Disclaimer: Cet article ne s’inscrit pas ici dans le créneau du « Mieux s’habiller pour moins cher ». Il s’agit plutôt d’un article de découverte d’une marque qui fait appel à une excellence sans compromis (avec un prix qui se ressent en conséquence).
Les bottines Mauban sont vendues à partir de 1500 euros, ce qui sort vraiment du positionnement habituel du site: mais j’ai justement voulu ici m’intéresser à ce qui fait la différence entre une paire de qualité, et une paire d’excellence, qui tire parti de tout ce que l’artisanat français a de meilleur à offrir.
C’est aussi une marque que je prends plaisir à relayer sur Instagram, qui parvient à créer des modèles originaux, qui sortent des sentiers battus mais qui parviennent à rester de bon goût. Il me semblait du coup normal d’en détailler les coulisses.
Je remercie le fondateur, Edouard Quinchon, que j’ai pas mal sollicité sur la marque et sur de nombreuses caractéristiques techniques.
Sommaire
Notre collaboration avec Mauban (jusqu’au 06/12/2020)
Cette opération est pour Mauban un bon coup d’essai aux commandes groupées pour lesquelles elle vend à prix coûtant: Edouard est comme vous allez le voir un passionné, qui souhaite défendre bec et oncles le made in France.
La folle aventure qui l’a conduite à la création de la marque est palpitante: il nous la raconte intégralement pendant une interview ici.
Pour cette opération unique, on vous propose le modèle icônique de Mauban: la balmoral contrastante.
1 Rappels sur le cousu Goodyear
Les origines du Goodyear
La controverse fait rage depuis des années, Blake vs Goodyear, chacun ses passionnés et ses détracteurs. J’ai voulu faire le point sur ce débat en cherchant à comprendre les véritables avantages du montage Goodyear et comprendre si ce savoir-faire avait encore sa place en France.
Tout d’abord un petit moment culture pour rappeler les origines de cette technique. C’est Charles Goodyear Jr qui dépose le brevet du montage en 1871, et lui donne son nom au passage.
Le fameux brevet
Un rapport avec les pneus vous me direz ? Oui et non. Oui car il est bien le fils de Charles Goodyear, célèbre inventeur de la vulcanisation. Non, car son père n’est pas le fondateur de l’entreprise en question.
En attendant, avec un autre frère, William Henry, historien reconnu, nous pouvons imaginer que les discussions autour de la dinde de Noël devaient être de haut niveau ! Mais revenons à notre histoire de montage.
Le montage Goodyear serait synonyme de chaussures de qualité, de souliers bien faits. Pourquoi ? Comment ? Est-ce un investissement pertinent ?
Une durée de vie inégalable
D’un point de vue couture, le montage Goodyear se caractérise par une double couture trépointe et petit point.
Tout d’abord : la trépointe. Cette bande de cuir est utilisée pour lier ensemble tous les éléments du soulier.
Il s’agit d’un ruban qui court autour du bord de la partie supérieure de la chaussure, la tige. La trépointe est cousue de façon horizontale (elle est donc invisible une fois le montage achevé) avec la tige et la première de montage (« la semelle intérieur »), le tout grâce au mur, qui lui-même est soit gravuré ou rapporté ou cousu (nous y reviendrons plus loin).
C’est cette couture trépointe qui assure la solidité du montage. Dans un second temps, cette même trépointe est cousue en petit point à la semelle d’usure. Cette technicité nous donne une petite idée du savoir-faire nécessaire pour maîtriser parfaitement ce montage !
Certes aujourd’hui dans un monde où tout se rationalise, passer autant de temps pour monter des chaussures peut paraître bien chronophage, donc trop coûteux. Mais cette double couture, effectuée dans les règles de l’art, rend le ressemelage de nos chaussures préférées beaucoup plus facile et démultiplie son espérance de vie. Votre cordonnier peut en effet enlever aisément votre semelle d’usure et la remplacer, sans toucher au montage !
Deuxième avantage (appréciable par ces rudes journées d’hiver), le montage Goodyear assure une imperméabilité à vos souliers contrairement à une couture Blake dite au-travers, la double couture fait barrière à l’eau.
Un style intemporel
Troisième point, ils donnent une prestance et une assise stylistique. Aujourd’hui, nous assistons au retour d’un style masculin affirmé, le revers de costume asthmatique n’est plus une obligation. Les coupes s’adaptent à la morphologie de chacun.
Ainsi Winston Churchill avait fait créé un modèle pour lui par le bottier anglais Cleverley, un modèle à lacets simulés et élastique, une sorte de fusion entre un loafer et un richelieu. Pourquoi une telle création ? Répondre à son besoin d’élégance et de praticité, les élastiques lui permettant d’enfiler facilement et de retirer tout aussi aisément ses chaussures !
Le modèle Churchill actuel, chez Cleverley
Mais peut-être l’image du Premier Ministre Britannique n’est-elle pas la première à laquelle vous souhaitez être associés ! ( ?) Penchons-nous sur une icône de style contemporain: James Bond. J’ai déjà abordé dans plusieurs de mes articles son style sans m’attarder sur ses chaussures. J’aime tout particulièrement la balance et l’équilibre apporté par le montage Goodyear à ses tenues. Une véritable assise masculine.
Le Goodyear en France
Comme nous l’avons vu, le montage Goodyear nécessite un véritable savoir-faire, donc un temps de travail conséquent. Il ne s’agit pas de dénigrer les autres types de fabrication mais de saisir les heures de travail nécessaires à la confection d’une paire de chaussure, d’une part, et le nombres d’années nécessaires avant de maîtriser parfaitement ces gestes, d’autre part.
Dès lors, confectionner artisanalement en France de telles chaussures a-t-il un sens ? Que peut proposer une nouvelle marque française dans ce secteur ?
2 Mauban: le puriste du Made in France
Une démarche a particulièrement retenu mon attention : Mauban. Son fondateur Edouard Quinchon souhaite faire revivre ce savoir-faire en France, dans un secteur où plus de 20000 emplois ont été détruit depuis 1990 (à titre d’indication, c’est l’équivalent de l’intégralité de la population active de la ville de Cholet, précisément un des berceaux du soulier en France).
En effet, comment exister face aux marques bénéficiant d’une aura établie, d’un budget communication disproportionné et d’un réseau de distribution qui leur permet d’être présentes là où les amateurs de luxe sont ?
Car oui, fabriquer des bottines, sur-mesure qui plus est dans le cas de Mauban, en France est une gageure. Mais qui paradoxalement prend tout son sens. En effet, les marques réfléchissent en termes de volume et gain de marge, et c’est aussi tout naturellement qu’elles quittent la France pour se rendre dans des pays où la main d’œuvre coûte deux fois moins cher (il ne faut pas avoir fait de trop longues études pour voir l’intérêt d’économiser 100€ par paire si on en vend 100000 annuellement !). A l’inverse Mauban cherche avant tout à proposer un savoir-faire, et les ateliers qui le maîtrisent sont en France.
Le cuir: les plus prestigieuses tanneries françaises
Tannerie du Puy
Le recherche des cuirs est pointue, Mauban fait appel aux Tanneries du Puy pour s’approvisionner en box calf – un savoir-faire ancestral, reconnu mondialement et racheté par Hermès ce qui ne facilite pas le sourcing – son veau pleine fleur a une tenue, une profondeur, une souplesse dont on a difficilement conscience avant de l’avoir en main.
Les balmoral portées (lors du salon Première Classe de Septembre dernier)
Tannerie Degermann
En parallèle, Edouard a fait confiance à la tannerie Degermann en Alsace pour se fournir dans un cuir gras, à l’aspect beaucoup plus brut, deux fois plus épais parfait pour répondre aux besoins fonctionnels des motards de Blitz, Mauban ayant fait créé un modèle de boots spécialement pour ses fondateurs, Fred et Hugo, après être devenu ami avec eux (alors même que leurs parcours personnels, la sincérité et le courage de leur démarche avaient donné à Edouard le courage de quitter les sentiers battus en démissionnant).
Tannerie Garat
Idem pour le cuir de ses semelles, qui lui provient de la tannerie Garat, situé en Pays basques. Enfin convaincre le dernier atelier de confection indépendant ne fut pas une mince affaire. Edouard dû se résoudre à dormir dans sa voiture pour finalement lui faire croire dans son projet un peu fou.
Les finitions: tout est dans les détails
Mauban a le souci des détails, tels des coutures de 6 points au centimètre. D’autres sont invisibles, comme ce système de triple-couture de la semelle : le mur est cousu à la première, puis la trépointe est cousue à ce même mur avec la tige, avant d’être reliée à la semelle d’usure cousue en petit point dans une gorge ouverte et refermée ensuite.
Le Goodyear avec mur gravuré chez Mauban: la différence avec le Goodyear classique
Le mur est cousu: en dehors des bottiers qui « gravurent » le mur à main aujourd’hui toutes les grandes maisons de luxe se contentent de « rapporter » leur mur, à savoir de le coller ce qui n’est pas un mal dans l’absolu mais qui représente un léger risque pour la solidité du montage.
Le remplissage de la semelle
Sans oublier un remplissage à la feuille de liège, pour assurer le confort et la durabilité. Cela parait toute simple mais c’est une des clés du confort des bottines Mauban. Il s’agit là de la technique utilisée par les premiers fabricants de chaussures de sport !
Ses avantages sont bien connus : la feuille de liège se moule à la forme du pied (qui devient un véritable chausson) et absorbe l’humidité. Là aussi, zéro compromis, Mauban n’utilise pas de l’aggloméré mais bien une feuille entière.
Le travail de la forme
Mauban a su ajouter une signature en termes de style : une forme élégante avec son bout légèrement arrondi et rebondi, son onglet arrière et une ligne de flan en S Ce double travail de création sur les formes et le design permet à Mauban de tout contrôler et de se différencier par une identité forte.
Non content d’offrir la personnalisation (ou un système de made-to-order) Edouard propose à chacun de créer son propre patronnage en made to measure.
Les formes
Pendant deux années, Edouard a œuvré avec les artisans de PPF à Cholet pour créer un parc de formes à la main offrant à la fois un chaussant parfait et une ligne intemporelle (une longueur élégante et discrète, un bout légèrement mufflé). L’objectif étant d’apporter un chaussant confortable à ses clients, quitte à adapter sa forme aux pieds les plus exigeants.
Là aussi ce fut l’occasion d’un échange passionné et d’une plongée dans l’univers de la transmission de savoir. A Cholet, ils ne sont plus que deux formiers, un maître et son apprenti. Si l’un part, il ne restera plus rien !
3 Conclusion
Et c’est bien le fait de chercher et de collaborer avec des ateliers aux savoir-faire ancestraux qui permet à Mauban de proposer cette liberté à tous ses clients. C’est un rêve un peu fou que cherche à réaliser Edouard que celui de redonner vie à ces ateliers décimés et sa réponse n’en est non moins osée et pleine d’élégance.
Etre sur la ligne de crête, prendre le risque d’être face à de riches maisons établies, n’avoir que d’autres choix que d’exister par l’excellence du savoir-faire, un style et le bouche-à-oreilles, ce savant cocktail permet à Mauban d’offrir à ses clients la liberté de créer.
La marque se fait connaître doucement mais sûrement, et attire même l’attention des medias les plus spécialistes, comme The Rake qui l’a inclut dans une récente parution (en ne manquant d’ailleurs pas d’éloges):
Undeniably, Mauban is a delightful hidden-gem of the shoemaking world which has only just surfaced and begun to shine.