s’agit pas ici d’un jean brut, mais bien d’un chino (qui n’est donc pas forcément en gabardine de coton) : on retrouve les trois finitions classiques du genre.
Poches arrières passepoilées
Là où les jeans ont des poches plaquées (généralement avec un logo caractéristique à la marque), les chinos ont des poches passepoilées, rajoutées depuis l’intérieur du pantalon.
Les poches à l’italienne
Elle se situe entre la ceinture et la couture de côté. Détail original sur le denim Stanislas: une petite poche supplémentaire dans la poche de droite, bien pratique pour y ranger de la monnaie ou ses clefs.
Passants
Sûrement une des finitions qu’on survole d’habitude assez rapidement (surtout vu le nombre de pantalons à pattes de serrage testés dernièrement): on ne s’en rend plus forcément compte sur la plupart des chinos, mais ils sont traditionnellement plus fins que sur les autres pantalons, et surtout ils sont rabattus sous la ceinture.
Dans un processus classique de confection du chino: on les cout au pantalon d’abord avant de poser la ceinture.
Rien de spécial à dire sur la braguette en elle-même. Rappelons cependant le souci de la production localisée de Dao avec des boutons pression et rivets sourcés en Italie.
Conseils de style
Il s’agit d’un chino en denim selvedge qui se portera très facilement avec la plupart de vos tenues casuals. Ici, je le porte avec des sneakers Belledonne, un bomber Gastby et un t-shirt JamaisVulgaire. On reste sur une tenue bleu marine très facile à porter qui joue surtout sur le contraste de matière entre le bleu profond du pantalon et le bleu plus lumineux du bomber Gastby.
A noter qu’il s’agissait ici du tout premier port du jean, qui va par la suite légèrement se détendre.
Conclusion
Chez JamaisVulgaire, on adore les marques verticales, qui possèdent leur propre appareil de production: d’une part pour le rapport qualité/prix et d’autre part pour leur histoire riche, faite d’évolutions techniques permanente, et d’une volonté de se surpasser.
Si nous avons déjà eu l’occasion de tester des marques centenaires comme Orient, Timex ou Vetra, qui ont déjà chacune à leur manière marqué l’histoire, c’est une vraie chance de pouvoir tester une marque avec un potentiel similaire, mais qui n’est qu’au tout début d’une formidable ascension.
Le Denim Stanislas symbolise en tout cas à merveille tout ce travail à travers un excellent rapport qualité/prix et une production locale qui importe pour la première fois un savoir-faire textile traditionnel pointu (le selvedge) en France.
Le Denim Stanislas est disponible ici à 150 euros.