C’est tout de même assez fascinant de voir à quel point la technologie et la tradition peuvent au final être si intimement liées.
C’est par exemple grâce à Tumblr puis Pinterest et enfin Instagram que j’ai depuis une dizaine d’années appris à apprécier l’art bottier, et ce à quoi doit ressembler une botte bien faite.
Des marques comme Crockett and Jones étaient ainsi déjà omniprésentes sur les réseaux: j’étais déjà ainsi familier depuis longtemps avec des noms comme Islay, Skye ou encore Coniston.
Et pour cause, ces bottes incarnent ce que devrait être une botte bien faite, là pour vous servir des années:
L’idée de cet article va justement être de voir ce que Crockett and Jones fait de différent par rapport à ses autres concurrents et de ce que l’on peut trouver ailleurs en Goodyear sur le marché.
Car ce n’est probablement pas pour rien que la maison a obtenu le Royal Warrant, en plus d’avoir habillé les explorateurs Ernest Shackleton (avec les bottes Ross, moins connues) ou encore James Bond. Ces bottes ont été vues sur les 7 continents, ont arpentées tout type de terrain imaginables, le tout en restant photogéniques sans efforts.
Je m’emmêle aussi souvent les pinceaux sur les différents modèles disponibles de la gamme et leurs particularités, nous allons ici décrypter brièvement le style et la cible chaque modèle avant de passer au test.
Sommaire
Rappel: les différents types de bottes utilitaires
Quand on parle de bottes utilitaires, le champ des possibles est large: il vaut donc le coup de faire une petite piqûre de rappel
Elles peuvent être inspirées des :
– des bottes de paysans de l’époque, faites pour marcher dans la boue mais sécher rapidement
– des bottes militaires tout terrains (avec renforts à la cheville et sans compromis sur l’imperméabilisation): il s’agit généralement de bottes derbys, avec un bout droit. Chez Crockett&Jones, ce sont les Coniston.
D’autres marques proposent également des bottes de chantier avec généralement une protection à l’avant et un une forte inspiration Americana et ruée vers l’or: vous n’en trouverez pas chez Crockett&Jones dont l’héritage est typiquement britannique. Mais c’est ce que l’on trouve chez Red Wing ou encore Wolverine avec des renforts à l’avant, prévus pour protéger le pied en cas d’accident sur un chantier.
C’est de la première catégorie dont on va parler, qu’on appelle généralement brogue boots.
Trois modèles du genre ont existé chez Crockett&Jones:
– la Islay, qu’on va tester
– la Skye: elle monte moins et est un peu plus fine (forme 335), avec un cuir lisse
– la Lindrick, plus habillée et réalisée en édition limitée en cordovan:
La Skye et la Lindrick ne font malheureusement plus parti de la collection Crockett&Jones: je les ai surtout mentionnées pour montrer l’expérience qu’a déjà la marque dans ce domaine.
Test des bottes brogue Islay
Les Crockett & Jones Islay ont été baptisées d’après les Hébrides intérieures l’île la plus au sud de l’Écosse.
Contrairement à ce que leur style pourrait laisser penser, les Islay sont des bottes qui ont été réintroduites récemment chez Crockett&Jones: en 2009, en même temps que la forme 365 (dont on parle juste en dessous). Elle s’inspire d’ailleurs de modèles des années 40.
La forme 365
Il s’agit de la forme la plus généreuse de la collection, très spacieuse à l’avant et à l’arrière ce qui la rend idéale pour des bottes montantes. Contrairement à ce qu’elle laisse penser, elle est plutôt récente et apparaît en 2009.
Cette forme est connue en particulier pour apparaître dans la toute dernière scène de Skyfall, justement tournée en Ecosse.
C’est en fait une forme réservée à la Islay.
Si on les Islay sont idéales pour garder les pieds au sec, n’allez pas dans les extrêmes non plus:
La forme 365, une forme anatomique
Ayant été réfléchie pour une botte increvable avec un montage impénétrable, vous pensez bien que le confort était une priorité pour rendre ces bottes un minimum agréables.
Pour vous donner une idée, la forme est plutôt large, avec un bout bien arrondi et forcément assez courte: bref, ce qu’on attend d’une brogue boots.
Mais au-delà de ça, l’idée de la forme 365, c’est de respecter l’anatomie des pieds avec d’abord un bout et une semelle légèrement incurvés pour mieux s’adapter au déroulé du pas lors de la marche.
Ca aurait été tout à fait inutile sur une paire de ville normale, mais c’est bien pratique sur ce genre de botte plus massive.
Si la largeur est un peu supérieure aux autres formes, la cambrure est accentuée pour un meilleur support de la voûte plantaire.
Confort et ressenti au bout des premiers ports
On pouvait s’y attendre, c’est une paire qui prend du temps à être apprivoisée et à être assouplie: et c’est bien normal avec ce genre de semelle Goodyear et un cuir aussi robuste.
J’ai profité d’un séjour de quelques jours en Bretagne pour m’y attaquer: le bon sens interdit normalement de porter directement ce genre de chaussures une journée entière, en particulier si vous avez prévu de beaucoup marcher. C’est pourtant exactement ce que j’ai fait ici, en m’attendant au pire.
La semelle ne pose en fait pas tant de problèmes que ça et deviendra plutôt confortable au bout d’environ 2 jours de marche.
Sur une botte, il faudra également assouplir le cuir au niveau du haut de la tige: c’est ce qu’on appelle la cheminée. Elle est un peu plus rigide et il vous faudra une bonne dizaine de ports pour bien l’assouplir.
Le cuir grainé Scotch Grain
Les coloris disponibles
Les Islay étaient au départ uniquement proposées dans le coloris testé, c’est-à-dire un marron un peu patiné en cuir grainé.
Deux nouvelles versions ont c’est leur apparition cette année: un cuir grainé noir, et un cuir lisse huilé.
Ces deux modèles ont quant à eux été développés strictement pour un usage outdoor: si la semelle dainite permet un port avec un costume, la semelle Vibram est quant à elle bien plus utilitaire.
Si le noir peut paraître un peu difficile à porter, rappelons qu’à l’origine les brogues étaient confectionnées à partir de cuir noir.
Le cuir grainé est issu de tanneries européennes avec un tannage spécial pour obtenir le meilleur compromis possible entre souplesse et durabilité.
Dainite
Cette semelle en caoutchouc est produite par la Harboro Rubber Company depuis le début du 20è siècle. Elle a ensuite été reproduite par de nombreux fabricants: celles de Crockett&Jones sont en revanche plus denses grâce à un pourcentage de caoutchouc plus élevé.
Pour moi, cette semelle a deux avantages: elle est plus fine et habillée que la Vibram et ses crans ultra-apparents. On peut donc porter une botte ou une chaussure avec semelle dainite avec un costume.
Ensuite (nous en avions déjà parlé dans un autre test), la forme circulaire des crampons permet d’évacuer très facilement la poussière, terre, boue etc. Ceux-ci n’ont aucun endroit où se loger et vous pourrez simplement aller en intérieur après une ballade en forêt.
La fermeture
Nombre de crochets
La fermeture comporte 5 crochets robustes et faciles d’emploi. Avant de tester ces bottes, j’avais toujours été très mauvais avec ce genre de bottines: il m’était tout simplement impossible de garder mes lacets bien faits plus d’une demi-heure.
Jean-Dominique, de chez Crockett&Jones m’a d’ainsi fait part d’une technique de laçage que je ne connaissais pas: le laçage du pilote. Il est ultra-fiable et le rendu est surtout très stylé:
Voici une petite vidéo tuto par Jean-Dominique lui-même:
Oeillets
Tous les oeillets sont renforcés à l’intérieur: Le laçage est assez rapide à ce niveau là vu qu’il n’y a que 4 oeillets.
Les perforations
Petit rappel historique: le mot brogue (qui désignent les bottes et chaussures perforées) vient du Gaelic Bróg. Et pour causes, ce type de chaussure était d’abord porté dans les tourbières irlandaises (des forêts très humides).
Le but des perforations ? Permettre au cuir d’évacuer plus rapidement l’eau et donc de sécher plus rapidement. Ce qui permettait aux paysans et aux soldats de l’époque de remplacer les paires de chaussures qu’ils faisaient sécher successivement par une seule paire de chaussure qui pouvait sécher en quelques heures.
Attention, ce ne sont pas les perforations qui empêchent le cuir d’être humide, ou de prendre l’eau: c’est plutôt ce qui lui permet de sécher beaucoup plus vite (et c’est normal car au lieu d’avoir une surface plane, on a d’un coup plein d’endroits où l’air peut pénétrer plus facilement)
Après cette précision, vous comprendrez bien que tester ces bottes en ville aurait été une belle blague et un manque singulier de conscience professionnelle (mais c’est ce que certains autres blogs ont fait).
Au final, après avoir fait l’idiot dans la boue, les bottes ont séché en à peine une vingtaine de minutes.
Hormis un très léger éclaircissement de la teinte, elles n’ont le lendemain gardé aucune trace de cet épisode traumatisant pour le parisien moyen:
Même avec les pieds complètement enfoncés dans la boue, on reste bien au sec. Par contre, ce n’est pas grâce aux perforations mais grâce au montage Goodyear Extended Stormwelt.
Le montage Goodyear Extended Stormwelt
Si vous aviez oublié ce qu’était un montage Goodyear, cet article devrait être une bonne piqûre de rappel.
Avant toute chose, sachez qu‘il n’est pas systématique qu’un montage Goodyear fasse le tour de la chaussure, et donc qu’on ait une trépointe au niveau du talon.
Pourquoi ? Souvent car il est plus cher et complexe de maintenir une belle forme, portable en ville, sur une botte donc le cousu Goodyear fait le tour de la chaussure.
On distingue deux types de montage Goodyear:
– le 360 qui fait tout le tour
– le 270 qui s’arrête au talon
Dans le cas présent, on a un Goodyear Stormwelt: cela veut dire que la trépointe ( appelée welt en anglais et normalement plate) est fendue pour qu’une des extrémités soit tournée vers l’extérieure
On voit ainsi bien la trépointe en Y caractéristique du Stormwelt: elle est aussi présente derrière le talon vu qu’il s’agit d’un cousu baraquette. C’est pourquoi on l’appelle Extended Stormwelt.
Pour rendre ce montage possible, une jonction très discrète est effectuée juste avant le talon:
Conseils de style
Avec leur semelle dainite, les Islay font parti des rares types de bottes à pouvoir se porter avec un costume hivernal, tant que la texture reste marquée.
Mes styles
Promeneur du dimanche
Ces deux tenues ont globalement la même composition: gurkha en flanelle, col châle et saharienne en velours côtelé. J’ai juste changé un peu les couleurs entre les deux.
L’idée est de vous montrer qu’on peut faire un peu ce qu’on veut au niveau des couleurs, tant que le registre des pièces est bien choisi.
Avec le col châle vert forêt et le pantalon gurkha marron, la première variation est forcément plus orientée Gentleman Farmer:
La saharienne marron en velours côtelé contraste pile assez avec le gurkha marron en flanelle.
Le registre devient forcément un peu plus urbain avec le gurkha en flanelle gris et le cardiban bordeaux: pour autant, on reste sur une grosse maille et de la flanelle donc ça colle toujours bien à des brogue boots en termes de matières.
La saharienne marron contraste bien également avec le bordeau: on a d’ailleurs ici la gamme de couleurs typiques d’une superposition simple qui va du plus clair (chemise) vers le plus foncé (saharienne).
Je porte les bottes Islay avec:
– le pantalon gurkha en flanelle développé avec Maison Singulier
– le cardigan col châle en laine cachemire développé avec Paris-Yorker
– une saharienne en velours côtelé marron (bientôt disponible)
Gentleman Farmer
J’ai tendance à déconseiller ce genre de bottes massives avec un costume, c’est notamment ce que j’ai fait sur ce post Instagram: il est évident qu’avec des lacets et une trépointe contrastante, ces bottes ne peuvent pas se porter dans un registre habillé.
Pour porter ce genre de bottes avec un costume, je ne vous recommande que des matières hivernales lourdes et texturées, comme de la flanelle ou du tweed.
Je porte les bottes Islay avec:
– un costume croisé Wicket
– une chemise en coton et lin Butticé
– une cravate en jacquard Gentlemenclover
– une montre Yema Wristmaster
– un gilet en flanelle d’Avenza (collaboration disponible dans quelques jours)
Style Peaky Blinders
Malgré le côté plus formel des rayures, cette flanelle fonctionne bien grâce à son coloris marron qui s’inscrit bien dans le registre Gentleman Farmer des brogues.
Je porte les bottes Islay avec:
– un costume MTM trois pièces en flanelle rayée Scavini
– une chemise MTM La Maison de l’Homme
– une cravate Gentlemenclover
Conclusion
C’est par des nuances pas forcément visibles du premier coup d’oeil que les Islay se différencient des autres brogue boots:
– une forme 365 confortable mais sans être trop pataudes
– une semelle Dainite pratique et plus passe-partout qu’une semelle Vibram
– un montage Goodyear Extended Stormwelt, qui fait le tour de la botte (ce qui n’est pas forcément toujours le cas)
Résultat: des bottes qu’on domestique assez rapidement (à part la cheminée, un peu plus rigide), qu’on prend plaisir à porter et qui se révèlent très polyvalentes, surtout si vous avez quelques costumes en flanelle ou en tweed.
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