Disclaimer: il ne s’agit ici pas d’un test produit à proprement parler, mais plutôt d’un reportage en immersion dans un atelier français assez exceptionnel avec un nombre impressionnant de savoirs-faire détenus par une vingtaine d’artisans.
Je vous invite à la fois à lire l’article et regarder notre vidéo d’une dizaine de minutes sur le sujet.
Vous le savez, j’aime beaucoup parler sur JamaisVulgaire des marques d’usine et d’atelier, qui produisent elle-mêmes leur produit.
Non seulement car c’est forcément la garantie d’un meilleur rapport qualité/prix car on retire un intermédiaire, mais aussi car ces marques ont beaucoup plus de proximité avec le produit, et des enseignements bien plus riches sur le savoir-faire.
Lorsque je travaille avec ces marques, je leur propose généralement de venir visiter leurs ateliers, pour pouvoir être le plus précis dans mes articles, et pourquoi pas de réaliser une vidéo (c’est ce que nous avions fait par exemple avec Johnston of Elgins).
De manière générale, la perspective m’enthousiasme et m’effraie à la fois, surtout quand je dois me rendre dans des usines avec des centaines d’employés, où chacun a une tâche technique bien précise sur une machine avec un nom compliqué.
Il me faut alors une concentration extrême pour me souvenir de la fonction précise et concrète de chaque personnes dans la confection d’un produit.
Vous savez quoi ? Ca ne m’est pas arrivé avec Chapal.
Mais je m’en doutais un peu, et je vais vous expliquer pourquoi, avant de vous faire un bref récit des 190 ans d’histoire de cette maison.
Sommaire
I Chapal: le savoir-faire à taille humaine
C’est à l’édition été 2021 du Pitti Uomo que je rencontre Jean-François Bardinon, l’actuel directeur général de Chapal, et un des descendants du fondateur Marien Cougny.
On y discute ensemble longuement de l’importance du savoir-faire des maisons, et de la nécessité de proposer une offre la plus verticale possible, avec une maîtrise de chacun des maillons de la chaîne.
Sur ce point précis, je suis convaincu en une phrase de travailler avec Chapal: TOUT est fait en interne, par une équipe de 24 artisans, qui savent faire à la fois des:
– blousons en cuir
– sacs
– casques
– gants
– pulls
– sneakers
– bottes
Plus de 237 produits différents, que la plupart des marques auraient délégués à au moins 5 usines différentes, sont réalisés de A à Z par la même équipe de 24 personne depuis l’atelier de Chapal, à Crocq, dans la Creuse (avec évidemment des standards d’excellence pour chaque type de produit).
J’évite d’être dithyrambique dans mes articles, mais c’est une configuration qui est tout simplement unique au monde (n’hésitez pas cela dit à me signaler des exemples équivalents en commentaires), et qui méritait donc également un reportage vidéo.
1 190 ans d’histoire (en accéléré)
Chapal se fait connaître au départ pour la fourrure de lapin: son co-fondateur, Marien Cougny, travaille auparavant dans les soieries lyonnaises et revient dans sa Creuse natale avec l’idée d’appliquer les méthodes de traitement de la soie aux fourrures de lapin pour les adoucir.
Avec son cousin et co-fondateur Léonard Chapal, il met cette idée en pratique depuis le moulin familial, le moulin de la Bonnette à Crocq (qui n’a pas beaucoup changé en 190 ans):
La distribution des peaux se fait quant à elle à Paris au 33 avenue de la Roquette: Chapal va ainsi longtemps être établie à Paris et ce dès 1857 où une usine de tannage et de traitement des peaux ouvre à Montreuil.
Emile Chapal se rend ensuite aux Etats-Unis pour y ouvrir une nouvelle usine et se diversifier logiquement en appliquant le savoir-faire acquis depuis déjà 50 ans sur les peaux de lapin aux fourrures des animaux d’Amérique du Nord, comme le renard argenté et la zibeline. Il tire également parti de son savoir-faire sur les peaux de lapin puisqu’il fonde la plus grosse entreprise du secteur aux Etats-Unis.
Ainsi en 1932, à la mort d’Emile Chapal, l’entreprise emploie près de 3000 ouvriers pour un chiffre d’affaire de 260M de francs. Cela représente tout de même aujourd’hui près de 183 millions d’euros (avec conversion plus inflation).
Jean Bardinon, successeur d’Emile Chapal, applique la stratégie de diversification de son prédécesseur avec le travail de fourrures fines, peaux de mouton et cuirs.
Un brevet de plastification des fourrures est développé dans l’usine américaine, voici d’ailleurs quelques modèles vintage que Jean-François m’a montré lors de la visite:
En 1968, Pierre Bardinon, successeur de Jean, entame une relocalisation de la marque en construisant un site de production à Crocq, à 2 minutes à pied du moulin où tout a commencé. Au-delà du tannage et de la teinture, la confection prend une part de plus en plus importante de l’activité.
Une pièce icônique, le Chapalac, est ainsi crée et se différencie grâce à l’application du procédé de plastification sur la peau de lapin: cette gamme est rapidement adoptée par les célébrités françaises comme Johnny Halliday ou encore Sylvie Vartan.
La confection prend une place encore plus importante en 1972 lors de laquelle Chapal se voit confier la fabrication du prêt-à-porter Christian Dior.
En parallèle, Chapal prend une place de plus en plus importante dans le monde de l’automobile à travers de nombreux partenariats avec des pilotes d’exception dans les années 60: c’est à partir de ce moment-là que Chapal va également produire des accessoires et combinaisons pour les rallyes.
L’arrivée de Jean-François Bardinon en 1982 marque le lancement de deux stratégies:
– la montée en gamme de la confection et la fin de la production de fourrure pour compenser le ralentissement notable de la tannerie en France.
– le choix de la marque en propre: un choix plutôt osé pour l’époque, une bonne vingtaine d’années avant que la plupart des autres usines et ateliers ne commencent à franchir le pas
Ce sont ces dernières stratégies qui ont fait de Chapal la maison que l’on connaît aujourd’hui pour deux spécialités: les blousons en cuir et les accessoires automobiles.
Blouson en cuir: la pièce héritage de chez Chapal
Les blousons de pilote de guerre font largement partie de l’héritage de Chapal qui a la particularité d’avoir participé à deux efforts de guerre:
–en France pendant la Première Guerre Mondiale avec des blousons aviateur, mais en toutes petites séries (à l’époque, les pilotes ne couraient pas forcément les rues). Il s’agissait surtout des modèles A1 et A2
– aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale: en particulier avec le fameux modèle de bombardier type B3, qui bénéficie du procédé de plastification de la marque découvert quelques années plus tôt.
Cette plastification du cuir permet justement de lui donner des propriétés imperméables, bien utiles aux pilotes américains à l’époque.
De nos jours, la collection de blousons en cuir va au-delà du monde de l’aviation, en particulier grâce aux connexions de la marque avec l’univers automobile.
Notre visite chez Chapal
Nous avons passé environ 36 heures dans la Creuse, dont une bonne partie dans l’atelier de Chapal à Crocq. C’est un lieu assez déstabilisant car on peut avoir l’impression de vite faire le tour des postes de travail des 25 employés. Pour autant, au vu de la diversité des produits, ceux-ci ne font jamais la même chose. On aurait donc très bien pu rester une semaine entière pour réaliser l’étendue des savoirs-faire de la maison.
La tannerie
C’est assez exceptionnel de voir cette activité avoir lieu à quelques mètres de la confection: les peaux sont majoritairement françaises, issues des Causses, ou du Colorado pour les blousons bombardier B3. Ces peaux sont issues d’élevages bovins et sont des produits dérivés de l’alimentation.
Il s’agit d’une vraie force de posséder sa propre tannerie, surtout dans le contexte actuel de hausse des prix des matières premières: elle garantit une qualité du cuir qui normalement est réservée aux plus grandes maisons de luxe qui sont prioritaires sur l’approvisionnement des tanneries françaises prestigieuses.
Chapal ne lésine pas non plus sur la qualité du tannage et propose un travail d’une qualité supérieure à une tannerie classique puisqu’elle ne cherche pas à être rentable sur la vente des peaux, mais plutôt sur la vente des produits finis (et aussi accessoirement puisque le tannage était son activité première durant presque un siècle).
Ainsi, les peaux vont rester hors des bains et se bonifier pendant des semaines, là où une tannerie classique cherchera à les vendre plus rapidement.
Les peaux lainées
L’expertise de Chapal est également visible sur les peaux lainées, et en particulier l’affinage des laines qui est impressionnant (on voit le procédé en vidéo).
On passe ainsi de ce rendu;
A celui-ci, beaucoup plus doux, fin et luxueux:
Chapal est l’une des rares maisons à maîtriser aussi bien ce procédé.
La confection (ici d’un blouson en cuir)
Nous avons pu voir à partir des peaux un blouson en cuir se faire sous nos yeux, du début à la fin, par environ 4 personnes et dans un rayon de moins de 20 mètres carré.
Une modéliste va d’abord dessiner les différentes parties du blouson, en fonction des gabarits du prêt-à-porter ou des mesures des clients du sur-mesure.
Voici d’ailleurs les tableaux de mesure utilisés:
Et les pièces de gabarit dessinées en conséquence par la modéliste de l’atelier, Eléana:
Ces gabarits sur papier sont également déclinés sur un support plus rigide pour permettre la découpe.
Ensuite, José, le chef d’atelier, va quant à lui découper ces différents pans à partir des peaux, en effectuant une sélection préalable à la recherche de défauts.
Dans cette étape là, il est important de ne faire les découpes que sur le dosset (la partie la plus dense du cuir), en réservant les parties plus souples aux autres accessoires.
Ensuite, toutes ces différentes parties du blouson vont être cousues entre elles et montées par Noëlla, la couturière de l’équipe.
Je dois dire que c’est la partie qui m’a le plus impressionné de la visite car c’est assez impressionnant de voir un blouson prendre forme à partir de simples pièces de cuir, et surtout de voir que c’est fait par une seule et même personne, Noëlla.
Un contrôle qualité est effectué une fois le montage des pièces entre elles terminées: ce n’est qu’ensuite qu’on va monter les fournitures (les zips Riri par exemple). Un contrôle qualité final est effectué juste avant l’envoi.
Je vous invite en tout cas à regarder la vidéo pour voir quelques étapes de la fabrication du blouson.
L’univers automobile
Je suis un peu plus profane là dessus mais Chapal est en gros capable de proposer:
– casques et lunettes de conduite
– chaussures et bottes de conduite
– combinaisons vintage en prêt-à-porter et sur-mesure
Malgré ma méconnaissance de cet univers mécanique, il est tout de même possible d’apprécier ces produits pour leur intérêt esthétique flagrant. Chapal est une des rares maisons à proposer une ligne conduite vintage extrêmement fidèle et surtout de bon goût (grâce à des détails maîtrisés et de très belles couleurs), qui ne donne pas l’impression d’assister à un carnaval lorsqu’on les voit portées aux rallyes.
Elle dispose par ailleurs d’un vrai savoir-faire sur le moulage des casques:
Et l’offre en termes de lunettes et de masques est très variée:
Cette gamme d’accessoires et de chaussures implique une belle richesse de savoir-faire: une grande partie de leur confection est assurée par Wassim, réfugié politique syrien qui s’est très rapidement familiarisé aux méthodes de fabrication de Chapal.
Il peut ainsi à un moment se pencher sur les lunettes:
Puis ensuite avancer sur une paire de bottines:
En plus de maîtriser des savoirs-faire variés, il réfléchit également en permanence à comment améliorer chacune des étapes du processus de fabrication (ce qui n’est clairement pas une démarche qu’on retrouverait dans une usine avec un travail à la chaîne classique où les ouvriers n’ont pas de recul sur la production et ne peuvent donc pas s’engager dans ce genre de réflexion).
Outre les bottines, Chapal propose également toute une ligne de chaussures et notamment de sneakers, entièrement faites à la main donc à partir de cuirs velours, cuirs glacés, doublés en popeline de coton et montés sur une semelle Vibram.
Autres pièces: chemises, jeans etc
Enfin, Chapal propose aussi des chemises, t-shirts, pantalons et jeans dont nous n’avons pas assisté à la confection au moment de notre visite (quand je vous disais qu’une semaine n’aurait probablement pas suffit à faire le tour de tous les savoirs-faire).
Tout ce qui est denim est en tout cas réalisé à partir de beaux denims selvedge.
Conseils de style: deux tenues Chapal
A travers cet article qui est plutôt un reportage, nous n’avons pas fait de test technique à proprement parler des pièces. Nous avons en revanche profité de notre passage dans l’atelier pour y shooter deux tenues pour vous montrer comment intégrer ces pièces fortes à un vestiaire urbain traditionnel.
A travers ces tenues, vous allez également voir quelques lieux emblématiques de l’atelier.
Notez en revanche que ma taille de blouson n’étant pas disponible à l’atelier, je porte des modèles une à deux tailles trop grands. Vous verrez que le fit reste tout de même très correct.
Tenue 1
Je porte ici:
– un blouson en cuir Chapal Roadster en cuir glacé
– des baskets trépointe en cuir glacé rouge
– le sac de voyage XS en cuir glacé Chapal
– une chemise Eterna en jersey
– un pull col cheminée Paname Collection
– un jogpants à rayures d’Avenza
Les photos sont ici prises au dernier étage du bâtiment principal de l’usine de Crocq. Ce bâtiment accueillait plus de 400 employés et était spécialisé dans le traitement de la peau de lapin, une activité qui demandait des machines encombrantes et beaucoup de main d’oeuvre.
A présent, ce bâtiment accueille l’activité de tannage et de traitement des peaux, réalisés avec des machines plus modernes qui demandent moins d’espace et de main d’oeuvre.
On apprécie la tenue irréprochable du col lorsqu’il est levé, en particulier du fait des coutures en chevrons qui permettent un excellent maintien sans le rigidifier.
Ainsi, une grande partie de cet espace est désormais consacré à l’automobile et à ses liens historiques avec la maison Chapal: d’une part à travers une exposition de la collection de motos et de voitures anciennes de Jean-François Bardinon, d’autres part à travers un atelier de restauration pour voitures de collection.
On trouve aussi des motos de collection, aussi bien citadines que de cross.
Avec un tel blouson, j’ai presque l’air crédible sur une moto (je n’ai pas mon permis et je sais à peine utiliser un embrayage):
Tenue 2
Je porte ici:
– un blouson en cuir Chapal USAAF en cuir glacé: un mélange réussi entre les blousons A2 de l’US Air Force et les G1 de la marine
– des bottines Simon en cuir velours Suzy Chapal
– une chemise Eterna soft tailoring en jersey
– un pantalon d’Avenza
Les photos sont prises ici devant la première usine Chapal du Point du Jour.
La construction du dos de ce blouson, conçu pour garantir une mobilité optimale, lui donne également une sacrée allure:
On retrouve les fameuses coutures à chevrons qui permettent un bon maintien du col. Le bouton permet quant à lui l’ajout d’un col en fourrure amovible.
Conclusion
Evidemment, ce savoir-faire, cette attention et ce temps passé sur les pièces a un prix puisque les blousons en cuir commencent à 3700€. J’espère néanmoins que ce reportage vous aura en revanche fait comprendre que, si ça représente un budget, c’est loin d’être un produit cher par rapport à la concurrence, surtout quand on considère que même sur ces ordres de prix la plupart des marques de luxe ne possèdent ni leur propre atelier, ni leur propre tannerie.
Ce n’est que dans l’ultra-luxe qu’on commence à trouver des marques qui maîtrisent un peu leur approvisionnement (et encore pas à ce degré de verticalité) et dont les prix démarreront plutôt à 8000€.
J’espère en tout cas que vous avez apprécié ce nouveau format sur cet atelier unique en son genre.
Je remercie de tout coeur l’équipe de Chapal pour son accueil et sa collaboration: merci à Jean-François, Louise, Sandra et Laurence. Merci aux artisans José, Wassim, Noëlla et Eléana pour avoir pris le temps de m’expliquer leur travail.
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