Cet article est un peu spécial, ce n’est sûrement pas le premier test d’un tailleur en demi-mesure, mais par contre c’est la première fois que celui-ci est à l’étranger, et plus précisément à Genève: voici ce qu’a donné notre premier costume sur-mesure à Genève.
Je suivais déjà depuis quelques temps le compte Instagram de Berence Genève et j’avais été particulièrement séduit par les illustrations réalisées avec Andrew Mashanov (un de mes derniers coups de cœur dans le cercle des illustrateurs menswear).
(de là à dire que ces illustrations ont influencé mon choix de costume, il n’y a qu’un pas 😉 )
En me promenant sur ce compte Instagram, je tombe aussi sur de belles matières (de très beaux Prince de Galles), et des finitions originales (notamment des ghurkas trousers très réussis).
J’accepte donc l’invitation de Tarik, fondateur de l’enseigne à venir tester sa prestation Signature pour un costume et Red line pour une chemise.
Sommaire
I HISTOIRE DE LA MARQUE
Les débuts n’ont pas grand-chose à voir avec la mesure puisque Berence commence par un polo de prêt à porter moyen de gamme, qui se distingue notamment par une fermeture avec passementerie personnalisable.
Il est distribué à 120 euros par un circuit de distribution classique : le succès est relativement rapide et de nombreux points de ventes se laissent tenter par ce polo discrètement réinterprété.
En 2014, beaucoup de multimarques, dont les points de ventes de Berence Genève sont en crise et peinent à être compétitifs : Tarik comprends rapidement qu’il est temps de sortir du schéma classique des marques de créateurs et de leur vastes collections de prêt-à-porter sorties avec plusieurs saisons d’avance.
C’est l’annulation d’une commande d’un gros department store qui le pousse en 2015 à changer de business model.
L’un de ses derniers distributeurs est justement la chemiserie traditionnelle du 29 quai des Bergues (une des boutiques du groupe Artiseanos Camicieros): Tarik lui propose d’abord de partager le local puis reprend progressivement l’activité. C’est le début de son activité tailleur à proprement parler.
(photos par Nicolas Schopfer)
L’identité de la marque
Berence Genève revendique une identité tailleur à la fois britannique et italienne :
– Britannique : pour la rigueur du fit, de la prise de mesures et plus généralement des codes sartoriaux (on le voit bien à travers les nombreuses illustrations présentes dans la boutique).
L’enseigne est véritablement une puriste des retouches. Exemple simple : il fallait raccourcir seulement d’1cm la longueur des manches et elles ont quand même été reprises par l’épaule.
– Italienne : pour l’identité plus affirmée, les épaules napolitaines et la fermeture deux boutons et demi
Ce concept fort séduit rapidement : Berence Genève compte dans sa clientèle quelques célébrités dont un ancien champion du monde de football, Antonio Banderas, Stéphane Plaza mais surtout Lapo Elkann, petit-fils de Gianni Agnelli, un peu la rock star de la sprezzatura.
Les chemises
Les chemises viennent au début en complément des ventes de polo
Elles se divisent en différentes lignes : on apprécie particulièrement les explications et la transparence de la marque pour l’utilisation de chaque tissu.
–jaune : 129 CHF simple retors à partir de coton-polyester (résistant mais peu respirant)
–bleue 149CHF : simple retors, coton (c’est du simple retors donc c’est une chemise qui ne durera que quelques années)
–verte 169CHF : double retors, 100% coton avec couture 5mm (des tissus confortables et résistants, mais avec un titrage plus faible et donc moins habillés)
–rouge 189CHF : initiale incluses double retors, 100% coton avec couture 1mm (la ligne la plus vendue)
–brune à partir de 239CHF : mêmes finitions mais avec tissus plus luxueux
–luxury à partir de 279CHF : les tissus les plus luxueux, avec finitions entièrement à la main, en particulier les boutonnières
Les chemises sont confectionnées en Espagne, mais aussi au Vietnam et en Suisse à partir de la ligne Luxury.
Un patronage est réalisé directement par les tailleurs à Genève puis envoyé, coupé main et conservé en Espagne pour chaque client dans le village de Consuegra à 1H30 de Madrid (c’était pour l’anecdote le village des moulins de Don Quichotte).
L’offre de tissus est variée avec du Albini, Monti, Thomas Maison et Canclini:
(photos par Nicolas Schopfer)
Les costumes
Ce n’est qu’après un an de formation auprès de leur partenaire français, ancien en mesure de chez Zegna et après s’être rôdé à toutes les particularités de la construction d’un costume que l’équipe de Berence Genève se lance dans la conception de leur modèle Signature, appelé aussi le 29 (en référence à l’adresse, pour ceux qui ont suivi 😉 ).
L’idée est toujours d’apporter une touche plus moderne aux costumes, ça se manifeste par plusieurs caractéristiques que l’on peut voir sur ces deux photos.
- d’abord une emmanchure haute et une coupe deux boutons et demi, ainsi qu’une taille peu prononcée:
- ensuite une épaule napolitaine avec un padding très léger, ainsi qu’un début d’épaule situé assez haut:
II LE COSTUME, COUPE SIGNATURE
Lors des tests , l’idée est pour moi de toujours mettre en avant ce que le tailleur a d’exclusif et ce définit le plus son identité. C’est ce qu’on a fait ici à la fois au niveau de la coupe, du tissu et des finitions.
Depuis mes costumes Blandin&Delloye, Ardillon et Maison Pen, j’ai pris un goût certain aux rayures et je voulais un costume portable en hiver et en mi-saison : une flanelle rayée s’imposait.
Le tissu
Dans sa gamme Fancy Flannels, Ariston proposait justement une flanelle rayée grise à rayures blanches légèrement mouchetée, avec un poids à 290g.
Au premier abord, Ariston est un drapier italien plutôt classique et comparable à des maisons comme VBC : la structure est fondée par Fernando Imparato et est familiale depuis 4 générations.
En fouillant un petit peu, on se rend cependant compte d’un travail pointu sur les matières de caractère comme les flanelles ou les mélanges laine/lin.
Certains tissus, notamment des mélanges entre laine alpaga, baby alpaga, sont d’ailleurs tellement réussis qu’ils peuvent faire penser à des spécialistes de ce genre de mélange comme Ferla. C’est ce qu’on trouve notamment dans la gamme Luxury :
Le tissu choisi est quant à lui dans la gamme plus classique des Fancy Flannel, le A757-10/
Choix des finitions
On voulait un rendu moderne et audacieux, un peu le genre de costume qu’on porterait pour aller au Pitti Uomo.
Forcément, on a opté pour des revers larges (9cm) et en pointes, cohérents avec le caractère très affirmé des rayures (sur un 2 boutons et demi, il était en revanche compliqué de faire plus large).
C’est sur la doublure Huddersfield qu’on a littéralement joué à fond sur le côté gangster un peu décalé du costume à rayures: on y retrouve toutes les figures de la prohibition notamment Al Capone ou encore Lucky Luciano.
Coupes et finitions du modèle Signature
La coupe m’a plut dès le retrait du costume: l’identité forte, couplé au roulé du revers impeccable et à la flanelle lourde donnent un tombé que je n’avais encore jamais vu avant.
Ce qui m’a surtout plu chez Berence Genève, c’est une coupe signature de leur costume sur-mesure assumée avec un style bien défini. Voici ses caractéristiques :
– une épaule napolitaine mais avec un soft padding (un padding très discret et léger donc)
– des revers larges
– une fermeture deux boutons et demi
– une couture d’épaule plus élevée que la normale
– une taille peu prononcée
Bérence Genève travaille avec un atelier géré par une entreprise néerlandaise : c’est un des rares ateliers capables de proposer une épaule napolitaine, avec soft padding et avec la fermeture deux boutons, et bien sûr des finitions expertes comme la milanaise:
La coupe au niveau de la taille est en tout cas sûrement une des plus nettes que j’ai pu voir sur tous mes costumes: on distingue seulement un très très léger X au niveau de la taille et aucun autre pli superflu.
Le dos est également une vraie réussite:
Construction
Malgré ces contraintes techniques, la construction est d’une excellente facture : on remarque en particulier le superbe roulé des revers (piqués)
malgré les 9 cm de largeur de ceux-ci. (vous l’aurez bien remarqué, plus les revers sont larges, plus ceux-ci vont s’écraser, ce qui va masquer le travail du roulé).
Comme chez de nombreux tailleurs, Berence Genève a choisi le bon compromis du semi-entoilé, qui permet de proposer un beau roulé de revers et d’épouser parfaitement les épaules, sans pour autant avoir une veste trop lourde, ni faire gonfler les prix.
Comme dit plus haut, c’est vraiment le costume audacieux qu’on choisirait pour aller au Pitti Uomo.
Le pantalon
Vous vous en doutez, on a poussé le style sartorial à fond sur également sur le pantalon et ses finitions avec
– Une double pince tournée vers l’extérieure
– Des ajusteurs latéraux à boutons, appelée aussi ceinture tunnel.
Pour aller plus loin sur ce style gangster un peu vintage, il est fait pour être porté taille haute (c’est-à-dire bien au-dessus des hanches, au niveau du nombril).
Les pinces permettent un sacré travail de coupe : elles donnent beaucoup de confort avec une belle amplitude sans nuire à la silhouette de face et de dos (le volume est en revanche un poil plus visible de profil).
C’est aussi le premier costume que je porte avec cette ceinture tunnel à boutons : une bonne alternative aux ajusteurs latéraux classique qui permet de relâcher la taille après un bon repas.
Il est par contre coupé de manière à se porter taille haute, avec une largeur à la cheville assez étroite, ce qui a le mérite de bien mettre en valeur les chaussures.
Conseils de style
Etant donné l’originalité de la matière en terme de textures et de motifs, j’ai opté pour une chemise blanche toute simple. Elle est assez calme pour qu’on puisse s’exprimer davantage sur la cravate, ici une cravate en grenadine de soie de chez The Nines.
Le combo flanelle claire + grenadine de soie plus foncée est pour moi vraiment efficace: ces deux textures se mettent mutuellement en valeur. C’est encore mieux lorsque la flanelle a une couleur un peu neutre (comme ici du gris), cela permet à la couleur plus vive de la cravate d’être vraiment mise en avant.
Avec de tels revers, il est par contre pratiquement inutile de mettre une pochette (d’autant plus que dans le cas présent, le costume se suffit à lui-même).
Si sur le papier ce costume est formel, il ne peut se porter en réalité que si vous êtes chef d’entreprise ou si votre boîte n’a pas de codes trop rigides: avec ces revers larges et ces rayures, ce n’est pas le genre de costume que l’on peut se permettre pour son premier travail dans un milieu codifié comme la finance.
C’est pour cette raison qu’au lieu d’opter pour de traditionnelles richelieu noir à bout droit, j’ai préféré une paire de double boucle patinée bordeau.
III LA CHEMISE
Le tissu
Vous l’avez sûrement aussi remarqué, mais je suis un grand fan des chemises à rayures (en particulier la classique chemise blanche à rayures moyennes bleu marine).
L’idée était de varier un peu ici sur le motif à la fois en terme de couleurs et de proportions : on a du coup opté pour des doubles rayures vertes forêt et un peu plus épaisses que d’habitude.
On voulait une chemise très formelle : il s’agit ici d’une popeline de chez Albini au titrage 120/2.
Finitions et coupe
On retrouve les caractéristiques du modèle Signature de Berence Genève :
– Un départ d’épaule un peu plus haut que la normale, et un empiècement en haut un peu plus court.
Les manches sont plus longues mais on évite plus facilement les plis.
– La coupe est un peu plus droite et n’appuie pas trop sur la taille
– L’emmanchure est assez haute
On a également des finitions appréciables:
– des manches subtilement froncées:
– un boutonnage Zampa di Gallina:
On apprécie beaucoup avoir autant de contrôle sur la qualité des finitions : c’est la seule enseigne pour laquelle on puisse faire varier des critères aussi poussés tels que la distance des coutures par rapport au bord.
Je suis assez impressionné d’avoir des coutures aussi fines et aussi près des bords.
Pour porter cette chemise avant tout dans un contexte formel, j’ai choisi un col français.
Conseils de style
J’avais initialement fait le costume et la chemise pour les porter ensemble, mais ce n’est de toutes évidences pas la meilleure combinaison ici. J’avais pourtant l’habitude de combiner chemises à rayures et costumes à rayures, mais les dimensions sont malheureusement trop proches et visuellement le résultat est chargé.
Je le porte du coup avec un autre costume au motif plus discret: un costume croisé au motif Prince de Galles fondu (qu’on discerne en fait à peine avec cette lumière). Etant donné que le costume est discret, j’ai en revanche opté pour une cravate un peu plus voyante, aussi bien en terme de couleurs que de motifs: la couleur lui permet de se démarquer de la chemise, tandis que les motifs sont bien de dimension différentes.
Etant donné le motif et la largeur tous deux imposants de la cravate, je la porte à l’italienne (pour rester dans l’identité de la marque) avec le pan arrière qui dépasse légèrement. (ce n’est pas une faute de goût, mais plutôt une excentricité qu’on ne peut certes pas se permettre dans n’importe quel cadre).
CONCLUSION
Berence Genève est une excellente surprise, qui n’a rien à envier à ce qu’on peut trouver à Paris. La maison a su développer ce qui fait la différence chez un tailleur: un oeil acéré et exigeant et surtout un modèle Signature avec sa propre identité qu’on ne retrouve pas ailleurs et une vraie audace. C’est un peu le costume qu’on aimerait porter pour aller au Pitti Uomo.
L’offre en chemise est également bien positionnée, avec des options appréciables sur les finitions comme les coutures aux bords: la coupe est soignée, mais sans pour autant trop comprimer la taille.
Côté pricing, on est évidemment un cran au-dessus de ce qui peut se faire en France: il faut cependant garder à l’esprit que les salaires suisses sont beaucoup plus élevés, et qu’une offre en demi-mesure avec ce genre de rapport qualité/prix est inexistante à Genève.
Photos par Iléna Théa Khim, @ilenaatheakim