Aujourd’hui, aller dans un multimarque de luxe ou un grand magasin et y trouver des marques haut-de-gamme italiennes peut sembler assez ordinaire, en particulier à Paris.
Pourtant, il y a quelques décennies à peine, les marques italiennes prestigieuses que l’on connaît aujourd’hui vendaient exclusivement sur leur marché domestique, et ne pensaient à l’international que pour des marchés très porteurs à fort potentiel comme le Japon.
Si l’on en trouve autant à Paris aujourd’hui, c’est grâce à des pionniers comme Norbert, fondateur de la boutique Willman (136 rue du Faubourg Saint-Honoré) qui ont su montrer à ces marques italiennes le potentiel du marché français et nouer des relations privilégiées avec elles au fur et à mesure des années.
Si je vous parle de tout ça, c’est non seulement car je trouve que l’histoire est passionnante (et aide beaucoup à comprendre le marché actuel), mais aussi plus concrètement car c’est dans ce genre de boutiques que vous trouverez des prix plus attractifs, ainsi que des collaborations capsules en série limitée.
Sommaire
I By Willman, un pionnier du retail italien
1 Norbert Benaim: de Smuggler à Willman, un vétéran du costume
Pour comprendre comment la boutique Willman est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, il faut s’intéresser de plus près à son fondateur, Norbert Benaim, un vétéran du costume masculin dont le parcours est un excellent résumé de l’industrie du costume en prêt à porter de ces trentes dernières années.
Pour vous résumer ce parcours, je me suis beaucoup aidé de la retranscription écrite du podcast Gentleman Chemistry de 2 heures réalisé par Stéphane Butticé avec Norbert.
Norbert naît ainsi le 20 mai 1964 en banlieue parisienne d’une famille d’origine méditerranéenne (ce qui lui donnera beaucoup d’aisance avec le textile italien): il doit cependant déménager un peu moins de 25 fois au cours de son enfance et de son adolescence.
Pas idéal pour la vie sociale et la scolarité: il préfère ainsi au BAC une formation hôtelière courte, de deux ans qui le fait travailler dans des établissements parisiens prestigieux comme le Maxim’s ou le Bristol. Une formation d’une exigence rare qui lui sera extrêmement utile par la suite, une fois en boutique.
C’est aussi durant cette formation qu’il achète ses premiers costumes chez Smuggler, enseigne tombée un peu en désuétude aujourd’hui mais qui était un peu le Suitsupply français de l’époque (et quand je dis français, je parle même de la confection).
Il devient vendeur dans la boutique rue de Longchamp après sa formation et intègre une équipe de noms bien connus: Didier Azoulay (fondateur de Gambler) ainsi que Marc Guyot et son frère Laurent. Cette équipe était alors gérée par Noël Dewavrin (la famille fondatrice de Smuggler) qui créera lui-même au début des années 2000 la maison Keitel à Lille (bref, un peu la Paypal Mafia du costume français).
A l’époque, la boutique idéalement située dans le 16è arrondissement vend auprès de la jeunesse dorée locale une vingtaine de costume par jour et une quarantaine le samedi (ce qui à raison de 6 jours d’ouverture par semaine nous fait presque 560 costumes mensuels): ces chiffres font de cette boutique une des meilleures en France, en compétition à l’époque avec Arthur&Fox, Renoma, Curling ou encore Atelson.
Le concept de Smuggler était assez simple: du prêt-à-porter décliné dans une toile de laine classique à 1500 francs (200€) et un super 100’s à 1960 francs (300€) le tout vendu avec quelques retouches. Le produit n’était donc pas meilleur qu’ailleurs, mais le concept était rôdé, le bouche à oreille fonctionnait mieux et l’équipe de vente était probablement plus performante.
2 Ouverture de Willman et passage à la façon italienne
Norbert y passe 8 ans puis, après une courte parenthèse sur l’île de Saint-Martin, ouvre en 1984 sa propre boutique au 20 avenue Mozart, dans le 16è arrondissement. Tout comme ses ex-collègues, il s’appuie dans un premier temps sur la même manufacture française qui fournissait Smuggler pour obtenir des costumes d’une qualité légèrement meilleure qu’il vend à ses clients fidèles de la boutique rue de Longchamp.
Seul souci: la manufacture de Smuggler est plus adaptée à du volume qu’à de la qualité. Elle n’est donc plus adaptée à la vision de Norbert qui va se tourner alors vers des ateliers italiens rencontrés lors de salons à Paris. Pendant ce temps-là, les ateliers français qui n’arrivent justement pas à opérer cette montée en gamme et ferment les uns après les autres.
Norbert se conforte dans son choix de l’Italie par la culture du bel artisanat de ce pays, où le savoir-faire est un héritage soigneusement transmis et où chaque produit raconte une histoire, en particulier sur les nombreux produits réalisés à Naples
Cette montée en gamme plaît puisque Norbert va par la suite ouvrir 4 boutiques: rue des Canettes (dans le 6è), rue de Chartres à Neuilly, rue Vignon près de Madeleine et enfin Bruxelles.
Avant l’ouverture de sa nouvelle boutique rue du Faubourg Saint Honoré, l’activité était répartie entre rue Vignon et rue Jean Mermoz.
Un sourcing italien soigné
Evoquer simplement la qualité du sourcing ne serait pas vraiment rendre justice à Willman et à tout le travail effectué par Norbert pour en arriver là. Au lancement de sa boutique, il est était alors très difficile en France de travailler avec des marques italiennes qui à l’époque favorisaient leur marché local ou des marchés à fort potentiel comme le Japon.
Le chemisier Delsiena Milena fût la première maison qu’il distribua (en négociant bec et ongle pour obtenir une première commande de 25 chemises qu’il réussira à vendre en une semaine) puis Finamore pour enfin construire une offre complète.
L’offre de chemise est plutôt riche à présent, avec Finamore, Maffeis ou encore Barba Napoli:
Au fur et à mesure des années, l’offre s’affine pour se concentrer presque exclusivement sur le prêt-à-porter de luxe fait main à Naples.
Norbert ne propose ainsi pas de demi-mesure et considère qu’il est préférable d’opter pour un très beau prêt-à-porter intelligemment retouché.
Ce qui m’a surtout plut chez Willman, c’est qu’il ne s’agit pas que d’un distributeur: Norbert tient à apporter une valeur ajoutée et une touche personnelle à son offre et propose en effet avec chaque marque des produits développées en exclusivité pour sa boutique, qu’on ne retrouve pas ailleurs. Comme le confie Norbert, ses clients viennent pour s’offrir « un produit et non une marque ».
Le stylisme s’oriente souvent vers un style sportswear élégant avec des costumes déstructurés portés avec des sneakers, ou encore des blousons dans des matières luxueuses comme le modèle Marco Pescarolo présenté plus haut.
Vous trouverez enfin chez Willman un échantillon représentatif des belles vestes texturées et déstructurées italiennes de chez Lardini avec la fameuse épingle fleur signature.
Une identité marquée
Au-delà des finitions typiquement italiennes (épaules napolitaine, vestes déstructurées demi-doublées, pantalons à pattes de serrage), la personnalisation effectuée par Norbert est plus subtile et joue sur un sens aiguisé des proportions: hauteur des poches, largeur et hauteurs des revers, surpiqûres AMF etc.
Un modèle particulier
Le modèle économique de Willman échappe à celui des multimarques classiques et s’apparente davantage à un commerce de proximité: Norbert a sut développer une clientèle extrêmement fidèle depuis presque 40 ans, assez aisée et qui peut se permettre un panier moyen de 1000 à 2000 euros avec parfois de simples coups de coeur sur des éditions limitées. A cela s’ajoute également des clients curieux de passage dans les alentours, par exemple la clientèle du fameux hôtel Bristol.
Willman n’a donc aucun frais publicitaire (hors de question par exemple de dépenser des fortunes en publi-rédactionnel sur des magazines papier), autant en termes de presse traditionnelle que de marketing digital. Si un site e-commerce existe bel et bien, celui-ci ne référence en fait pas la plupart des éditions limitées d’une dizaine de pièces qui sont généralement vendues en quelques jours.
3 La nouvelle boutique Faubourg Saint Honoré
Avec le succès de la boutique Jean Mermoz, il était logique de chercher à s’agrandir. Au-delà d’une simple expansion, Norbert nourrissait un projet avec plus de sens: développer autour du prêt-à-porter une vraie offre lifestyle avec ce que l’Italie a à offrir de mieux dans les spiritueux et la gastronomie et un lieu de vie où pourraient se retrouver ses clients.
II Test du costume croisé Sartorio par Kiton
Sartorio par Kiton: rappel
Le propre du style napolitain, c’est de proposer des costumes déconstruits, sans padding ni cigarette, et avec une manche cousue comme une manche de chemise
Sartorio, la marque plus moderne de Kiton, propose une offre un peu plus jeune, dans laquelle on pourra trouver par exemple des tailles élastiquées et des tissus techniques.
Afin de créer ses collection, Sartorio profite aussi des archives extrêmement riches de Kiton (par exemple des costumes d’Edward VII, le duc de Windsor) et du savoir-faire de Kiton (qui a notamment lancé une école de tailleurs en 2000).
Les tissus viennent de chez Carlo Barbera, un drapier italien en activité depuis 1949 et qui fût racheté par Kiton en 2010 qui propose des laines très fines de 15 à 16 microns. Ici, il s’agit d’une laine 260g.
J’avais au départ un peu peur qu’il se froisse facilement. On trouve ainsi assez peu de plis sur la veste et le pantalon conserve bien son pli frontal, tout au long de la journée.
1 Patronage
Le dessin du revers est assez particulier: en effet le cran est beaucoup plus bas que sur les costumes croisés plus classiques. Ce cran plus bas mets davantage en valeur les épaules et donne donc plus de carrure à la silhouette en général.
Au-delà du cran, c’est aussi la couture entre l’encolure plus longue et qui remonte davantage que ce qu’on peut trouver d’habitude en prêt-à-porter ou sur les demi-mesure plus traditionnelles. L’encolure est aussi légèrement plus fine.
Pour comparaison, voici le patronage d’un costume croisé plus classique: l’encolure est plus large, la couture de séparation plus courte et les pointes remontent plus haut.
La fameuse surpiqûre AMF est présente sur toute la longueur du revers et du col, ainsi que sur la poche poitrine barchetta.
On la retrouve également le long des fentes et autour des poches plaquées.
2 Coupe et construction
Il s’agit vraiment d’une veste chemise ici: on trouve un peu d’entoilage entre l’épaule et la partie supérieure de la poitrine pour un minimum de tenue. Le reste est vide: la sensation est assez étrange au début mais on s’habitue vite à cette sensation de légèreté.
C’est précisément cette construction (ou plutôt cette absence de construction) qui m’a permis de porter ce type de costume au-delà des 30 degrés.
Epaule souple
L’épaule est donc complètement souple mais permet tout de même de mettre en valeur la silhouette même sans avoir une carrure particulièrement athlétique
3 Finitions de la veste
Boutonnières faites main
La milanaise et l’ensemble des boutonnières sont faits à la main.
Col cousu main
On le voit facilement à l’irrégularité des coutures: le col est cousu main. Cela apporte encore plus de souplesse à un costume déjà très fluide.
Emmanchure cousue main
De même, les coutures irrégulières ici révèlent une emmanchure cousue main: elle peut ainsi être plus haute et avoir un meilleur tombé qu’une emmanchure cousue machine.
4 Finitions du pantalon
Des coutures plus régulières faites machine
Les coutures sont faites à la machine au niveau de la ceinture: elles sont cependant régulières et bien resserrées.
Oeillets et boucles en laiton
La boucle et les oeillets sont en laiton un peu patiné, ce qui permet un joli contraste de matière avec la laine bleu marine plus lisse.
Ajusteurs boutonnés en corne
Il s’agit d’un détail très appréciable mais tout à fait inutile puisque vous ne le déboutonnerez jamais. La corne rajoute un contraste de matières intéressant
III Conseils de style
Un costume bleu marine peut rapidement sembler un peu austère et lisse en été, aussi léger et déstructuré soit-il: pour casser cet effet, j’ai donc compté sur des matières estivales comme le seersucker et la soie sauvage de la cravate vintage.
Je porte le costume Sartorio de Kiton avec:
– chemise seersucker de chez Couturier Parisien
– tassel loafers Vadillo de chez Septième Largeur
– une cravate vintage de notre sélection
– lunettes de soleil Carlotti Paris
Ce costume est extrêmement polyvalent et peut facilement se porter de manière plus décontractée, sans cravate:
Le pantalon gurkha se porte comme vous l’aurez compris très facilement avec tout type de tenue estivale:
Conclusion
Si vous ne devez retenir que quelques lignes de cet article, ce sont ces deux éléments clefs qui différencient Willman de n’importe quel revendeur lambda de prêt-à-porter italien:
– Willman fût la première boutique à s’investir dans le prêt-à-porter sartorial italien de luxe et entretient des relations privilégiées avec des marques italiennes prestigieuses avec lesquelles elle collabore depuis des décennies (en ayant parfois été leur tout premier revendeur étranger) et propose des collaborations en édition très limitées
– Norbert quant à lui travaille depuis plus de 40 ans dans l’industrie du costume pour homme dont il a vu l’histoire s’écrire aux côtés de figures majeures (Didier Azoulay de chez Gambler, Marc Guyot etc): on peut donc compter sur une expérience rare, difficile à trouver ailleurs à Paris
Le costume Sartorio de chez Kiton est distribué chez Willman à 1380€: un prix plus bas que ce que l’on trouve généralement pour cette marque ailleurs grâce aux relations privilégiées que Norbert entretient avec ses fournisseurs. Un tarif même plutôt accessible pour un costume fait à Naples, avec autant de finitions main.
La nouvelle boutique Willman se situe au 136 rue du Faubourg Saint-Honoré
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