Disclaimer: l’article peut paraître un poil hors-saison (je vous déconseille de porter un solaro en ce moment), mais en revanche il tombe à point nommé si vous êtes déjà en recherche active d’un tailleur pour votre mariage, ou simplement pour un très beau costume business d’été.
Bonne lecture,
Valéry
Lorsque je teste un tailleur, ce que je recherche d’abord est probablement la nouveauté. Et si vous suivez le blog depuis un petit moment, vous savez qu’on a déjà eut l’opportunité de tester Blandin&Delloye à travers un article sur BonneGueule (c’était à l’époque mon tout premier costume sur-mesure), puis des articles sur JamaisVulgaire pour une veste mesure.
Sans compter évidemment les multiples articles sur la ligne Singulier en prêt-à-porter.
Heureusement, Blandin&Delloye repose sur un modèle un peu à part, qui me permet d’explorer des angles très différents.
Aujourd’hui, j’ai pu tester un costume en tissu type solaro de la maison Lanificio Cerruti.
Sommaire
I Blandin&Delloye: un modèle particulier qui permet une belle variété
La grande force de l’enseigne (et ce qui a permit un développement aussi rapide dans les grandes villes de France et à l’étranger Montréal et Bruxelles) est un modèle économique astucieux qui permet d’ouvrir une boutique et devenir associé Blandin&Delloye.
La boutique de Lyon est la toute dernière boutique ouverte en France, avec à sa tête Charles-Henri Terrière (qui était déjà à la boutique parisienne de Villiers) et son associé Thomas Monnin Delhom.
On connaissait l’affection de Blandin&Delloye pour l’atmosphère de Gentlemen’s Club avec une atmosphère feutrée et des fauteuils en cuir.
La boutique de Lyon va encore un peu plus loin dans ce concept avec un deuxième salon d’essayage au sous-sol avec une véritable ambiance speakeasy (une pièce très agréable en été) et un très bon whisky à disposition.
La confection
Comme de nombreux tailleurs en France, tous les tailleurs Blandin&Delloye travaillent pour les costumes avec Formens, le fameux atelier Roumain fondé par un français, et dont la chaîne de montage a été élaborée avec Alberto Caruso.
Blandin&Delloye est en revanche la maison de tailleurs à proposer le meilleur rapport qualité/prix/expérience sur ce type de confection (Louis Purple est un peu moins cher, mais l’expérience n’est pas du tout la même).
Les chemises
Blandin&Delloye font à présent confectionner les chemises en Espagne, avec une très belle variété de cols disponibles, dont à venir des chemises popover.
Les tailleurs
Chaque boutique a sa personnalité, et c’est en parti dû aux tailleurs qui la dirigent.
Charles-Henri (à droite)
Charles-Henri est un des trois associés des boutiques parisiennes et vous avez probablement pu le rencontrer à la boutique Villiers: s’il est à l’aise sur les registres classiques de business et de mariage, il saura aussi particulièrement bien vous conseiller sur les vestes sahariennes structurées, qui sont ses pièces préférées.
Thomas (à gauche)
Au départ chimiste, Thomas est quant à lui typiquement fan des tenues sartoriales pointues et est particulièrement à l’aise en terme de mélanges de matières et de motifs.
Il saura aussi bien vous conseiller sur les dernières coupes pointues (comme le pantalon Gurkha) maintenant réalisables dans l’atelier de Roumanie (que certains d’entre vous sont en train de découvrir à travers notre dernière collaboration).
Lyonnais d’adoption depuis 4 ans, il vous fera à coup sûr découvrir d’excellentes adresses en termes de bars à cocktails et de bons restaurants, originaux et accessibles.
Rappel sur le déroulé d’un rendez-vous
1 Le rendez-vous découverte
On se rend souvent chez un tailleur pour faire un costume, ce qui engage donc un certain budget. C’est une pratique assez courante donc dans le milieu de proposer un rendez-vous découverte d’une demi-heure, en présentiel ou par Skype durant lequel la maison vous montrera les différentes possibilités de personnalisation pour un costume, et vous initiera à l’essentiel des finitions.
Le rendez-vous découverte de Blandin&Delloye Lyon est plutôt bien structuré par rapport aux concurrents de la ville avec des explications claires et concrètes: l’entoilage est par exemple expliqué grâce à trois vestes ouvertes (thermocollées, semi-entoilées et entoilées).
Ca sonne sûrement comme une terrible banalité si vous êtes un habitué, mais j’ai été étonné du nombre de clients venant chez Blandin&Delloye Lyon, après avoir vu des concurrents, sans avoir la moindre idée de ce qu’était un entoilage (et je trouve ça terrifiant).
Au-delà de ces notions de personnalisation et de construction, vous aurez aussi un aperçu des tissus disponibles.
2 Le choix des tissus et la prise de mesure
Une fois le rendez-vous pris vient le choix des tissus, le choix du patronage et des détails (avec lesquels vous serez déjà un peu plus familiers grâce au rendez-vous découverte).
La boutique dispose également de liasses Huddersfield pour les doublures:
Enfin, on effectue la prise de mesure classique:la boutique de Lyon possédait déjà toutes mes mesures du fait de mes costumes réalisés à Paris. Cependant, elles dataient un peu (4 ans) donc Thomas a prit le soin de les revérifier intégralement.
3 L’essayage
Une fois le costume livré vient l’essayage pour repérer les éventuels défauts: il s’agira dans la plupart des cas d’une longueur de manche ou d’un receintrage (des opérations basiques pour n’importe quel retoucheur).
A noter que les retouches sont inclues dans le prix du costume, et que l’atelier de retouches de Blandin&Delloye Lyon se trouve à une centaine de mètres, ce qui assure une bonne réactivité.
Le costume réalisé: un costume pointu en solaro
Nous avons testé de nombreux costumes de chez Blandin&Delloye, l’idée était de proposer une véritable nouveauté pour ce test, une vraie belle pièce que les sartorialistes les plus endurcis parmi vous sauront apprécier.
Vu la saison, nous avons voulu nous attaquer au solaro, dans une version pas comme les autres, à la fois plus originale mais aussi plus polyvalente.
Les origines insolites du solaro
Le solaro est un tissu qui se distingue d’abord par la manière dont il prend la lumière mais son histoire est elle aussi particulièrement insolite.
Tout comme beaucoup de vêtements (comme le gurkha) et de tissus, il est né d’impératifs militaires et coloniaux: les soldats britanniques avaient beaucoup de mal àsupporter les UV particulièrement violents des colonies tropicales de l’Empire Britannique (actuel Commonwealth).
Si les UV étaient responsables de coups de soleil (forcément) et de cancers de la peau, on les croyait aussi responsables de divers maux nerveux.
Il fallait donc à la fois repousser ces rayons UV, d’où la partie extérieur beige, une couleur clair mais pas trop visible (on parle de vêtements militaires donc la discretion est de mise) et qui retenait donc moins la chaleur.
Le solaro original, de Smith&Wollens
La partie rouge a une origine plus insolite: elle vise à simuler la pigmentation des peuples indigènes des colonies pour compenser le teint de peau beaucoup plus pâle des soldats britanniques.
Ce postulat est soumis par Louis Westenra Sambon, éminent docteur de la London School of Tropical Medicine en s’appuyant sur les expériences en spectroscopie de l’époque qui concluaient que la pigmentation des indigènes leur apportaient une meilleur protection contre les UV.
Pour combiner ces deux couleurs (et leurs propriétés), on a donc un fil de chaine beige et un fil de trame rouge.
Il ne manquait plus que de choisir une matière entre la laine et le coton: c’est la que le zoologue allemand Gustave Jaeger fait remarquer les propriétés thermorégulatrices de la laine en milieu tropicale, supérieures aux matières végétales classiques.
On avait donc une base théorique fiable pour utiliser le Solaro, qui a au final été le tout premier tissu technique au monde.
Dans les faits, l’efficacité du Solaro fût démentie par le scientifique américain James Phelan lors d’essais aux Philippines sur plus de 500 soldats américains. Le solaro n’était au final pas du tout adapté à un usage militaire dans des climats tropicaux extrêmes
Le solaro dans un cadre urbain
Entre un usage militaire dans un cadre extrême et un port urbain estival, il y a heureusement encore un monde. Le solaro est tout à fait indiqué pour un costume qui garde au frais l’été, tant que vous n’allez pas dans la jungle en milieu tropical.
S’il est au départ britannique, il fût rapidement adopté par les italiens car il incarne parfaitement l’esprit sprezzatura avec le côté légèrement ostentatoire que lui donnent ses multiples reflets (sans non plus tomber dans le côté bling-bling)
Un tissage aéré
Le solaro est réalisé dans un tissage ouvert, avec généralement un motif chevron, ce qui permet à l’air de bien circuler.
De belles variations de couleurs
On peut également remarquer de très belles variations de couleurs et de nombreux reflets en fonction de l’intensité de la lumière et de l’exposition du fait de la différence de couleur entre le fil de chaîne (beige) et le fil de trame (rouge).
Ces variations de couleurs en font également un tissage polyvalent adapté à toutes les carnations, des peaux les plus pâles aux plus foncées, en plus de donner un côté habillé à une tenue.
La matière
On le trouve en laine, en coton ou dans des mélanges de laine coton et soie: il s’agit en général de twill de laine ou de gabardine de coton teintes en fils.
Le solaro original et breveté est réalisé en laine par Smith Woollens (une branche du Drapier Harrisons) avec un poids assez léger de 310g.
Le solaro de chez Smith&Wollens (par Keikari)
On trouve du solaro chez de nombreux drapiers, qui n’ont techniquement pas le droit d’utiliser ce nom: Loro Piana, Drago, Angelico etc.
Nous avons utilisé celui de Lanificio Cerrutti pour ce costume.
Un dérivé original du solaro, par Lanificio Cerrutti, issu de la collection Gentlemen
L’avantage d’une confection roumaine accessible, c’est qu‘on peut vraiment se faire plaisir sur les tissus: nous avons choisi ici la liasse Gentlemen Nobility, une laine super 150’s parmi ce qui se fait de mieux chez Cerruti.
Il s’agit d’une laine AAAAA extrêmement fine (autant que le cachemire) avec un poids de 260g: le nombre de A fait référence à la longueur et la finesse de la fibre, la manière dont elle prend la lumière et sa couleur.
Tout comme sur un solaro classique, on a un twill de laine avec un tissage chevrons composé d’un fil de chaîne et un fil de trame d’une couleur différente, ce qui est idéal pour une veste non doublée.
La vraie différence de la liasse Gentlemen réside dans la variété impressionnante de couleurs disponibles, qui vous assure d’avoir un solaro pas comme les autres.
Quelques mots sur Cerruti (on parle bien sûr du drapier, pas de la marque de prêt-à-porter)
Lanificio Cerruti est l’un des drapiers les plus connus et anciens (1881) de Biella: il s’agit d’ailleurs de la seule qui soit située vraiment à Biella, pas loin du centre ville.
Elle se distingue avant tout par l’influence de Nino Cerruti, un des stylistes les plus reconnus dans le monde, et aussi par sa structure verticalisée et son bon rapport qualité/prix.
Cette intégration verticale permet une innovation permanente pour apporter de la nouveauté même dans les tissus traditionnels. Cette réinterprétation du solaro en est un excellent exemple.
Test du costume croisé Blandin&Delloye Lyon en solaro
Vous vous doutez bien qu’il serait un peu dommage de faire costume deux boutons classique avec revers à crans en solaro.
Ce n’est clairement pas une matière pour un costume de travail classique, mais plutôt pour un costume à réserver aux plus sartorialistes d’entre vous. On s’est donc également un peu amusés sur les finitions.
La veste
Le fit
Il s’agit d’un costume d’été croisé, le rendu sera donc près du corps, avec tout de même un minimum d’aisance au niveau de la taille pour garder un minimum de confort.
Le costume est par ailleurs semi-entoilé.
Les revers à 10 cm avec milanaise faite main
Il s’agit de mon premier costume croisé avec des revers larges réalisés par l’atelier roumain de Blandin&Delloye. Ce genre de revers larges n’était pas encore forcément disponible il y a quelques années.
Face à la demande d’un public un peu plus exigeant sur la largeur des revers, l’offre s’est bien adaptée et propose désormais un très bel arrondi.
Evidemment, nous avons opté pour une milanaise faite main (l’atelier de Blandin&Delloye emploie une personne à temps plein qui ne fait que des milanaises).
Les épaules napolitaines
C’est une toute nouvelle finition disponible chez Blandin&Delloye (tout comme la coupe Gurkha). Il s’agit comme vous l’aurez compris de l’équivalent de la Spalla Camicia.
Evidemment, le rendu n’est pas encore le même qu’un costume bespoke réalisé dans la plus pure tradition napolitaine, mais il reste très satisfaisant pour une confection en usine.
Parementure américaine, avec doublure Huddersfield
Tout l’intérêt de porter un costume Solaro est de profiter de son tissage aéré et respirant. On a donc choisi une parementure américaine, avec une doublure seulement à l’avant de la veste qui permet un meilleur tombé.
Il fallait ici une doublure un peu originale (mais pas trop), qui ne soit pas en tout cas un simple uni en viscose (plus adapté aux costumes business, ou aux costumes mariage basiques): on a donc choisi un motif Paisley gris de chez Huddersfield, avec un peu de rouge pour rappeler les teintes bordeaux de la veste, et un peu de doré pour rappeler le verso du tissu.
Poches plaquées
Il s’agit ici d’un costume assez sartorial, dans un tissu prisé pour le style sprezzatura. On oublie doncles poches à rabats trop formels pour leur préférer des poches plaquées plus décontractées.
Autres finitions
On note enfin les différentes finitions caractéristiques de l’atelier roumain:
– poche barchetta
– coutures en demi-lune
– salières aux aisselles
Le pantalon: le modèle Gurkha
Nous avons lancé ce costume lorsque la pré-commande du pantalon Gurkha était encore en cours: vous vous doutez donc bien que c’est cette coupe que j’ai là aussi choisie.
On vous a déjà beaucoup parlé de gurkha il y a quelques semaines, je vous invite à consulter l’article sur ce sujet pour avoir tout le détail des finitions.
Pour rappel, ce pantalon se distingue par:
– une coupe semi-ample, avec plus d’espace aux cuisses
– une bande de serrage de chaque côté, ce qui permet un bel éventail de tailles disponibles, et donc plus de confort
Conseils de style: bien porter un costume solaro
Comme vous le savez, bien porter une pièce forte est une question d’équilibre: ici le solaro se démarque surtout par sa manière de prendre la lumière.
On est donc très libre à côté sur les motifs et les matières, tant qu’on reste sur des pièces beaucoup plus mat, et aussi sur un registre plutôt estival.
Afin d’y aller à fond sur la trame sartoriale, gentlemen et speak-easy, nous avons pu shooter au speakeasy de l’Antiquaire dans une ambiance très années 20.
La cravate une cravate en seersucker Cinabre (en collaboration avec JamaisVulgaire)
A la fois mat et estivale, cette cravate remplit parfaitement le cahier des charges en terme de registre pour se porter avec le costume.
Elle reste aussi assez discrète en terme de couleurs, et permet de créer du contraste pour bien aller avec ma carnation.
La pochette poitrine: une pochette double face Maison Bayle
De la même manière, une pochette en soie brillante portée avec le solaro aurait donné un ensemble trop précieux.
Nous avons ici choisi une pochette soie au rendu un peu laineux et avec un bel effet double face de la boutique Maison Bayle située dans le Marais (on vous sort bientôt un article complet sur cette boutique avec une sélection ultra originale).
Les nuances de beige, marron et orange s’accordent bien avec les différentes teintes du tissu
La chemise rayée de chez Maison de l’Homme
Ici, il s’agit de la pièce la plus sage et formelle qui lie l’ensemble et permet de ne pas en faire trop avec un col italien assez large pour bien accueillir la cravate et une double rayure discrète (pour ne pas être dans la rayure bleu marine unie très basique).
Les brogues de chez Patine.pl
On vous en parle très bientôt, tout comme Poszetska est le Suitsupply polonais, Patine a tout pour s’imposer comme le prochain Meermin.
Une montre Glasshütte Spezimatic vintage
Une montre habillée parfaite pour ce genre de costume, facilement trouvable en vintage autour des 300 à 400 euros: le bracelet fait bien écho aux reflets bordeaux du costume.
Alternative: une tenue plus début de mi-saison
Cette tenue moins estivale passe à merveille sur une belle journée de Septembre ou Octobre: je porte ici une chemise Hast, une cravate Gentlemenclover et une paire de bottines Malfroid.
Conclusion
Il y a quelques années, les boutiques Blandin&Delloye étaient une excellente solution si vous vouliez un costume simple au bon rapport qualité/prix. Mais l’offre avait ses limites si vous vouliez aller plus loin, et vous faire vraiment plaisir sur des finitions sartorialistes pointues.
Un vrai travail de fond a été effectué, non seulement à la boutique de Lyon, mais chez l’enseigne en général pour pouvoir répondre à un public plus exigeant.
On le voit bien à travers non seulement les finitions (l’arrondi des revers larges, les épaules naturelles légèrement froncées, le pantalon Gurkha) mais aussi l’offre de tissus (cette liasse de solaro Cerruti, de nombreux tissus Standeven etc).
Le tout reste à un rapport qualité/prix extrêmement compétitif: ce costume semi-entoilé, avec un tissu Cerruti haut-de-gamme aura coûté 950€.
En ce qui concerne la boutique de Lyon, elle apporte une belle valeur ajoutée à l’offre locale avec un meilleur rapport qualité/prix et une très belle pédagogie. Si vous êtes dans les alentours et envisagez bientôt un costume, je vous invite chaudement à prendre rendez-vous. (ne serait-ce que pour un rendez-vous découverte)