Vous savez ce que j’aime dans un test ?
C’est quand, en plus d’avoir un produit de bonne qualité (forcément), il y a une vraie histoire de marque et un vrai contexte. Ici, l’histoire de marque est étroitement liée à celle du self-made man Carlos Santos, qui parvient à racheter l’usine dans laquelle il est entré à ses 14 ans.
C’est aussi un contexte économique passionnant: celui de la montée en puissance du Portugal en terme de savoir-faire.
Derrière Carlos Santos se cache l’usine Zarco, c’est l’exemple même de l’usine chez qui les marques faisaient auparavant fabriquer en secret.
Aujourd’hui, c’est une autre histoire: c’est devenu une vraie fierté et un vrai gage de qualité de faire produire au Portugal. Et vous allez comprendre en quoi cette usine y a grandement contribué, en tout cas dans le domaine de la chaussure Goodyear.
Sommaire
I CARLOS SANTOS: L’HISTOIRE D’UN ENTREPRENEUR ET D’UNE USINE FAMILIALE
1 Zarco: une usine avec un savoir-faire et une équipe uniques
Carlos Santos est une usine familiale d’une centaine d’employés sur 3500 mètres carrés: elle se situe à São João da Madeira (c’est un peu l’équivalent de Northampton en Angleterre, de Marche en Italie ou d’Almansa en Espagne.) Elle s’appelait à la base Zarco et fût fondée en 1942 par la famille Costa.
L’usine est extrêmement prudente sur ses méthodes de fabrications et mélange habilement l’utilisation de machines anciennes (qui ne sont plus produites) et de technologies plus modernes.
(Crédits photos: Skoaktiebolaget via Styleforum)
La modernisation de son outil productif ne s’est faite que pour améliorer le produit, et pas seulement pour produire plus, et les machines sont toujours un complément au travail manuel.Les méthodes de confection sont pour Carlos Santos au moins comparables à celle des usines de Northampton: c’est plus de 200 opérations artisanales que subissent les chaussures lors de la production.
L’équipe de Carlos Santos possède ainsi des savoir-faire qui ont été perdus au fil des années dans la plupart des autres usines. L’établissement fonctionne donc un peu comme une école, avec une formation rigoureuse suivie en interne où les plus jeunes (dont c’est souvent le premier emploi) sont formés et suivis avec attention par les artisans les plus expérimentés, de manière à pouvoir être opérationnel lorsque ceux ci partent en retraite. C’est sûrement l’un des rares lieux de travail où on conçoit encore d’y faire carrière toute sa vie, avec un turnover très bas et un vrai sentiment d’appartenance à la marque.
2 Le parcours de Carlos Santos chez Zarco
Carlos Santos devient ouvrier chez Zarco à 14 ans le 7 mai 1968: il fait rapidement le tour des étapes de la production qui sont toutes pour lui fascinante: autant le choix des peaux que la confection de la forme en bois ou le lustrage du cuir pour la patine.
Il apprend ainsi à reconnaître la qualité des matières, des formes et à être irréprochable au niveau technique.
Après avoir fait le tour des postes de production, c’est seulement 4 ans plus tard, à 18 ans, qu’il passe à la vente dans lequel il excelle par ses méthodes au point de pouvoir racheter l’entreprise à seulement 32 ans.
La stratégie d’entreprise change alors: il ne s’agit plus seulement de produire pour des tiers en temps que Zarco mais de proposer des marques en propre. La première est Mack James et, quelques années plus tard, les modèles les plus haut de gamme sont intégrés à la marque Carlos Santos.
Mack James visait d’abord à faire reconnaître le savoir-faire portugais en Angleterre, ce qui a bien marché avec les modèles Goodyear. La marque Carlos Santos n’est arrivé qu’une fois le savoir-faire portugais assez reconnu.
Autrefois les usines Portugaises étaient de simples sous-traitant pour des marques prestigieuses qui se contentaient d’apposer un « Made in Europe » sur les produits: les mentalités ont bien changées et le « Made in Portugal » est devenu un bel indicateur de qualité, autant en chaussures qu’en textile.
Exemple simple: Zarco produisait auparavant pour la marque Sid’s fournisseur officiel de la famille royale (avant Tricker’s), avec donc une exigence de qualité assez inégalée.
3 Décryptage de la collection Carlos Santos
Distribution
S’il fallait cibler un gros défaut de la marque, c’est son réseau de distribution et les incohérences en terme de pricing.
Un même modèle (en l’occurence ici les double boucle testées) peut en gros être distribué chez:
L’eshop de la marque (évidemment) à 369€
A Fine Pair Of Shoes à 255 livres (soit environ 286 euros)
Skoaktiebolaget à 298 euros
Et on remarque du coup plus de 80€ d’écart sur un même produit entre deux canaux de distribution, ce qui incite en l’occurence plus à acheter sur A Fine Pair of Shoes. (même si on sera moins sûr des disponibilités)
J’espère que l’ensemble des prix sera harmonisé assez vite.
La gamme Carlos Santos
Malheureusement ici encore, la différence entre les gammes est un peu floue et n’est pas clairement précisée sur le site.
CS Goodyear
Il s’agit de la gamme Goodyear classique, un montage dont vous connaissez bien les propriétés. On apprécie les formes relativement fines et élancées pour un tel montage.
CS Green Label
Il s’agit ici de Blake (un montage que vous connaissez bien aussi): les formes sont donc un peu plus fines.
CS Goodyear Flex
Il s’agit d’une ligne qui combine le montage Goodyear avec la construction bolognese (dont on vous avait parlé dans l’article sur Lucknow et Oliver Sweeney). Inutile de vous dire que le mélange de deux types de constructions aussi diamétralement opposés n’est pas évident. La couture au niveau de la semelle est sous gravure.
J’aimerais beaucoup vous montrer un exemple de modèle mais la catégorie redirige simplement vers la collection en entier.
CS Sport shoes
Il s’agit de toutes les sneakers, cousues avec un montage Blake.
J’avais aussi lu que Carlos Santos disposait d’une gamme Handcrafted, faite main avec la couture Goodyear sous gravure mais je n’en ai plus vu de trace sur le site. (les prix étaient alors plus proches de Carmina, vers les 450 euros).
II TEST DES DOUBLE BOUCLE CARLOS SANTOS
1 Caractéristiques techniques
Montage
Il s’agit évidemment d’un Goodyear (ouvert et non pas sous gravures, c’est le seul petit bémol que j’aurais à signaler) qui n’a pas grand chose à envier à ce qui se fait à Northampton avec des lisses plates et un cambrion. On vous rappelle toutes les méthodes de construction de chaussures dans notre guide.
On est pile poil dans la norme de ce qui se fait dans cette gamme de prix.
La matière
Le cuir vient surtout de la tannerie du Puy et on voit très vite que c’est un cuir d’excellente qualité qui est utilisé, avec des plis d’usure qui se sont relativement peu marqués. Un cuir qu’on pourrait a priori caler au même niveau que Carmina ou Crockett&Jones.
Il semble très gras au touché et de visuel: c’est plutôt bon signe car ça montre qu’il tiendra bien le coup face aux aggressions extérieures (contrairement à un cuir plus sec qui marquera plus facilement).
Ca veut donc dire qu’il a subit un long tannage, dans les règles de l’art, et qu’il s’agit d’un des cuirs haut de gamme des tanneries du Puy. Les cuirs plus entrée de gamme sont plus secs, car le tannage (qui est une opération très coûteuse) aura duré moins longtemps et le cuir aura moins été longtemps plongé dans la graisse.
Les photos ont été prises après un mois de port, sans cirage pour le moment.
Je regarde souvent sur ce genre de chaussures comment le bout droit réagit aux premiers ports et s’il marque facilement: ici, il tient très bien, notamment car il est plutôt gras.
La patine proposée d’emblée (j’ai choisi ici la Braga) est plutôt équilibrée et simple à porter: la partie foncée du bout dur est amenée progressivement, sans qu’il n’y ait de rupture de couleurs trop brusque.
Pour une patine offerte avec la chaussure, elle est assez travaillée et vieillit plutôt bien.
Les finitions
Les finitions sont pile au niveau de ce qu’on peut attendre de cette gamme de prix: les coutures notamment sont ultra resserrées et bien proches des bords. La démarcation du bout droit est elle aussi bien régulière.
La qualité se remarque aussi dans les détails comme la boucle en métal fixée au cuir par un élastique d’ajustement. (cette partie là est beaucoup plus rigide et fragile sur les paires d’un budget inférieur).
2 Au porté
Comme tout soulier avec montage Goodyear qui se respecte, il est extrêmement rigide au début: je l’ai donc tranquillement porté seulement au bureau afin d’assouplir la semelle. Il faut compter une bonne quinzaine de ports avant d’envisager sereinement de les porter sur une journée entière en extérieur.
C’est aussi sûrement la première fois que je porte du Goodyear avec un cambrion aussi prononcé: ça fait vraiment des merveilles en terme de maintien de la voûte plantaire et donc de confort.
La forme plutôt bien étudiée au niveau du milieu intérieur joue aussi beaucoup là dessus.
La qualité des finitions peut aussi se remarquer sur les bords: sur les chaussures d’entrée de gamme, ils sont finis à la va-vite par des coutures tandis qu’ici on a des bords cirés à la cire d’abeille.
La forme
Le site est malheureusement assez peu lisible sur les formes dans l’offre globale (en fait il n’en parle pas du tout). La paire que j’ai choisi propose une forme assez généreuse avec une belle largeur et pourtant une allure générale tout de même assez racée (surtout pour une paire dont le montage Goodyear se compare à ce qui se fait à Northampton).
Bref, une forme espagnole à mi-chemin entre la finesse italienne et la robustesse britannique.
3 Conseils de style
Une double boucle avec ce genre de patine donne une paire avec pas mal de caractère. Dans une tenue formelle, elles seront un peu le centre de l’attention, portées avec un costume bleu marine ou gris.
Ici, je les porte avec un costume assez voyant, qui ne se destine pas vraiment à un usage professionnel (en tout cas pas dans des milieux stricts): la paire est ici utilisée pour équilibrer la tenue. Une paire plus sobre (richelieu noires ou derbys marrons par exemple) serait passée complètement inaperçue, tandis qu’une paire plus forte (par exemple avec une patine d’une couleur plus originale comme bleu ou vert) aurait donné une tenue carrément too much.
Le raisonnement est un peu le même pour les chaussettes: une couleur unie aurait été trop fade dans cette composition.
Avec une tenue moins habillée
Avec la même veste de chez Atelier Mesure, j’ai choisi une tenue plus décontractée (sans cravate) et dépareillée en jouant sur un dégradé de bleu: le bleu du pantalon est pile assez foncé pour créer du contraste avec celui de la veste. De la même manière la texture est carrément différente: en haut une laine en bébé alpaga de Ferla, très laineuse et boucleuse, ultra texturée et claire. En bas une flanelle plus douce VBC avec motif pied de poule plus sombre: on retrouve toujours une texture un peu laineuse, mais bien plus lisse. Par contre la matière a en bas beaucoup plus de mouvement grâce aux pinces.
Ici encore, j’ai choisi de faire un revers plutôt généreux avec ce genre de chaussures, pour aussi mettre en valeur les chaussettes de chez Mes Chaussettes Rouges (qui se distinguent sur le motif et la couleur, mais dont la texture est assez discrète).
CONCLUSION
Note formelle: 8/10 (Les double boucle ne sont pas les chaussures les plus formelles, et la couleur marron non plus et encore plus avec ce genre de patine et de ton un peu clair)
Note casual: 7/10 (elles sont assez habillées mais s’intègrent parfaitement à un bon style casual chic)
Prise de risques: 2/10 (la patine peut faire un poil peur mais elle sont ultra faciles à porter)
Rapport qualité/prix: 10/10 (à 369 euros, c’est excellent et si vous les avez à moins de 300 euros c’est une véritable aubaine)
J’espère bientôt pouvoir passer en revue de manière approfondie des marques comme Carmina ou Crockett&Jones mais il y a fort à parier que Carlos Santos n’ait pas grand chose à leur envier, autant en terme de matière que de construction. (même si on remarque déjà quelques différences comme un Goodyear qui n’est pas sous gravure, avec les coutures visibles)
Les double boucles sont disponibles sur l’e-shop de la marque à 369 euros. (ou à 80 euros moins cher sur A Fine Pair of Shoes, mais je ne pense pas que ça ait vocation à durer…)