En dépit de tous nos efforts de conseils et d’éducation, le costume est toujours perçu pour 90% des hommes comme inconfortable : le mot en lui-même évoque d’ailleurs généralement le costume rigide et structuré, souvent avec une emmanchure basse.
Il n’y a que dans notre niche sartoriale que costume peut rimer avec confort, soit grâce à des pièces déstructurées, soit avec un éventail de matières choisi avec une précision chirurgicale en fonction de la météo (et donc pas le classique Super 110’s qui en réalité ne convient qu’à un climat de mi-saison).
La tradition du costume est d’ailleurs étroitement liée à celle de la voiture : il est beaucoup plus simple de le porter confortablement installé dans sa voiture plutôt qu’en se tenant péniblement dans un métro bondé, ou en se déplaçant en vélo.
Ainsi, les principaux acteurs dans le monde du costume se sont d’abord re-dirigés vers la veste sport, qui est aussi rapidement tombée en désuétude auprès du grand public et enfin l’ Active Tailoring.
L’Active Tailoring se distingue ainsi d’un costume classique soit par sa matière ultra technique (stretch, respirante, lavable en machine, déperlante etc), soit par une construction déstructurée, qui donne par exemple l’impression de porter une chemise.
C’est une vraie tendance sur les bouches de tous les acteurs majeurs du costume (producteurs, filatures et marques) depuis l’année dernière.
Mais une seule marque avait vu juste depuis 2011 et proposait déjà vestes et manteaux techniques : il s’agit d’éclectic.
Sommaire
I éclectic: une marque minimaliste, pédagogue et avant-gardiste
Un active tailoring très bien executé
Une offre qui s’est enrichit au fur et à mesure des années, avec à chaque fois un ajout calculé et réfléchi de seulement quelques pièces: au bout d’une dizaine d’années, on arrive à une très belle offre permanente
J’avais parlé d’éclectic dès 2011 sur BonneGueule, nous avions d’ailleurs à l’époque réalisé une mini-vidéo de présentation (forcément, les moyens n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui).
Edouard (le fondateur de Mauban) avait également interviewé Franck, le fondateur de la marque à l’occasion d’un autre test en 2017. L’interview étant assez longue (3000 mots), voici les éléments clefs que je me dois de vous rappeler.
Une vision précoce japonisante
Faire le pont entre tradition et modernité, autrement dit intégrer le progrès sans jamais renoncer à ses valeurs : c’est ce qu’a apprit Franck lors de son séjour au Japon. Et c’est aussi ce qui lui a donné une première idée de ce que devrait être éclectic : une modernité qui s’inscrit dans la continuité du passé.
Ca se voit d’ailleurs bien dans l’intérieur minimaliste de la boutique, qui n’a pas bougé d’un iota depuis 2011 et qui est toujours extrêmement actuelle.
Une spécialisation sur les pièces à manches
Vous ne trouverez que des vestes sport, ou des vestes de costume chez éclectic, mais pas de pantalons et donc de costumes à proprement parler. Franck souhaitait en effet se spécialiser dans les pièces à manches : pour lui l’artisanat le plus abouti en mode masculine.
Cette jonction entre tradition et modernité se retrouve également dans sa production : il a choisit l’Italie pour ses savoirs-faire traditionnels centenaires, mais aussi pour ses techniques industrielles de pointe.
Une pédagogie avant-gardiste
Si les pièces représentent un certain budget, la marque est très accessible sur la confection de son produit: Franck fût un des premiers à faire installer dans sa boutique, en 2011, un pan de veste entoilé, afin de montrer en quoi consiste précisément le processus.
Pour tout vous dire, c’est chez éclectic que j’ai appris pour la première fois, il y a plus de 10 ans, la différence entre un costume thermo-collé, semi-entoilé et entoilé.
Afin de bien re-situer le contexte, éclectic était à l’époque la seule marque à proposer des vestes entièrement entoilées, et plus globalement à parler d’entoilage.
A l’époque, il n’y avait pas grand-chose entre le prêt-à-porter en thermocollé bas de gamme et la vraie mesure artisanale à plusieurs milliers d’euros (point de demi-mesure semi-entoilée de chez Formens à 500-600€ qui s’est aujourd’hui complètement banalisée).
On ne s’en rend pas compte, mais c’est un vrai âge d’or qui est apparu il y a quelques années avec les confections roumaines et portugaises et qui ont permit d’optimiser et donc de rendre accessible une fabrication industrielle de qualité.
Bref, c’est à l’époque non seulement le côté technique mais aussi une pédagogie très appréciable et surtout unique autour de la pièce à manches qui me font vraiment apprécier éclectic.
Une politique de distribution cohérente dans la durée
La marque est disponible en boutique rue Charlot et à New-York et sur son e-commerce.
La marque ne solde jamais: je suis toujours dubitatif quand on me dit ça car toutes les marques qui tiennent ce discours mettent à un moment ou à un autre toujours une offre promotionnelle en place (frais de port offert, un autre vêtement offert pour un achat, codes promo ultra fréquents etc).
éclectic est la seule marque que je connaisse à avoir ce discours et tenu parole sur les 10 dernières années: à l’exception d’un -15% pour les -de 25 ans, qui est toujours d’actualité (vu le prix des pièces, c’est plus un geste pour une clientèle plus jeune qu’une vraie offre promotionnelle).
II Test du Smart Blazer
1 Des revers fins résultant d’une esthétique cohérente
Ca fait très longtemps que je n’avais pas testé et recommandé une veste avec des revers fins, et je ne la recommanderais toujours pas pour les grandes tailles (50 et plus).
On pourrait croire au premier abord que ces revers fins ont été conçus pour plaire au maximum de monde (comme c’est le cas des costumes et vestes entrée de gamme) : ce n’est absolument pas le cas et ça serait d’ailleurs oublier qu’on parle d’une veste technique à plus de 600€.
L’intemporalité et le minimalisme d’éclectic va dans les deux sens et la marque n’a donc pas suivi cette tendance des revers à s’élargir parfois démesurément (n’oublions pas également de distinguer juste proportions et tendances).
Ainsi ces revers fins et cette coupe 1 boutons permettent bien d’affiner la silhouette et de donner un côté plus habillé à une veste autrement assez minimaliste et avec une vocation pratique.
Lorsqu’on regarde la marque dans son ensemble, il y a une vraie cohérence dans ce choix de revers qui s’inscrit totalement dans une logique « less is more« . Ils ne seront en revanche pas adaptés à toutes les morphologies.
Si vous êtes un sartorialiste puriste, je ne pense pas en revanche que cette veste soit pour vous car dans tous les cas les revers sont trop fins pour le porter avec une cravate à la largeur satisfaisante.
2 Le tissu: une laine Super 150’s 100% naturelle aux propriétés techniques
Lorsque j’entends parler d’Active Tailoring ou de Smart Blazer, je ne peux m’empêcher de penser à des tissus techniques pas forcément toujours très naturels : soit dans la composition des fils, soit dans leur traitement. Difficile d’envisager dans tous les cas un tissu 100% naturel qui puisse avoir des propriétés stretch.
Ici, la laine Super 150’s ultra-fine est naturellement stretch, sans élasthane (ce que je n’ai pratiquement jamais vu) grâce à une technique particulière du tisseur italien chez qui se fournit éclectic.
Un tisseur confidentiel
J’ai un peu insisté pour en savoir plus mais impossible d’avoir le nom: on est en tout cas pas sur un classique VBC/Reda/Loro Piana/Guabello ou n’importe quel drapier italien connu mais plutôt sur un tisseur confidentiel, que la marque préfère ne pas voir utilisé chez la concurrence (ce que je peux tout à fait comprendre).
De manière générale, éclectic n’a jamais communiqué sur ses tisseurs et drapiers. Je dois vous dire que je préfère ça plutôt qu’une néo-DNVB un peu insipide qui broderait inutilement autour d’un tissu VBC ou Reda super 110’s tristement commun.
éclectic préfère mettre en avant directement la qualité du tissu et ses propriétés
Une technique de tissage brevetée: un tissu 100% laine super 150’s stretch et qui froisse peu
La laine est une laine super 150s ultra-fine, mais la particularité du tissu est son tissage. Le tisseur italien d’éclectic a fait breveter sa technique de tissage, et est ainsi le seul à pouvoir l’utiliser.
Celle-ci rend le tissu naturellement stretch (sans élasthane, ce qui est assez rare pour un tissu) et très peu froissable (c’est rare pour un 100% laine, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une laine fine.
Pour rappel, plus le titrage est élevé, plus le tissu comporte de fils et donc plus ceux-si sont fins. Le résultat est donc beaucoup plus léger, soyeux et généralement luxueux. Mais il se froisse aussi normalement beaucoup plus rapidement.
Ce n’est pas le cas ici (et c’est d’ailleurs ce qu’on attends d’un Smart Blazer à facilement glisser dans ses bagages en voyageant).
Le secret ? Une laine retors élastique de 20 à 30%
Vous connaissez l’appelation double retors pour une chemise: une technique de tissages où deux fils sont enroulés ensembles pour un tissu plus durable et confortable.
Sans entrer dans les détails, c’est la même chose pour cette veste: deux ou plusieurs fils sont retordus ensemble pour n’en créer plus qu’un. Cette technique rend le fil plus résistant, et naturellement plus stretch grâce à la torsion de celui-ci.
La coupe
Le smart blazer est disponible sur l’e-store en versions deux boutons: j’ai quant à moi choisie une version un bouton, plus courte et plus ajustée, mais qui conserve en revanche les mêmes dimensions aux épaules.
En effet plus petite taille proposée chez éclectic est un 46, et je fais normalement un 44: le fit n’est donc ici pas absolument parfait (en particulier au niveau des épaules) et c’est tout à fait normal.
Il me manque à vrai dire à peine 1/2 cm à chaque épaule pour la remplir correctement, mais sur une photo de détail de l’épaule ça ne pardonne pas.
Pourtant la veste me va globalement très bien (jamais une taille 46 PAP ne m’est allée aussi bien à vrai dire).
Je profite du coup de ce cas un peu exceptionnel pour rappeler que dans le prêt à porter, il est important de faire la part des choses entre un vêtement qui globalement vous va bien mais qui va pêcher juste sur certains points en photo, sans forcément être flagrants dans la réalité.
Bref, pour que tout soit parfait, je pourrais faire retoucher les épaules mais c’est une opération coûteuse dont je ne vois pas tout à fait l’intérêt pour le moment tant le défaut est anecdotique.
L’entoilage complet
On a toujours du mal à s’y faire sur une veste non doublée, surtout quand elle est si légère: il y a bel et bien un entoilage complet dans cette veste qui lui permet d’avoir un beau tombé, en dépit de son poids.
Afin d’avoir la veste la plus légère possible, mais avec tout de même la structure et le tombé que permettent un bel entoilage, ce Smart Blazer est non doublé mais avec parementure américaine:
Finitions remarquables
Les finitions sur ce Smart Blazer sont les mêmes que sur le reste de la collection. Pour l’anecdote, j’avais pris les pièces éclectic comme exemple de finitions sartoriales lorsque j’avais fait mon mémoire d’ESC sur la mode masculine en 2011: un tel degré de finitions pour ce prix était introuvable à l’époque.
Dans l’absolu, rappelons tout de même que la confection d’une veste demande à l’atelier italien d’éclectic 15 heures de travail à 12 artisans.
Voici quelques finitions notables
– des boutons en métal de chez Brochot, fabriqués dans le Jura: je n’ai vu nul part ailleurs des boutons aussi massifs. ils sont moulés depuis un alliage de métaux réalisé par éclectic, dans des moules « designés » par éclectic également.
– les boutonnières (ou en l’occurence LA boutonnière vu qu’il s’agit d’une veste 1 bouton) sont faites main, et le travetto contrastant est là pour en témoigner
Ce degré de finitions à lui seul réalisé en Italie justifie en grande partie le prix de la veste.
Enfin, éclectic s’est permit une originalité sur les poches:
– une poche poitrine à double passepoil: ce qui introduit un peu d’horizontalité au niveau de la poitrine pour compenser la finesse des revers. Et ce qui est aussi à la fois plus raffiné et minimaliste que les barchetta plus épaisses qu’on voit d’habitude.
– deux poches latérales classiques
III Conseils de style
1 Une tenue estivale
Pour cette tenue, j’ai décidé de jouer de manière complètement contre-intuitive entre deux matières diamétralement opposées: le seersucker (sur la chemise RIVES) et la flanelle (sur le pantalon habillé en collaboration avec Blandin&Delloye).
La combinaison fonctionne bien grâce à une vraie continuité dans les couleurs avec le marron clair.
Ici le Smart Blazer éclectic permet d’ajouter une troisième couleur assez neutre: la texture de la laine Super 150’s est plutôt lisse et est donc assez polyvalente. Même s’il s’agit d’une texture lisse, elle se marie étrangement bien à des matières plus marquées comme le seersucker.
J’éviterais cela dit des gros tweeds.
Le Smart Blazer est ainsi bien adapté pour une couche printanière légère ultra-polyvalente, à porter sans se poser de questions, et qui
Je porte le Smart Blazer avec
– une chemise en seersucker Rives
– notre pantalon en laine et cachemire Loro Piana Singulier
– une montre Riskers
– (j’ai aussi des chaussures rassurez-vous, il s’agissait de mocassins Morjas en cuir suédé dont nous n’avons malheureusement pas pu prendre de photos cette fois-ci)
Conclusion
Lorsqu’on pense Active Tailoring, on pense souvent à des mélanges archi complexes de matières synthétiques, avec des propriétés parfois étonnantes.
On ne pense certainement pas à un 100% laine luxueux super 150’s: pourtant, c’est bien le genre de titrage qui permet un tissu ultra-fin. C’est grâce à une technique de tissage ingénieuse avec des fils en retors (comme sur les chemises) qu’on arrive à un tissu stretch et infroissable sans ajout d’élasthane.
Je n’ai encore pas vu ça ailleurs pour le moment, et le tisseur avec qui collabore éclectic est justement confidentiel.
Vous commencez à connaître la politique de la maison, on est jamais très fans des revers fins, et ici ils sont vraiment fins. Et pourtant, je le pardonne à cette veste.
Pourquoi ? Car cette caractéristique est un choix cohérent de l’enseigne pour respecter une vraie identité, et pas simplement pour plaire à plus de monde (n’oublions pas qu’à 750€, il s’agit de toutes façons d’un produit de niche).
Je ne peux donc pas recommander ce Smart Blazer à toutes les morphologies: si vous êtes un peu costaud, les revers fins ne sont vraiment pas l’idéal pour vous mettre en valeur.
Passez aussi votre chemin si vous comptiez la porter avec une cravate à la largeur satisfaisante, cette veste n’est pas conçue pour ça.
En revanche, ce Smart Blazer est un excellent choix pour les silhouettes élancées. Et surtout si vous cherchez une veste ultra pratique pour voyager (quand ça sera de nouveau possible) qui sera parfaite pour habiller un peu une tenue décontractée.
C’est d’ailleurs un excellent compromis pour une veste à la fois bien structurée (grâce à son entoilage complet) et légère.
Enfin, j’aime beaucoup éclectic pour ses coupes: cette veste ne déroge pas à la règle. Elle ne me va pas tout à fait aux épaules (car je fais du 44 et pas du 46) mais le rendu global est extrêmement satisfaisant. Je vous encourage vivement à prendre rdv en boutique parisienne au 8 rue Charlot dans le Marais (3è arrondissement) pour trouver votre taille avec les conseils avisés de Franck et son collaborateur Julien.
Le Smart Blazer éclectic est disponible ici à 750€.