Ce qui compte, ce n’est pas l’idée mais l’execution.
La plupart d’entre vous connaissent probablement déjà bien ce proverbe entrepreneurial. Et il se vérifie bien tous les jours dans la mode masculine.
J’essaie d’ailleurs toujours de mettre en avant des marques qui apportent une vraie valeur ajoutée sur le marché. Et donc je suis d’autant plus attentif quand ces marques reprennent un concept déjà existant.
Pour ne pas tourner autour du pot plus longtemps, la marque dont je veux vous parler aujourd’hui est Claude Chemises&Cols Français, une nouvelle marque de chemises sans intermédiaires, où tout est fabriqué en France.
Mais au-delà de ça, c’est surtout une marque de chemises à col amovible. Et le concept est extrêmement casse-cou.
Sommaire
Les chemises à col amovible origines et version 2012-2016 (préambule)
Dans l’histoire
L’histoire du col amovible est expliquée très clairement sur le site de la marque, on vous fait un petit résumé ici. N’hésitez pas à consulter la page pour plus de détails. La page wikipedia sur le sujet est elle aussi bien fournie.
Le col amovible est inventé première moitié du XIXè siècle: avec les manchettes, c’est la partie de la chemise qui s’use le plus rapidement. On gagne donc beaucoup de temps en lavant à la main seulement les parties les plus exposées et donc de les rendre amovibles. De même, il permet d’avoir un roulement moins important de chemises dans sa garde-robe.
En plus de ça, les cols de l’époque avaient une sacrée allure:
Le concept disparaît ensuite milieu du XXè siècle avec la rationalisation de la confection (notamment pendant la Seconde Guerre Mondiale, les chemises classiques sont plus rapides à produire), l’arrivée de la machine à laver et enfin l’essor du prêt-à-porter.
La marque a par ailleurs repris le mécanisme traditionnel de goujon, en le perfectionnant légèrement:
De 2012 à 2016 avec La Comédie Humaine
Les plus chevronnés d’entre vous ont déjà connu le concept à travers la marque La Comédie Humaine. Cette marque était pleine de bonnes intentions avec une confection française très honnête et un bon rapport qualité/prix.
La conception du col amovible était par contre selon moi un peu plus approximative avec toujours un peu de jeu au niveau du col. Il était aussi assez compliqué d’avoir un joli rendu avec une cravate.
Le style était en revanche clairement casual chic avec des cols assez étroits (qui rendaient assez bien ouverts), qu’on pouvait aussi faire contraster.
Mais rien en tout cas de très sartorial, ou même qui soit très élégant pour aller au bureau un jour de réunion importante.
Du coup, vous devinerez bien ma curiosité (pour ne pas dire mon scepticisme) quand j’ai vu arriver le concept de Claude CCF tant l’idée n’est pas évidente à executer.
I Claude, Chemises et Cols Français: histoire et origine
1 Le col amovible
Une attache différente, dans le respect du mécanisme historique
Il n’y a que deux points d’attache sur une chemise Claude: un bouton sur la partie arrière extérieur du col et une attache avant via la tige de fermeture en laiton plaquée or (attention donc à ne pas la perdre 🙂 )
On veille d’abord à attacher par l’arrière son col avant d’enfiler sa chemise. Vous pouvez à ce moment là replier le col mais ce n’est pas utile si vous portez ensuite une cravate.
Puis on tâche tant bien que mal (au début, c’est plus facile ensuite) de faire passer la tige à travers les 4 boutonnières (2 de la chemise de base, 2 du col).
Je ne vous le cache pas, ce n’est vraiment pas facile au début donc ce n’est pas la chemise à choisir un matin où vous êtes en retard.
Par contre, le coup de main se prend assez facilement au fur et à mesure des ports. Attention, la partie large de la tige doit être à l’arrière.
C’est au final peu ou prou le même système que des poignets mousquetaires, dans un endroit un poil plus compliqué à manipuler.
En tout cas, le mécanisme est plutôt simple et ça tient bien en place. Petit inconvénient: il faut prévoir une seconde tige si vous voulez porter la chemise col ouvert.
Au centre de tout ça se trouve en tout cas la fameuse tige en laiton plaquée or: c’est cette pièce là qui se rajoute à la chemise pour permettre un col amovible.
La marque a fait le choix d’une tige qui rappelle les goujons qu’on porte sur les chemises dans un registre white tie / black tie (c’est un accessoire assez spécifique et difficile à trouver). Elle rappelle beaucoup le goujon utilisé auparavant, sauf qu’elle peut aussi facilement se porter en bouton de manchette.
Encore une fois, l’exécution est soignée: fabrication en Ile de France, finition plaquée or 18 carats et moulage à la cire perdue (ce qui permet plus de détails et de précision)
Comment en est-on arrivé là ?
Avant de monter la marque, Thibault, un des deux fondateurs, s’est formé à la couture et s’est amusé à lui-même essayer de trouver un système qui fonctionne. Le cheminement est assez intéressant et répond à pas mal de questions.
Thibault commence logiquement par bricoler avec des chemises d’entrée de gamme: ici une base de chemise col officier Zara sur laquelle on appose un col Café Coton
On monte ensuite en gamme, avec ici la découpe d’un rabat de col d’une chemise Samson.
Ici, Thibault va remplacer sur le col le bouton par une boutonnière pour tester la fameuse tige de fermeture.
Premières tentatives de col amovibles, attachés à l’arrière via un système de boutons pression (c’est aussi ce à quoi j’aurais pensé spontanément vu que c’est beaucoup plus pratique).
La première version avec bouton pression: un système qui ne convient pas au final car la fixation n’est pas assez forte et est peu esthétique (trop épaisse).
Les cols disponibles: la grande force de la marque
On reviendra sur le col officier à la base de la chemise, car je n’ai qu’une seule envie: c’est de vous parler immédiatement des cols amovibles.
C’est bien simple, ils ont absolument tout pour plaire à n’importe quel puriste.
Ces cols ne se retrouvent par ailleurs qu’en mesure, ou dans un prêt à porter très haut de gamme (je n’en ai pas vu en tout cas sur des chemises à moins de 200€).
Le col Maestro
Vous me connaissez, je n’ai pas l’habitude de parler en absolu ni d’être dithyrambique. Mais ce col Maestro est le plus beau col cutaway que j’ai pu voir jusqu’à présent, et qui n’a rien à envier à ce qu’on pourrait trouver chez de grandes maisons italiennes à plusieurs centaines d’euros.
Outre sa largeur majestueuse, c’est sans conteste l’arrondi extrêmement subtil des pans qui lui donne toute son harmonie et une certaine identité sprezzatura.
C’est un vrai col de puriste: il est donc préférable de le porter avec un costume de caractère. En revanche, vous verrez qu’il n’est pas fondamentalement indispensable de se prendre la tête sur le noeud pour le « remplir » absolument. Un simple noeud four in hand peut très bien faire l’affaire: c’est d’ailleurs ce que la marque a choisit et ce qu’on va vous proposer en conseils de style.
L’Authentique
J’ai très rarement vu d’aussi longues pattes sur un col français: elles font ici 10 cm de longueur, dans la plus pure tradition sartoriale (comme ce qu’on peut voir dans les grandes maisons italiennes). Celui-ci a en plus le mérite d’être juste assez ouvert pour un noeud de cravate simple four in hand.
C’est un col que j’apprécie par ailleurs particulièrement par rapport à ma morphologie, étant donné que j’ai un cou assez long et fin.
Le Claude
Un col légèrement arrondi, habillé mais pas formel. Il s’agit évidemment d’une ré-interprétation masculine du col Claudine: il n’est pas trop arrondi et n’est donc pas trop féminin.
Je ne le trouve pas spécialement facile à porter mais il y a en revanche un très beau potentiel à exploiter une fois que la marque proposera aussi des bases de chemise en popeline bleu ciel et rayée.
A la base: un col officier bien fait
Premier (bon) point, il s’agit d’un col officier avec une hauteur raisonnable de 35mm. Il se porte très bien avec un ou deux boutons ouverts. Ce col permet donc de bien porter la chemise dans une tenue casual, et par exemple de l’intégrer facilement dans une tenue décontractée estivale.
La triplure de col du col officier est plus épaisse que celle des les cols amovibles: 220g contre 170g. Cela permet ainsi un col qui se tient bien et une base plus stable (les cols amovibles tiennent bien dessus), mais qui reste souple.
Les premiers prototypes de la marque avaient pour la petite histoire une triplure trop souple qui ne tenait pas en place.
Pour tirer pleinement parti de cette facette casual, je vous recommande d’opter pour la version poignets simples de la chemise, évidemment beaucoup plus simples à retrousser.
A noter que, pour rendre ce col plus habillé, on peut aussi porter la tige sur une des boutonnières.
Bref, assez parlé des cols: vous verrez que sur le reste Claude n’a pas non plus lésiné sur la qualité.
2 La popeline de coton tissée en Alsace
168/2: C’est la première fois que je porte une popeline de coton avec un titrage aussi élevé. Et ça se ressent très largement dans le confort.
J’avais un peu la pré-conception qu’une popeline avec un titrage aussi élevée serait assez fragile (souvenez-vous, plus un titrage est élevé, plus il y a de fils et donc plus ceux-ci sont fins).
Etant donné qu’il s’agit d’un double retors (c’est devenu la base sur le marché, mais ça reste rare dans un titrage aussi élevé), on a tout de même un tissu confortable bien résistant et durable, avec ce qu’il faut de tenue et de tombé.
Les fondateurs portent régulièrement cette chemise depuis 7 mois: la popeline n’a pas bougée au fur et à mesure des lavages (avec un lavage avec du blanc, à 40 degrés).
Enfin, le fil est labellisé GOTS et a donc été produit dans des conditions respectueuses de l’environnement, des employés et sans intrants nocifs.
3 La confection française en Saône et Loire
Les chemises et les cols sont confectionnés en Saône-et-Loire: la production française est parfaite pour ce genre de pièces pointues, produites pour le moment en petites quantité. C’est justement grâce au savoir-faire français que la marque parvient à produire ces cols d’exception.
Et cette qualité de confection se voit tout de suite à travers les finitions de la chemise:
– coutures 7 pts au cm
– pinces de cintrage
– hirondelles
– coutures anglaises
Les étiquettes sont quant à elles tissées à Saint-Etienne.
4 Détails et finitions
1 Baleines de col en acrylique
Les fondateurs de Claude ont beaucoup réfléchi au col, vous vous en doutez. Il fallait ainsi des baleines qui soient les plus durables possible, surtout en terme de souplesse.
Même si la matière est plus noble, on disqualifie donc d’emblée la nacre, plus rigide. C’est sur des baleines en acrylique recyclé fabriquées à côté de Lyon que les fondateurs jettent leur dévolu pour le meilleur rapport souplesse/robustesse possible.
A noter que les baleines sont conçues pour une utilisation avec le col Authentique.
2 Boutons fabriqués dans le Jura
Il s’agit de boutons normalement uniquement disponibles en petit Troca (un coquillage moins épais que le troca classique avec un arrière parfois irrégulier).
Claude les a fait dessiner exclusivement en France en Mother-of-Pearl (deux fois plus coûteux que le troca, avec de jolis reflets irisés et dont l’arrière est blanc immaculé).
A gauche un bouton Mother-Of-Pearl, à droite un bouton en troca:
Et voici le bouton Mother-of-Pearl utilisé par Claude:
A travers le liseré qui parcourt l’intégralité du bouton, il s’agit d’un joli clin d’oeil au C du logo.
5 Et le prix dans tout ça ?
195€ pour une chemise en prêt à porter, c’est un budget, on est bien d’accord. Hormis le coût qu’impliquent une matière d’exception, de très belles finitions et une main d’oeuvre française ultra-qualifiée (la marque en parle très bien sur son blog ici), il faut aussi mener une reflexion différente grâce aux cols amovibles.
En optant pour la chemise de base et deux cols (à 55€ pièce), on arrive à 305€.
Etant donné le travail réalisé sur les cols et leur esthétique, on peut ici vraiment considérer qu’une chemise et deux cols équivalent à trois chemises, achetées 305€. Donc à 100€ pièce et des poussières, pour une qualité de tissu, de confection, et de coupe qu’il est impossible de trouver à ce prix sur le marché.
Evidemment, cette mécanique nécessite tout de même au préalable un peu de roulement dans votre garde-robe, et on ne vous dit pas de porter cette même base de chemise plusieurs jours d’affilée en changeant juste le col.
Il s’agit donc d’un bel investissement, qui nous fait revenir aux valeurs de qualité que privilégiaient nos aînés, tout en étant tourné vers une mode future plus responsable (qui portaient comme on l’a rappelé en introduction eux aussi des chemises à col amovible).
III Conseils de style
1 Le col Maestro
Le col le plus sprezzatura et sartorial, celui que je prendrai très certainement avec moi s’il est toujours question d’un Pitti Uomo hivernal fin février grâce à sa largeur et surtout son arrondi.
Inutile de vous dire qu’il est préférable d’avoir un costume de caractère pour bien le mettre à son avantage: j’ai donc choisi un costume Berence Genève rayé avec revers généreux et à pointes. Un costume donc très marqué qui fait bien echo à l’identité forte du col.
Comme vous pouvez le voir, j’ai choisi une cravate avec un noeud Prince Albert: il ne remplit pas forcément le col. Du moment que vous n’avez pas une cravate toute fine avec ce type de col, il n’est pas forcément indispensable d’avoir un noeud imposant.
Enfin, je porte avec des double boucle George&Georges (avec bride amovible): elles sont très habillées et affirmées comme le reste de la tenue et font bien echo aux couleurs de la cravate.
Je porte avec:
– un costume Berence Genève
– une cravate Gentlemenclover
– des double boucle amovibles George&Georges
2 Le col Authentique
Un col beaucoup plus sévère, qui dégage plus d’autorité et qui s’affirme plus en verticalité. J’ai donc choisi ici le costume de chez Manufacture: même si les revers sont un peu limite en largeur (8,5 cm), on est toujours juste en termes de proportions.
C’est un col qui en tout cas peut apporter un côté beaucoup plus habillé à un costume formel un peu trop classique.
La tenue reste sinon similaire pour la cravate et les double boucle.
Je porte avec:
– un costume Manufacture
– une cravate Gentlemenclover
– des double boucle amovibles George&Georges
3 Le col officier
Je ne porte d’habitude pas de col officier seul car j’ai de base un long cou, et ça le rallonge encore plus. Je cherchais donc une couche intermédiaire à porter par dessus qui puisse atténuer cet effet: et c’est ici bien ce que fait col châle du cardigan Mahogany.
La chemise col officier s’intègre bien en tout cas dans cette tenue plus décontractée: on reste dans le même registre avec le pantalon gurkha en tweed de chez Abensia et les brogues Jacques&Déméter.
Seul reproche qu’on pourrait faire à cette tenue: une popeline blanche immaculée un peu en décalage avec le reste de la tenue, plus texturé.
Je porte avec:
-un cardigan col châle Mahogany
-un pantalon gurkha en tweed Abensia Paris
-des brogues Jacques&Déméter
4 Le col Claude
Il s’agit du col le plus difficile à porter selon moi: il convient bien à une tenue sartoriale habillée, mais pas formelle. Il ne conviendra donc pas si vous évoluez dans un milieu codifié.
En outre, il est un peu moins large que les deux autres cols: il s’accordera donc bien avec des costumes aux revers assez classiques.
Etant donné son originalité, il est préférable de le porter avec un costume et une cravate qui ont un minimum de caractère: c’est pour ça que j’ai choisi ce costume dont la flanelle de laine est d’un bleu assez lumineux, avec un discret motif pied de poule. Même raisonnement pour la cravate jacquard à motifs.
De la même manière, les bottines Tobar triple boucle de chez Septième Largeur sont pile poil dans ce registre: elles sont habillées mais sortent un peu de l’ordinaire. Même raisonnement pour sa patine grise foncée qui est noire de loin et dont on découvre les reflets gris clair au fur et à mesure qu’on l’examine de plus près.
Je porte la chemise avec:
– une veste SuitSupply
– un pantalon Scavini Paris
– une cravate Gentlemenclover
– des bottines Tobar de chez Septième Largeur
– un manteau en laine Johnstons of Elgin
– une écharpe Atelier Particulier
Conclusion
Vous l’aurez compris en lisant cet article: j’ai été globalement conquis par les chemises Claude CCF.
Le col Maestro est le plus beau col cutaway que j’ai pu voir jusqu’à présent ( en tout cas dans un prêt-à-porter qui reste relativement accessible), le col français élégant a quant à lui une sacrée allure et l’exécution générale du concept est irréprochable. Tout a été étudié pour valoriser le plus possible le savoir-faire français et proposer une chemise luxueuse, confortable et durable.
Seules petites réserves: je ne suis personnellement pas encore tout à fait convaincu par le col Claude (surtout car je ne suis pas fan de ce style). Et je vous recommande par ailleurs de choisir la version « poignets simples » de la chemise et non pas poignets mousquetaires (qui ne permet pas spécialement de profiter à fond du côté casual de la chemise simple col officier).
Evidemment à 195€ la chemise et 55€ le col, il s’agit d’un produit coûteux, avec une qualité qui se paie. En optant pour une chemise + 2 cols (Maestro et Authentique, vous l’aurez deviné), on s’en tire pour 305€ pour trois styles possibles, ce qui selon moi rentabilise très largement l’investissement. Et est en tout cas bien plus avantageux que d’acheter trois chemises blanches moyen-de-gamme à 100€ l’une.