Apporter quelque chose de nouveau sur le marché: c’est le critère sinequanone pour que je parle d’une marque. Et c’est aussi possible de le faire en travaillant avec une usine ou un atelier déjà exploité par d’autres marques ou tailleurs.
C’est ainsi le cas de Vestiaire Aron, une toute jeune marque française âgée d’à peine quelques mois qui propose une nouvelle manière de créer sa chemise.
Si vous aimez les concepts comme Luxire ou Yeossal mais que vous auriez préféré une production plus locale et et surtout une réception simplifiée sans le hasard des douanes alors ce qui suit va vous intéresser.
Sommaire
I Vestiaire d’Aron : un concept novateur au service d’un excellent rapport qualité/prix
1 Concept et état d’esprit
C2S est une institution parmi les fabricants français de chemises: seul hic, il n’était pas forcément possible de se procurer ses chemises en prêt-à-porter, en tout cas pas à un prix accessible.
Ainsi, le concept de Vestiaire Aron est très simple: accéder à ce savoir-faire avec des modèles en prêt-à-porter mais avec toutes les possibilités de personnalisation dont on profite avec la demi-mesure.
Bref, toute la flexibilité pour laquelle on apprécie les plateformes confidentielles comme Luxire, mais avec une production française et un prix contenu.
Ce que j’analyse chez une toute nouvelle marque, ce n’est pas seulement les produits, c’est aussi le pragmatisme et la vision réaliste du marché.
Le jeune fondateur de Vestiaire Aron, Ichaï, suit justement les blogs depuis de nombreuses années et voulait que sa marque apporte quelque chose de plus au marché, qu’elle ne soit pas juste une marque digitale sans intermédiaires de plus.
Il se rend ainsi compte qu’il n’est pas possible en France de bénéficier d’un savoir-faire français a un bon rapport qualité-prix sans passer par le sur mesure:
Afin de proposer une solution plus accessible, et surtout plus pertinente pour ceux qui n’ont pas forcément besoin de mesure et qui veulent se faire plaisir avec plus de pièces différentes, il conçoit son offre en made-to-order avec la possibilité de choisir son tissu mais surtout de personnaliser chaque finition de la chemise.
Évidemment, ce genre de plate-forme made-to-order peut vite devenir insipide face à la multitude de possibilités, en l’occurrence environ 31 milliards ici.
Tout comme d’autres marques à l’étranger ont su le faire comme Yeossal, il fallait ici un succès une vraie identité de marque et ça Ichai l’a bien compris.
Genèse et Manifeste: la preuve d’une vision réaliste
C’est ce qu’il explique dans son manifeste que je vous invite à lire, il met surtout en avant à travers sa marque des pièces qu’il possède ou qu’il aimerait avoir dans son vestiaire: l’identité de marque transparaît ainsi surtout à partir des choix de tissu et du lookbook.
J’accroche particulièrement aux choix de tissus formels et aux choix de tissus été, un peu moins aux carreaux et aux flanelles, mais ça reste tout à fait personnel.
Ce qui est aussi intéressant et qui change par rapport aux plate-formes MTO classiques, c’est la description brève mais soignée de chacun des tissus avec un conseil de style bien senti
A travers la genèse et le manifeste de cette marque, j’apprécie son franc-parler et sa vision du marché.
S’il s’agit d’une fabrication locale et en made-to-order donc sans surproduction, Ichaï a fait le choix de ne pas communiquer à outrance sur le caractère éthique et/ou eco-responsable des produits comme beaucoup de marques n’auraient pas hésité à le faire.
2 Les tissus disponibles
Ici, comme chez beaucoup de tailleur, le prix est décidé en fonction du tissu choisi et non pas des finitions.
Vestiaire Aron utilise les réserves de tissus de C2S, ce qui est plutôt bon signe vu les tailleurs avec qui C2S travaille: cela nous garantit une qualité minimum plutôt élevée.
Trois gammes de tissus sont ainsi disponibles:
– les essentiels, à seulement 100 € (ce qui est assez remarquable pour du made in France) : comme son nom l’indique il s’agit des tissus qui vous permettront de concevoir les basiques de votre garde-robe. Comme évoqué plus haut, c’est l’entrée de gamme d’un très bon atelier français: il ne s’agit donc pas de tissus bas de gamme, bien au contraire, mais de tissus simples et sans excentricités.
Dans une démarche de construction de votre garde-robe, je recommande en particulier les trois tissus suivants:
– la popeline à rayures blanches et bleues formelle et qui passe avec pratiquement tous types de costumes et de cravates
– la chemise blanche classique avec ici un mélange surprenant mais bien pensé de coton et de bambou: les propriétés techniques du bambou (respirant et anti-transpirant) en feront un tissu très confortable pour l’été en particulier si vous êtes obligé de porter le costume
– la chemise en chambray uni: un choix sûr pour du casual col ouvert mais qui peut également se porter avec une veste sport et une cravate en version col boutonné si vous voulez vous aventurer dans un style Ivy League
– la gamme florilège à 120€ avec des tissus au caractère plus affirmé: on est trouvera les petits carreaux, les Prince de Galles, les flanelles épaisses et des variations intéressantes de motifs classiques
Trois tissus m’ont marqué ici:
– le chevron à rayures rouges et bleues: un tissu de caractère d’abord grâce à ses couleurs mais surtout grâce à son subtil aspect vintage. Pas vraiment facile à porter avec un costume et une cravate (sauf en été avec un beau costume beige ou kaki en coton) mais par contre à porter sans se poser de question avec un jean délavé ou un pantalon sartorial habillé
– le lin bleu à rayures blanches: des rayures ici assez subtile et un tissu qui peut éventuellement se porter en été dans un cadre formel avec un costume et qui passera très bien en after-work avec chemise portée col ouvert
– le twill déperlant de la maison Induo: pratique pour garder son sang-froid même avec une tache malheureuse lors d’un déjeuner d’affaires
La collection Prestige qui regroupe les tissus les plus luxueux, qu’il aurait été difficile de trouver à moins de 200€ en mesure. Voici ce qui m’a marqué:
– l’oxford bleu à rayures blanches et rouges: difficile de faire plus Ivy League, on en parle plus en détails dans le test
– le seersucker milleraie: j’ai toujours rêvé de porter du seersucker avec un costume, malheureusement il y a toujours un problème de finesse et de subtilité du gaufrage qui rend la texture trop grossière pour se porter dans un cadre formel. Ce seersucker à rayures milleraies semble résoudre ce problème: c’était mon premier choix mais malheureusement c’était aussi un peu tard pour vous le présenter lors de ce test.
– une maille unie qu’on retrouve rarement en demi-mesure et MTO: parfait si comme moi, vous aimez le confort de la maille d’un polo mais en gardant les manches longues et le boutonnage d’une chemise, à combiner avec le col boutonné.
Les finitions possibles
Voici les finitions qui m’ont semblé les plus remarquables, en gardant à l’esprit que les prix commencent à 100€ et que choisir celles-ci n’occasionne pas de supplément:
– le col: c’est de loin la personnalisation la plus impressionnante pour cette gamme de prix. Pour 100€, vous pouvez obtenir une chemise au col très souple, et sans thermocollant. Ca n’existe tout simplement pas ailleurs (et encore moins fabriqué en France).
– les boutons: la couture Zampa di Gallina est possible, le tout sur des boutons en nacre, mais aussi en chanvre ou bois d’olivier (bien adapté à du casual) .
II Test d’une chemise de la gamme Prestige
Ichaï mentionnait sur son manifeste le style French Ivy, j’ai donc voulu m’y essayer avec une chemise typiquement Ivy League au motif fort.
Le tissu
Il s’agit d’un oxford double retors de chez Albini, plus doux et fin que la plupart des oxfords que j’ai pu toucher jusqu’à présent. Il prend bien la lumière et le rendu est plus facile à porter qu’il n’y paraît.
Ce tissu-là me confirme en tout cas que l’on est sur un niveau de qualité de tissus haut de gamme proposés par les bonnes maisons de demi-mesure françaises.
Évidemment soyez vigilant sur les motifs forts, on peut toujours avoir des surprises à l’échelle d’une chemise (tout comme pour un costume).
Les finitions
Je les ai choisies en restant au maximum dans le registre Ivy League.
Le col
Evidemment, je faisais confiance à cette confection française pour proposer des cols généreux aux pointes bien longues et surtout qui assurent un joli roulé une fois boutonné.
On peut aller ici assez loin dans le rendu du col avec la possibilité de choisir entre un col rigide, souple et très souple.
Bien entendu, pour assurer le plus beau roulé possible, j’ai choisi un col très souple et une doublure de col sans thermocollant.
La possibilité de personnalisation du col est tout de même assez remarquable et n’est normalement accessible s’il que dans des maisons de demi-mesure dont le prix est bien supérieur
Autres finitions
Voici mes autres choix:
– pas de poche poitrine ni de surpiqûre: le tissu et le col roulé très souple font déjà de cette chemise une pièce assez forte, je ne voulais pas l’encombrer davantage avec une poche poitrine et une surpiqûre.
L’idée est aussi de laisser s’exprimer la qualité du tissu et des finitions
– évidemment des boutons cousus Zampa di Gallina, ici appelés couture ancre, le tout sur des boutons en nacre fin Mother of Pearl
– pas de pinces vu qu’on est sur une coupe ajustée
La coupe
J’ai opté pour un XS ajusté qui me va très bien: si je voulais vraiment chipoter, j’aurais pu faire retirer un peu de tissu au niveau des biceps, mais rien de bien choquant.
Conseils de style
Avec des couleurs aussi affirmées, l’idée est d’équilibrer la tenue avec des pièces aux tons plus sobres, mais qui vont s’exprimer autrement, en particulier par leur construction ou leur matière.
Ici, le gurkha que nous avons développé avec Maison Singulier se distingue par son ceinturage, et le cardigan par son col châle et sa laine côtelée.
Ici, le cardigan col châle tombe en plein dans le registre Ivy League (sauf qu’à l’époque, on le trouvait avec les initiales oversize des équipes ou des écoles par lesquelles il était porté).
Le gurkha n’est quant à lui pas à 100% dans le vestiaire Ivy League, mais ce genre de pièces militaires et coloniales se marie généralement bien avec ce vestiaire.
Par contre, les penny loafers en cuir de cerf collent parfaitement. Je n’ai cette fois-ci pas osé mettre des chaussettes claires (qui auraient été bien plus fidèles au registre) de peur de la vindicte populaire d’Instagram.
Je porte avec la chemise Vestiaire Aron:
– un cardigan col châle en laine et cachemire développé avec Paris-Yorker
– un gurkha en flanelle développé avec Maison Singulier
– une montre Yema Wristmaster
– des mi-bas vanisés Mes Chaussettes Rouges
– des mocassins en cuir de cerf Septième Largeur
Conclusion
Je suis au premier abord beaucoup plus sévère et méfiant vis-à-vis des marques qui travaillent avec des usines ou ateliers qu’on retrouve déjà chez beaucoup d’autres enseignes.
Pour autant, si une nouvelle marque trouve un moyen novateur et pertinent de travailler avec ces ateliers en apportant un résultat final qu’on ne retrouve pas ailleurs sur le marché, alors je deviens extrêmement enthousiaste et je prends beaucoup de plaisir à vous la faire découvrir.
C’est justement le cas de Vestiaire Aron, et on peut simplement l’illustrer par les chemises faisables à 100 €: où donc peut-on trouver ailleurs des chemises avec une telle personnalisation du col (le col boutonné à pointe longue en version souple est un régal), fabriquées en France et avec un tissu de qualité ?
Si le concept en soi est déjà intéressant, Ichaï ne s’est pas arrêté là et a su insuffler une identité à travers la sélection des tissus, la description concise mais efficace qu’il en fait et les conseils de style qui vont avec.
Je suivrai en tout cas Vestiaire Aron de près: la vision pertinente et réaliste du marché d’Ichaï, fondateur passionné, me laisse penser qu’il saura prendre par la suite les bonnes décisions pour le développement de la marque.