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Eska : Analyse d’une Marque Horlogère Ressuscitée
Eska. Ce nom, qui sonne aujourd’hui comme un écho du passé, refait surface avec une ambition nouvelle sur la scène horlogère indépendante. Pour le collectionneur, il évoque peut-être un cadran vintage discret, une plongeuse oubliée ou un rare chronographe triple calendrier. Pour l’amateur contemporain, il s’incarne dans des modèles comme l’Amphibian 250 ou l’Heritage SK25, symboles d’un « revival » très actuel. Fondée en 1918 par Silvan Kocher sous la raison sociale S. Kocher & Co, Eska — la retranscription phonétique des initiales « S » et « K » de son fondateur — fut une marque suisse d’envergure. Elle a connu une véritable présence sur les marchés internationaux avant de disparaître, comme tant d’autres, lors de la crise du quartz dans les années 1980.
Cet article s’adresse donc à un double public. D’une part, le collectionneur de pièces anciennes, curieux de comprendre le pedigree et la valeur des montres signées « Eska » qu’il peut dénicher, qu’il s’agisse de sobres montres habillées, d’étonnantes complications ou de précieux cadrans en émail cloisonné. D’autre part, l’amateur d’horlogerie contemporaine qui, voyant émerger les nouvelles créations Eska, s’interroge : cette renaissance a-t-elle une légitimité réelle au-delà d’un simple marketing patrimonial ? La question centrale est la suivante : Eska est-elle une simple « étiquette recyclée » — ce que l’industrie appelle parfois une « zombie brand » — ou assistons-nous à la relance cohérente d’un patrimoine horloger digne d’intérêt ? Que vaut son ADN, historique comme moderne, face à la vague actuelle de « sleeping beauties » ressuscitées et de micro-marques indépendantes qui redéfinissent le paysage ?
Pour y répondre, nous proposons une analyse de fond en trois temps : une dissection de l’histoire et de l’ADN technique de la S. Kocher & Co (1918–1980), une analyse critique de sa renaissance (2010–2025), et un positionnement de marché face à ses concurrents. Tout cela en explicitant les notions horlogères et industrielles clés qui définissent l’univers Eska. C’est parti pour un voyage entre passé, présent et perspectives d’avenir !
1. Chronologie historique : des Kocher à la crise du quartz
L’histoire d’Eska est celle d’une entreprise familiale suisse typique de l’âge d’or horloger, marquée par une croissance rapide, une expansion internationale audacieuse et une chute brutale face à une révolution technologique. Voici les grandes étapes, de la fondation en 1918 à la mise en sommeil dans les années 1980.
1918–1937 : Fondation et installation
L’aventure débute en 1918. S. Kocher & Co est fondée par Silvan Kocher père et son fils Erwin, dans leur village natal de Selzach, au cœur de la Suisse alémanique. Très vite, la marque commerciale « Eska » est adoptée. L’entreprise se spécialise alors dans un segment porteur : les petites montres-bracelets, souvent joliment décorées et équipées de petits calibres de bonne facture. À cette époque, la production Eska privilégie les montres de poche converties en montres-bracelet, puis progressivement des modèles spécifiquement conçus pour le poignet, avec un accent sur la lisibilité et l’élégance. Les premières Eska sont modestes par la taille, mais déjà bien finies. Elles jouent la carte de la fiabilité discrète.
1937–1950 : L’expansion internationale
En 1937, l’entreprise franchit un cap stratégique majeur en déménageant à Grenchen (Granges). Ce n’est pas un simple changement d’adresse : Eska quitte le giron de l’atelier villageois pour s’installer dans l’un des plus grands pôles industriels de l’horlogerie suisse. Ce mouvement signale une montée en volume et une ambition claire tournée vers l’export. Cette ambition est incarnée par les autres fils de Silvan Kocher. La structure familiale se déploie à l’international : Walter Kocher établit une filiale à New York pour le marché nord-américain, tandis qu’Edgar Kocher fait de même à São Paulo, au Brésil. Eska connaît un succès notable en Amérique du Nord et du Sud, mais sa présence s’étend aussi en Asie et en Australie. Partout dans le monde, des centaines de milliers de montres Eska dirigent la vie… comme le clame une publicité de l’époque. L’implantation au Brésil est particulièrement forte, incluant, selon certaines sources, une unité de production locale pour répondre à la demande croissante.
1950–1970 : L’âge d’or
La période des Trente Glorieuses est l’âge d’or d’Eska. La marque a atteint sa pleine maturité et dispose d’un réseau de distribution mondial. Sa production se diversifie pour couvrir l’ensemble des segments du marché :
- Montres classiques : Le cœur de la production reste les montres habillées trois aiguilles, fiables et élégantes, souvent en or ou plaqué or, de diamètre contenu (34–36 mm) et au design épuré.
- Montres compliquées : La marque démontre une véritable maîtrise technique en proposant des chronographes, mais aussi des pièces sophistiquées incluant des calendriers complets (jour, date, mois) et des phases de lune. Un chrono Eska à triple calendrier et phase de lune, animé par un calibre Valjoux 88, place la maison – sur le plan technique – au même niveau que d’autres icônes de l’époque.

- Métiers d’art : Fait notable, Eska produit des pièces d’exception avec des cadrans en émail cloisonné d’une qualité remarquable, représentant des cartes, des figures mythologiques ou des scènes exotiques. Aujourd’hui, ces montres à cadran en émail sont très recherchées par les collectionneurs.
- Montres-outils : En 1959, Eska s’inscrit dans la tendance naissante des montres de plongée professionnelles en lançant son modèle phare, la mythique Amphibian 600. Il s’agit d’une vraie plongeuse (600 pieds d’étanchéité annoncés), dotée d’une large lunette en Bakélite et d’un indicateur de réserve de marche original à midi. Selon la légende, seulement quatre exemplaires de cette Amphibian 600 subsistent, ce qui en fait une « licorne » absolue pour les collectionneurs avisés.

Durant cette période, Eska se positionne comme une marque sérieuse du segment mid-tier, offrant une excellente qualité de finition pour son prix, sans pour autant chercher à rivaliser avec les maisons de Haute Horlogerie. Elle est ce qu’on appelle un bon élève discret de l’horlogerie suisse : loin des feux de la rampe, mais produisant du solide et du charmant.
1970–1980 : Crise et mise en sommeil
Comme d’innombrables acteurs de taille moyenne, S. Kocher & Co (qui produisait également sous la marque sœur Royce) est frappée de plein fouet par la révolution du quartz. L’entreprise est décrite comme ayant été lente à adopter les mouvements électroniques. La concurrence asiatique, bon marché et précise, ainsi que la restructuration de l’industrie suisse autour de quelques grands groupes, s’avèrent fatales. Incapable de rivaliser sur ce nouveau terrain technologique et économique, la société abandonne progressivement la fabrication pour se concentrer un temps sur la gestion de licences. La marque cesse finalement ses activités en 1987, glissant dans un long sommeil et devenant ce que les collectionneurs appellent une « sleeping beauty ». Bref, le chapitre Eska semble refermé, la belle endormie attendant un hypothétique prince charmant horloger pour la réveiller. (On y reviendra…)
Notons que l’histoire d’Eska est celle d’un termineur-commercialisateur agile. Sa force historique ne résidait pas dans une production manufacturière verticalisée, mais dans sa flexibilité d’assemblage (en utilisant d’excellentes ébauches tierces) et son brillant réseau de distribution mondial (piloté par la famille Kocher). La crise du quartz n’a pas tué une manufacture à l’ancienne ; elle a rendu obsolète un modèle commercial qui avait fait la fortune d’Eska depuis l’entre-deux-guerres. C’est la même tragédie industrielle qui a emporté tant d’autres noms à la fin des années 70.
2. ADN esthétique et technique historique d’Eska
Pour comprendre l’intérêt d’Eska aujourd’hui, il faut analyser ce qu’elle produisait hier. Son ADN historique révèle une dualité surprenante, qui fait le bonheur des collectionneurs avertis. L’identité visuelle d’Eska oscillait entre une grande sagesse et des éclats d’audace horlogère. Côté technique, la marque se comportait en « bon élève suisse » tirant le meilleur du savoir-faire de son époque. Voyons cela en détail.
Signatures visuelles : sagesse classique et audace maîtrisée
La face sage : Le cœur de la production commerciale, notamment pour l’export, était constitué de montres habillées à l’exécution sobre. Il s’agissait de pièces classiques, aux proportions contenues (souvent 34–37 mm), avec des cadrans guillochés ou brossés, des index appliqués et des boîtiers ronds ou de forme en acier, plaqué or ou or massif. Ces montres Eska des années 50–60 affichent une élégance retenue, presque austère, qui servait bien le goût des marchés occidentaux de l’après-guerre.
La face audacieuse : C’est ici que réside le véritable intérêt patrimonial. Eska n’était pas qu’une marque de volume ! Elle a su produire des pièces d’exception témoignant d’un savoir-faire de premier plan :
- Artisanat : Les cadrans en émail cloisonné en sont le parfait exemple. Ces pièces, d’une grande complexité d’exécution, n’avaient rien à envier, sur le plan artistique, à celles de marques bien plus prestigieuses. Chaque cadran cloisonné Eska était comme un petit tableau miniature fait de fils d’or et de poudre de verre cuite.
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- Haute complication : La marque maîtrisait les complications horlogères. Elle proposait notamment des chronographes à quantième complet et phase de lune, animés par des calibres nobles (Valjoux 72C, Valjoux 88…). Trouver une Eska vintage équipée d’un Valjoux 72C (la base du triple calendrier chronographe) ou d’un Valjoux 88 (version phase de lune) la place, sur le plan purement mécanique, au niveau technique de certaines Patek Philippe de l’époque !
- Tool-watch : L’Amphibian 600 de 1959 mérite une seconde mention. Il ne s’agissait pas d’une simple montre étanche : c’était une véritable plongeuse professionnelle, souvent comparée à la Blancpain Fifty Fathoms pour son inspiration. Elle se distinguait par une large lunette noire, une lisibilité maximale et une conception robuste (elle aurait même été testée par la Marine Nationale française d’après certaines rumeurs). Une pièce hors normes, aujourd’hui quasi introuvable.

Choix techniques : le « bon élève » de l’horlogerie suisse
Eska n’était pas une manufacture au sens moderne du terme (elle ne produisait pas ses propres ébauches). Comme la majorité des marques de son époque, elle opérait comme un assembleur de premier plan, s’appuyant sur les meilleurs fournisseurs de l’industrie suisse. Les archives et les pièces vintage qui nous sont parvenues montrent l’utilisation de calibres réputés, fournis par des piliers comme Adolph Schild (AS), ETA, Felsa ou Valjoux. Autrement dit, sous le capot d’une Eska ancienne, on trouve souvent le même moteur que chez bien d’autres maisons helvétiques – et c’est tant mieux. Cette mutualisation permettait une maintenance aisée et des performances éprouvées. Un exemple parlant : plusieurs chronographes Eska utilisent le Landeron 48, un mouvement robuste et précis qui a fait ses preuves sur des milliers de montres dans les années 50. Idem pour les montres simples, souvent motorisées par des calibres AS ou Peseux fiables, sans extravagance inutile.
L’intérêt pour le collectionneur vintage : cet ADN historique bifurqué est une aubaine. D’un côté, une production de masse fiable pour l’export ; de l’autre, une production de niche, presque confidentielle, de pièces de haute voltige. Le véritable attrait d’Eska sur le marché vintage réside ainsi dans son rapport charme/prix imbattable. La notoriété de la marque étant restée confidentielle, il est encore possible d’acquérir une complication horlogère Eska (un triple calendrier, une phase de lune…) ou une pièce d’artisanat (un cadran émaillé) pour une fraction du prix d’une Universal Genève, d’une Longines ou d’une Movado équivalente, dont les cotes se sont envolées. En d’autres termes, Eska est l’incarnation parfaite de la « sleeper brand » : une marque endormie dont la qualité intrinsèque dépasse de loin sa reconnaissance actuelle. Vous voulez jouer au collectionneur malin ? Ne négligez pas cette signature discrète. Nous-mêmes, lors d’une bourse horlogère, avons déniché une Eska calendrier complet phase de lune pour quelques centaines d’euros – le son feutré de son Valjoux 72C nous a autant séduit que son prix dérisoire. Incroyable.
3. Eska dans le paysage horloger d’hier : groupes, marchés, concurrence
Pour saisir l’importance d’Eska à son apogée, il faut la resituer dans son écosystème industriel. Son appartenance éphémère à un groupe prestigieux et sa stratégie commerciale sophistiquée en disent long sur son statut de l’époque.
L’épisode du groupe Heuroplan (1959–1962)
En 1959, Eska rejoint le groupe Heuroplan. Il s’agit d’une alliance commerciale franco-suisse regroupant cinq marques : quatre suisses (Movado, Cyma, Eska, Juvenia) et une française (Nappey). Attention, il ne faut pas imaginer Heuroplan comme un holding industriel moderne (tel Swatch Group ou LVMH). Son but n’était pas de fusionner la production ou de partager des calibres, mais de mutualiser les coûts marketing et la distribution dans certains pays, notamment la France. En d’autres termes, Movado, Cyma, Eska et consorts présentaient ensemble leurs montres sous une bannière commune lors des salons et dans certaines publicités, afin de bénéficier d’une image de « groupe » rassurante pour les détaillants et d’économies d’échelle sur la promotion.
Bien que l’alliance Heuroplan ait été de courte durée (grosso modo 1959 à 1962), elle est un marqueur de statut. Le simple fait qu’Eska soit assise à la même table que des géants comme Movado et Cyma valide sa position à l’époque : ce n’était pas un petit acteur local, mais bien une marque de volume, sérieuse et internationalement établie. Dans les encarts publicitaires Heuroplan, le nom Eska apparaît fièrement aux côtés des autres, avec le slogan « La Mode et la Montre… gagnent au jeu d’Heuroplan ». Preuve que l’association entre maisons visait à donner une aura de modernité et de fiabilité.
Reste que sur le terrain industriel, Eska conservait son indépendance technique. Pas de calibres Movado dans les Eska, ni l’inverse – chaque marque du groupement gardait sa spécificité. Cette union éphémère illustre surtout la nécessité pour les marques de taille moyenne, à la fin des années 50, de se regrouper face à la montée des coûts et à la concurrence accrue dans les marchés en pleine expansion (USA, Europe, Asie). Et Eska était suffisamment en vue pour être invitée dans ce club sélect. La parenthèse Heuroplan refermée, Eska reprendra son chemin solo jusqu’à la crise du quartz.
Marchés-clés historiques : une marque globe-trotteuse
Comme évoqué, la force d’Eska résidait dans son déploiement global, avec une présence particulièrement marquée aux États-Unis et au Brésil. Dans les années 40–60, Eska exporte plus de 80% de sa production. Pour gérer ces marchés lointains, S. Kocher & Co fait preuve d’une sophistication commerciale notable en employant une stratégie multi-marques. Eska était positionnée comme la marque principale, axée sur les montres fines, les modèles haut de gamme, les pièces « classiques » et les réalisations de prestige. Parallèlement, l’entreprise utilisait la marque « Royce » comme une marque sœur, dédiée à des modèles plus sportifs ou d’entrée de gamme, spécifiquement pour les marchés d’exportation. Cette approche montre une structure d’entreprise mature, capable de segmenter son offre pour maximiser sa pénétration de marché.
Le nom Royce vous dit vaguement quelque chose ? C’était effectivement une marque distribuée aux USA et en Angleterre, dont les montres étaient fabriquées par Eska. Par exemple, l’Amphibian 600 fut aussi proposée sous l’appellation Royce sur certains marchés. De même, on trouve des chronographes années 60 signés Royce dont l’intérieur du boîtier porte l’inscription S. Kocher & Co. (Je possède moi-même un chronographe Royce Valjoux 7730 avec un “R” en appliqué sur le cadran. Il cache en réalité une Eska timide, dont le nom est embouti dans le fond de boîte – amusant !). Ce jeu subtil de double-marque témoigne de la volonté d’Eska de conquérir des parts de marché à l’étranger en adaptant son image.
Concurrence et positionnement d’époque
Comment situer Eska face aux autres acteurs du milieu du XXe siècle ? On peut la classer dans les « bons élèves discrets » du mid-tier suisse. C’est-à-dire plus qualitatif qu’une petite marque locale sans envergure, un cran tout de même sous les grands noms établis (Omega, Longines, etc.), mais parfois avec autant d’intérêt horloger. Eska jouait dans la même cour que des marques comme Juvenia, Certina, Cyma ou Enicar : des maisons sérieuses, innovantes à leur échelle, dont les produits ont bien vieilli. Ainsi, une triple-date Eska de 1950 n’a pas à rougir face à une Movado Calendograph équivalente – sauf qu’elle vaudra dix fois moins sur le marché actuel. On revient toujours à ce rapport qualité-prix imbattable en vintage.
Dans les années 70, cependant, ce positionnement s’érode. La marque glisse sur la pente de l’anonymat, concurrencée par les grands groupes émergents (Seiko côté quartz, SSIH et ASUAG côté Suisse). Ne nous y trompons pas : Eska n’a jamais été « ultra-luxe ». Elle se situait sur le segment moyen/accessible, avec une vraie qualité de fabrication pour l’époque, mais sans chercher la complication folle ou la finition maniaque. Et c’est très bien ainsi. D’ailleurs, aujourd’hui encore, cette humilité technico-esthétique est ce qui fait qu’une Eska vintage charme sans prétention – on se sent initié quand on en porte une, pas prétentieux.
4. Disparition puis renaissance contemporaine
Après sa mise en sommeil en 1987, Eska est devenue une marque fantôme, ne survivant que dans les tiroirs des collectionneurs et les archives de l’horlogerie. Près de quatre décennies plus tard, pourtant, la belle s’est réveillée. Racontons cette renaissance recente, de ses débuts modestes à ses dernières ambitions.
La mise en sommeil (années 1980–2000)
Comme vu précédemment, la crise du quartz a fait plier Eska. Entre 1980 et 2000, la marque n’existe pour ainsi dire plus que sur le marché de seconde main. Plus aucune nouveauté n’est produite. Le stock de pièces détachées et de mouvements sera écoulé durant les années 80 via d’autres canaux (certaines montres neuves Eska traîneront encore dans des vitrines de détaillants jusqu’aux années 90). Mais officiellement, Eska est en dormance. La société S. Kocher & Co a fermé boutique, le nom de marque appartient à un registre mais n’est plus exploité. Elle rejoint le cimetière des marques suisses englouties par la vague électronique. Seul moyen de « la croiser » : chiner du vintage ou tomber sur une pub d’époque au détour d’une brocante.
La renaissance (2024)
En 2024, coup de théâtre : la marque Eska est officiellement réactivée, non pas par un grand groupe, mais par deux entrepreneurs et passionnés français : Christophe Chevreton et Sinicha Knezevic. Ces repreneurs, installés en Franche-Comté, décident de redonner vie à Eska en rachetant la marque et en lançant de nouveaux modèles inspirés de son riche passé. On ne va pas se mentir : l’annonce fait peu de bruit au début. Une de plus, pourrait-on penser, dans la vague des revivals néo-vintage. Pour rappel, dans les années 2010–2020 on a vu renaître tout un tas de noms oubliés : Nivada Grenchen, Aquastar, Lip, Wolbrook, etc. Pourquoi pas Eska, tiens….
Le narratif de cette renaissance est crucial pour en évaluer la légitimité. Le discours officiel de la marque (sur son site et ses communiqués) est marqué par une forme d’honnêteté : il ne prétend à aucune continuité familiale ou industrielle directe avec les Kocher. Il s’agit d’une résurrection assumée par des passionnés extérieurs, dont la vision est « d’honorer l’âme des modèles historiques » et de « réveiller la belle endormie ». Un détail, ou plutôt un heureux hasard narratif, crée un pont symbolique puissant entre le passé et le présent : Eska, fondée par Silvan Kocher, est reprise par une équipe dont l’un des membres est Sinicha Knezevic. Comme le souligne malicieusement la communication, les initiales S.K. se retrouvent chez le fondateur et le repreneur, offrant un storytelling presque trop parfait pour être fortuit ! Ainsi, sans lien de sang mais avec un clin d’œil, la boucle est bouclée.
Concrètement, la nouvelle entité Eska commence humblement. Pas de manufacture flambant neuve ni de calibres « maison ». Les premières esquisses de produit sont dessinées en 2023, validées avec l’aide de consultants en design vintage, et le financement est partiellement assuré via le crowdfunding. Eh oui : quoi de mieux qu’un Kickstarter pour tester l’appétit du marché ? Les repreneurs le savent, la légitimité d’une marque ressuscitée ne se décrète pas, elle se gagne. Ils vont devoir convaincre les puristes.
Les piliers de la relance : Amphibian 250 et Heritage SK25
La stratégie de relance s’est articulée en deux temps, autour de deux modèles clés :
- Amphibian 250 : Le premier lancement s’est fait via la plateforme de financement participatif Kickstarter à la fin 2024. Il s’agit d’une réinterprétation moderne de la rarissime Amphibian 600 de 1959. La « 250 » reprend les codes esthétiques de son aînée (lunette large, cadran ultra-lisible, look de tool-watch old-school), en les adaptant à un boîtier de 40 mm étanche 250 m. Fin 2024, une campagne Kickstarter permet de financer la mise en production de cette plongeuse néo-rétro. Succès modéré mais suffisant : la communauté des amateurs de plongeuses vintage répond présente, les early-birds s’arrachent les premiers exemplaires.
- Heritage Chronograph SK25 : Annoncé en 2025, ce chronographe bi-compax néo-vintage de 38 mm signale la deuxième phase de la relance : une montée en gamme technique et la volonté de s’établir comme une marque crédible sur un segment de prix supérieur. L’Heritage SK25 (SK pour Silvan Kocher, 25 pour l’année de lancement) est un chrono mécanique à remontage manuel, doté d’un calibre à roue à colonnes La Joux-Perret, dont on reparlera. Avec ce modèle plus ambitieux, Eska version 21e siècle sort l’artillerie lourde pour séduire les amateurs éclairés de chronographes vintage.
Cohérence de la relance : le choix de l’Amphibian 600 comme modèle de lancement est stratégiquement brillant. L’originale de 1959 est un véritable Graal de collectionneur, une licorne dont il n’existerait que quelques exemplaires connus. En choisissant de ressusciter cette pièce spécifique — et non une banale montre habillée générique — les repreneurs ont envoyé un signal fort à la communauté des passionnés : « Nous avons fait nos recherches, nous connaissons l’histoire cachée d’Eska, et nous nous adressons à vous. » Cette renaissance établit une continuité stylistique claire (plongeuse, chronographe) tout en assumant une discontinuité industrielle. La marque, historiquement suisse, devient franco-suisse dans son exécution : les nouveaux modèles revendiquent en effet un assemblage réalisé à Besançon, en France, berceau historique de l’horlogerie française.
De plus, la progression en deux temps (plongeuse accessible d’abord, chronographe haut de gamme ensuite) permet de toucher deux publics : les amateurs de sportives vintage d’une part, les aficionados de chronos de l’autre. On a affaire à une renaissance menée intelligemment, sans précipitation. Nous y avons assisté pas à pas, un peu sceptiques au début je l’avoue – et nous avons été agréablement surpris par la cohérence globale de l’approche.
5. Positionnement de la Eska contemporaine sur le marché actuel
La nouvelle entité Eska ne se contente pas de raviver un nom ; elle doit se battre pour sa place dans un marché des indépendants et des micro-marques plus compétitif que jamais. Voyons où elle se situe en termes de segment, de concurrence et de discours de marque.
Segment de prix et produits
L’analyse des deux premiers lancements révèle une stratégie de montée en gamme très claire :
- Amphibian 250 : Initialement lancée sur Kickstarter à un prix d’appel très agressif (~700€ pour les premiers souscripteurs), elle se positionne désormais sur le segment « mid-tier accessible », aux alentours de 990 € (ou ~1 125 $). Fait crucial, la marque a opéré une montée en gamme technique notable entre le projet initial et la série finale : les premières versions (Kickstarter) étaient équipées d’un mouvement Seiko NH38 (automatique japonais fiable mais abordable), tandis que les modèles de production actuels sont passés au Sellita SW200 suisse. Ce passage d’un calibre japonais à un calibre suisse de référence est un investissement significatif, signalant une volonté de ne pas faire de compromis sur la qualité perçue. Par ailleurs, l’Amphibian 250 est assemblée en France avec un contrôle qualité exigeant – on est loin d’un simple coup marketing, le produit a été peaufiné.
- Heritage SK25 : Ici, Eska change de catégorie et vise le créneau de la « micro-brand premium ». Avec un prix public autour de 2 450 €, ce chronographe se justifie par des choix mécaniques radicalement différents : un calibre chronographe à remontage manuel et roue à colonnes, le La Joux-Perret L113. Ce dernier offre 60 h de réserve de marche et une finition soignée, positionnant l’Heritage SK25 face à des pièces comme les Longines Heritage Classic ou certaines Hamilton Intra-Matic haut de gamme. On n’est plus dans le sympathique diver à 1 000 €, on est sur un chronographe pour connaisseur prêt à investir quelques milliers d’euros. Il faut oser !
Le gap de prix entre les deux modèles est donc important, et on peut se demander s’il n’y a pas un risque de grand écart. L’Amphibian 250 vise un public large (comme la Baltic Aquascaphe ou la Yema Superman Heritage, pour citer des références). L’Heritage SK25 cible clairement un public de puristes, plus restreint, mais potentiellement plus engagé. Cela dit, cette dualité peut aussi être une force : Eska couvre deux segments et peut faire monter un client de la plongeuse à 1 000 € vers le chrono à 2 500 € s’il a été convaincu par la qualité initiale.
Concurrence : micro-marques vs marques ressuscitées
Eska se trouve face à deux types de concurrents :
- Vs. micro-marques « from scratch » (Baltic, Serica, etc.) : Face à des maisons très respectées comme Baltic ou Serica, qui ont dû construire leur légitimité à partir de zéro dans les années 2010, Eska possède un avantage narratif majeur : un héritage réel et centenaire (1918). Elle peut raconter une histoire, montrer des archives, jouer sur la nostalgie – ce dont les jeunes pousses sont dépourvues. En revanche, ces micro-marques établies ont pour elles une image de cohérence et de modernité que Eska doit encore prouver.
- Vs. autres relances patrimoniales (Nivada, Aquastar, Wolbrook…) : C’est le groupe de pairs le plus pertinent. Des marques comme Nivada (avec son Chronomaster), Aquastar (Deepstar) ou Vulcain (la Cricket) mènent un combat similaire. La stratégie est souvent partagée : ressusciter un design historique fort (souvent une tool-watch), cibler la communauté des passionnés via les réseaux sociaux et justifier un prix premium par l’utilisation de mouvements suisses de qualité. Eska exécute cela en deux temps, là où d’autres ont fait tout d’un coup. Elle a d’abord validé le marché et construit une communauté avec l’Amphibian 250, un produit à forte identité et à prix compétitif. Ensuite, elle utilise la légitimité acquise pour lancer un « produit halo » plus cher, l’Heritage SK25, qui sert à repositionner l’ensemble de la marque vers le haut. C’est très malin.
À date (fin 2025), comment perçoit-on Eska dans le milieu ? Comme une micro-marque « revival » à surveiller. Elle n’a pas encore la distribution d’un Nivada ni la fan-base d’un Baltic, mais elle a réussi son entrée. Les retours clients sont bons, les délais de livraison tenus, et la communauté en ligne commence à s’étoffer. Ce qui la distingue, c’est ce mélange d’héritage sincère et de French touch (assemblage à Besançon, communication en français sur les RS) qui parle notamment au public hexagonal. En clair : Eska joue la carte de l’indépendant crédible, pas du gadget marketing. Une partie du pari est gagnée.
Discours de marque : transparence et storytelling assumé
Jetons un œil au positionnement marketing du discours Eska 2.0. On y retrouve tous les ingrédients du revival bien mené :
- La fierté d’un fondé en 1918 mise en avant sur le site et les packaging. Cela permet de revendiquer « plus d’un siècle d’audace horlogère », même s’il y a eu un gros trou temporel. Il est vrai qu’Eska est plus ancienne que, disons, Rolex ou Patek (eh oui, 1905 et 1839 respectivement !). Mais bon, on joue sur les dates 😊.
- Une double culture suisse-française : ancrage historique à Granges (on mentionne la région de Soleure), mais fabrication et SAV en France. Ce double ADN est plutôt cool car il sort du sempiternel Swiss Made, tout en rassurant sur le sérieux (Besançon a un label de chronométrie, etc.). Le site affiche fièrement « Assemblé en France » et explique en quoi cette transparence est un choix qualitatif.
- Un accent mis sur la communauté : Eska communique régulièrement via Instagram, répond aux commentaires, met en avant des revues de presse (Monochrome, etc.) et cherche à éduquer sur son histoire. C’est gagnant, car la nouvelle génération d’acheteurs aime se sentir impliquée et informée. On est loin d’une marque froide et distante.
- Pas de sur-promesse technologique : Eska ne prétend pas avoir « tout fait en interne ». Au contraire, elle joue la carté de la transparence (fournisseurs suisses, atelier d’emboîtage français) et du choix des meilleurs composants dispo. Par exemple, sur l’Heritage SK25, la marque explique son choix du calibre La Joux-Perret plutôt qu’un Sellita, en admettant que c’est plus cher mais plus exclusif.
Verdict intermédiaire : Eska joue désormais dans la cour des indépendants crédibles. Pas encore au niveau d’une « grande » maison, mais plus en retrait non plus. Elle coche beaucoup de cases que nous, passionnés, attendons : un patrimoine réel utilisé avec respect, des montres au style cohérent et à la fiche technique solide, et un discours humble. Est-ce que tout est parfait ? Non (on en parle plus loin). Mais comparé à d’autres relances opportunistes, Eska version 2025 fait plutôt figure de bon élève. La marque avance step by step, sans brûler les étapes, et ça nous plaît plutôt.
6. ADN stylistique des collections modernes
Juger de la cohérence d’un revival se fait sur sa capacité à traduire un ADN historique en un produit contemporain désirable. Voyons comment l’Eska nouvelle vague s’en sort sur ce plan, avec ses deux familles de montres : Amphibian et Heritage Chronograph. Les codes esthétiques sont-ils fidèles à l’esprit d’antan tout en étant attractifs aujourd’hui ? On plonge dans le détail.
Codes de l’Amphibian 250 : plongeuse néo-vintage assumée
L’Amphibian 250 réussit à évoquer son ancêtre sans être une copie conforme. Dans un boîtier de 40 mm en acier brossé, son identité se forge sur deux éléments clés :
- Le cadran « sandwich » : Une construction sophistiquée où la matière luminescente (Super-LumiNova « Old Radium ») est appliquée sur une plaque inférieure, visible à travers les index découpés dans le cadran supérieur. Ce type de cadran, popularisé par Panerai, donne du relief et permet un look vintage (la teinte « faux radium » imite la patine du tritium vieilli). Le sandwich dial de l’Amphibian 250, avec ses quatre points cardinaux oversize, est une vraie réussite visuelle qui fait écho aux chiffres géants de la version 1959.
- La lunette et le lume : La lunette tournante unidirectionnelle est dotée d’un insert en saphir, gage de résistance aux rayures (contrairement à la Bakélite ou à l’alu d’époque). L’échelle est une « countdown bezel » (60→0) plutôt qu’une classique 0→60, clin d’œil aux montres de plongée des années 50 destinées aux plongeurs de la Marine. Les graduations sont généreusement remplies de Super-LumiNova crème, tout comme les aiguilles « broad arrow ». Résultat : dans le noir, l’Amphibian 250 brille comme un arbre de Noël 😅 (on exagère à peine).
À cela s’ajoutent des détails bienvenus : cornes percées (pratique pour changer de bracelet et très vintage correct), inscription du nom historique Eska Amphibian sur le cadran, police de caractères inspirée de celle de 1959, verre saphir double dôme qui rappelle le plexi bombé d’antan… Ainsi, le design de l’Amphibian 250 coche toutes les cases du néo-rétro réussi. On sent que les repreneurs ont passé des heures sur le cadran original Amphibian 600 (en empruntant même la petite flèche rouge à 12h sur la lunette). Le résultat est franchement très sympa au poignet. Nous l’avons essayée : 40 mm bien proportionnés, un insert saphir brillant du plus bel effet, et ce charme fou de porter « la plongeuse qu’on n’a jamais pu s’offrir en vintage ».
Codes du chronographe Heritage SK25 : un bi-compax pour puristes
Avec l’Heritage SK25, Eska cible directement le connaisseur. Le diamètre est contenu à 38 mm, taille plébiscitée par les puristes car proche des chronos 60s. Le design bi-compax (deux compteurs symétriques) est rehaussé par une multitude de détails collector-oriented :
- Le cadran « step dial » : Le cadran n’est pas plat ; il est construit sur plusieurs niveaux, avec un réhaut périphérique relevé et des sous-compteurs en creux. Ce « double cadran émail » donne une profondeur visuelle et un jeu de lumière subtil. De plus, deux coloris sont proposés : noir mat avec chemin de fer blanc et chiffres beiges (pour un look « Gallet », très militaire), ou beige grené avec échelle noire et chiffres ton sépia (pour un rendu « sector » chaleureux). Dans les deux cas, l’esthétique générale rend hommage aux chronos de course des années 1960.
- Les détails de boîtier : Les cornes sont percées (détail fonctionnel adoré des collectionneurs). Les poussoirs sont de type « champignon » et la couronne est large et plate, siglée Eska. L’épaisseur de 13,9 mm (dont verre) est un poil supérieure aux anciens Valjoux 72, mais reste contenue grâce au fond saphir plat. À travers ce fond, on admire le mouvement La Joux-Perret L113 décoré de Côtes de Genève anthracites – du plus bel effet !
ADN moderne d’Eska : ce n’est pas seulement du « néo-vintage » lambda, c’est enthusiast-centric. Chaque choix de design – cadran sandwich, step-dial, cornes percées, lume « patiné » – agit comme un clin d’œil envoyé à la communauté des collectionneurs. Cela prouve que la marque « parle leur langue ». En même temps, ces montres restent parfaitement portables et désirables pour un public plus large grâce à des dimensions équilibrées et une qualité de fabrication irréprochable. C’est une réinterprétation alignée sur la demande actuelle du marché : du vintage look avec le confort moderne.
7. Pédagogie : notions horlogères & de marque expliquées (Eska)
L’univers d’Eska, à la croisée du vintage et du revival, mobilise des concepts clés de l’industrie. Les expliciter permet de mieux juger la pertinence de la marque. Prenons quelques notions importantes :
Qu’est-ce qu’un groupe type Heuroplan ?
Heuroplan (1959) était une alliance commerciale typique de son époque. Il ne faut pas l’imaginer comme un holding intégré style Swatch Group. Son but n’était pas de fusionner la production, mais de mutualiser marketing et distribution. Concrètement, Movado, Cyma, Eska, Juvenia et Nappey partageaient stands et catalogues en France pour réduire les coûts. Pour Eska, son appartenance signifie qu’à son apogée, elle était un acteur commercialement pertinent, considéré comme un pair par ces marques. Cela donne une idée de son aura d’alors. Aujourd’hui, ce genre d’alliance n’existe plus vraiment (on est soit indépendant, soit absorbé dans un vrai groupe type Richemont). Heuroplan représente donc une forme ancienne de coopération, reflet d’une certaine effervescence horlogère post-CEE.
Qu’est-ce qu’une marque « revived » (ressuscitée) ?
C’est exactement le cas d’Eska en 2024. L’industrie fait la distinction entre une marque en continuité et une marque ressuscitée :
- Une « zombie brand » est le terme péjoratif pour désigner une entité qui rachète uniquement un nom célèbre et l’appose sur des produits génériques sans lien avec l’héritage.
- Une « sleeping beauty », comme Eska, est une marque disparue dont une nouvelle équipe rachète le nom, les droits et idéalement les archives (dossiers techniques, designs). La légitimité d’un revival ne vient donc pas d’une lignée historique continue (il n’y a aucune continuité industrielle ou capitalistique entre S. Kocher & Co et la nouvelle Eska), mais de la qualité d’exécution de la renaissance.
La question de légitimité : la nouvelle entité respecte-t-elle l’ADN (ex. ressusciter l’Amphibian 600) ? Fait-elle des choix techniques cohérents ? Offre-t-elle un vrai service client ? C’est à cette aune que sa crédibilité doit être jugée. Nous sommes les premiers à critiquer les « revivals cache-misère », alors croyez que nous avons passé Eska au crible. Et globalement, elle s’en sort très bien sur ces critères – ce qui lui évite le statut ingrat de zombie brand. On en connait tous, de ces marques vaguement relancées sans âme… On n’a pas, ici, cette impression. Ouf.
La notion de « Assembled in France » vs. « Swiss Made »
La nouvelle Eska est très transparente sur son positionnement : ses montres sont « Assemblées en France ». Petite explication de texte :
- « Swiss Made » : C’est une étiquette légale protégée. Depuis 2017, elle exige qu’au moins 60% des coûts de production (et non 60% des pièces) soient générés en Suisse, que le mouvement soit suisse, et que l’assemblage final ainsi que le contrôle qualité aient lieu en Suisse. C’est un label fort commercialement, mais parfois critiqué pour son laxisme (les 40% restants pouvant venir d’Asie sans problème).
- « Assemblé en France » : Cette mention, utilisée par Eska, indique que l’assemblage, l’emboîtage, le réglage et le contrôle final sont effectués en France, à Besançon. Les composants, eux, peuvent venir du monde entier (ici beaucoup de Suisse : Sellita, La Joux-Perret, etc.). C’est un argument de transparence, de valorisation d’un savoir-faire local (Besançon a une longue tradition horlogère) et de proximité pour le marché européen. En choisissant cette mention honnête plutôt que d’essayer de coller un Swiss Made à tout prix, Eska a privilégié la sincérité. Nous, on applaudit – marre du Swiss Made « à 60% » qu’on nous vend comme un gage absolu alors que les 40% restants sortent parfois de nulle part… C’est dit 🙂.
La montée en gamme : l’importance du calibre La Joux-Perret L113
Le choix du calibre LJP L113 pour l’Heritage SK25 n’est pas anodin. C’est le cœur de la justification du prix élevé de ce chrono. La Joux-Perret est une manufacture de mouvements haut de gamme réputée, basée à La Chaux-de-Fonds et appartenant au groupe Citizen. Le L113 est un mouvement de chronographe à remontage manuel (un choix de puriste, plus traditionnel et plus fin). Mais son atout majeur est sa roue à colonnes. Pour rappel, la plupart des chronos automatiques modernes (Valjoux 7750, Sellita SW500) utilisent un système came/levier pour l’aiguillage du chrono. C’est robuste et économique à produire. La roue à colonnes, c’est le système plus ancien et noble, plus complexe à usiner, qui offre un toucher de poussoir inégalé (doux, onctueux, net). Bref, c’est la Rolls du chrono traditionnel.
En choisissant un LJP à roue à colonnes plutôt qu’un Sellita à came (qui aurait été moins cher), Eska fait un choix coûteux pour signaler son ambition et offrir une expérience mécanique supérieure à l’amateur. De plus, le mouvement L113 est superbement décoré sur l’Heritage SK25 (ponts anthracite striés, vis bleuies, colonne violette visible). C’est un régal pour les yeux via le fond transparent. On est dans de la belle horlogerie, un cran au-dessus des concurrents directs. Ce calibre fournit en outre 60 heures de réserve et une précision au rendez-vous. Autant dire qu’Eska n’a pas lésiné pour donner un vrai contenu horloger à son chrono – il fallait l’expliquer, car certains ne comprenaient pas pourquoi le prix était plus élevé. Eh bien voilà : c’est dans la boîte à gants que ça se passe 🤓.
8. Risques et avantages : Eska pour le collectionneur et pour l’acheteur moderne
Faut-il donc s’intéresser à Eska, qu’elle soit ancienne ou moderne ? L’analyse objective impose un bilan nuancé des risques et des avantages. Sous forme de tableau mental, voici notre bloc « Risques / Récompenses » :
Risques / Limites
Côté vintage :
- Image floue : En dehors des cercles d’initiés, la marque Eska n’a pas la reconnaissance d’une Omega ou d’une Longines. La liquidité à la revente est donc potentiellement plus faible. Si vous achetez une Eska ancienne, ne comptez pas la revendre rapidement avec profit (sauf montée soudaine de sa cote, toujours possible). Ce manque de notoriété grand public reste un frein aujourd’hui.
- Documentation éparse : La production ayant été vaste et diversifiée, et les archives officielles ayant disparu avec l’entreprise, il peut être difficile d’identifier avec certitude l’originalité d’un modèle ou d’un calibre sans une documentation pointue. Par exemple, distinguer une Eska triple calendrier Valjoux 72C d’une concurrente Movado peut nécessiter d’avoir les catalogues d’époque sous les yeux – pas toujours évident.
Côté moderne :
- Pérennité incertaine : La marque relancée est jeune (2024). Comme pour toute nouvelle structure indépendante, la question de sa pérennité à long terme se pose légitimement. Si Eska ne rencontre pas assez de succès commercial, qu’adviendra-t-il du SAV dans 5 ou 10 ans ? C’est un petit risque à avoir en tête quand on débourse plus de 2000 € dans un chrono SK25, par exemple. On est loin d’Omega ou de Zenith en termes de certitudes financières.
- Prix ambitieux : Si l’Amphibian 250 est très bien positionnée (sincèrement, à 990 € c’est un top rapport qualité/plaisir), le prix de l’Heritage SK25 (~2 450 €) la place en concurrence frontale avec des marques plus installées (Longines, Frédérique Constant Highlife chrono, voire Tudor d’occasion). La légitimité d’Eska sur ce segment >2k€ reste à consolider. On peut trouver cher de payer ce montant pour « une marque ressuscitée » malgré ses qualités objectives.
Récompenses / Avantages
Côté vintage :
- Rapport charme/prix favorable : C’est l’atout maître. La possibilité d’acquérir des pièces de Métiers d’Art (émail cloisonné, pierre semi-précieuse) ou de Haute complication (triple calendrier chronographe) pour des budgets sans commune mesure avec les marques plus bankables. Par exemple, une Eska phase de lune en bon état peut se trouver sous les 1500 € là où toute pièce équivalente signée « Universal Genève » vaut 5 à 10 fois plus. Le collectionneur intelligent voit tout de suite le potentiel 😉.
- Potentialité « sleeper » : C’est le terrain de jeu idéal pour qui aime chiner. Dénicher une pièce sous-cotée mais dont la qualité horlogère (calibres Valjoux, boîtier plaqué or épais, cadran double) est indéniable procure une satisfaction unique. Avec Eska, on se prend à rêver qu’un jour la marque sortira de l’ombre et que nos trouvailles prendront de la valeur. Faut-il craindre une bulle ? Non, on reste sur des prix plancher – le plaisir de porter une complication top pour pas cher est déjà une récompense suffisante en soi.
Côté moderne :
- Cohérence et passion : La renaissance est menée avec intelligence et un respect manifeste de l’héritage. Les choix de modèles (Amphibian, Heritage) sont pertinents et ciblent le cœur de la passion horlogère. On sent que c’est fait par des amateurs pour des amateurs. La continuité est assumée sur certains designs (lunette Amphibian, chronos bi-compax), tout en apportant de la nouveauté. De plus, le discours de marque est clair et honnête sur la filiation (pas de mythe farfelu de « petit-fils du fondateur » sorti du chapeau).
- Transparence et qualité technique : Comme évoqué, la marque joue cartes sur table (assemblé en France, composants suisses, etc.). Loin de surjouer la haute horlogerie, elle préfère prouver par les faits. Exemple : la montée en gamme de l’Amphibian, passant de Seiko à Sellita suite aux retours des backers Kickstarter. Ou l’adoption du calibre LJP L113 sur l’Heritage, plutôt que de céder à la facilité d’un mouvement plus commun. Cela prouve que la marque ne cherche pas l’économie à tout prix, mais la crédibilité technique. Et ça, c’est très rassurant pour ceux qui hésitent à franchir le pas.
- Proximité et communauté : La proposition Eska est intéressante pour le public français/Européen : assemblage local, distribution directe , éditions limitées où chaque client se sent un peu membre du « club Eska ». On n’est pas sur du volume anonyme. Cela crée un engouement et un esprit de communauté qui manquent parfois chez les micro-marques mainstream. Qu’on se le dise : posséder une Eska moderne aujourd’hui, c’est être un initié d’un truc naissant – un peu comme ceux qui achetaient les premières Baltic en 2018. Ça crée du lien 😊.
9. Conclusion : une renaissance sérieuse et durable
L’analyse de l’histoire et de la renaissance d’Eska permet de répondre clairement à notre question centrale. Non, Eska (version 2025) n’est pas une simple « étiquette recyclée ». C’est au contraire un cas d’école plutôt réussi de renaissance horlogère indépendante.
Pour le collectionneur vintage : Eska est un terrain de jeu formidable, à condition d’être éduqué. C’est une marque qui a produit à la fois du volume fiable et des pièces d’exception. Pour le collectionneur patient, qui sait reconnaître un cadran émail de qualité ou un calibre chronographe noble, Eska offre l’un des meilleurs ratios charme-horloger/prix du marché actuel. C’est une véritable « sleeper brand » qui mérite d’être réveillée, pièce par pièce. Prenez le temps de chiner, d’authentifier, d’envoyer peut-être un e-mail à un expert (même si la réponse se fait attendre… les archives ne sont pas faciles). L’effort en vaut la chandelle.
Pour l’acheteur moderne : Eska est une alternative crédible et sérieuse dans l’univers des micro-marques néo-vintage. La renaissance est menée avec une exécution qui force le respect. L’Amphibian 250 est une plongeuse de caractère, bien positionnée, qui a su corriger sa trajectoire en adoptant un mouvement suisse de référence. L’Heritage SK25, bien que plus ambitieux sur le plan tarifaire, est une proposition techniquement solide et esthétiquement aboutie, qui prouve que l’intention des repreneurs n’est pas de faire un « coup » marketing, mais bien de réinstaller durablement Eska dans le paysage des indépendants qui comptent.
En définitive, la légitimité d’une marque ressuscitée ne s’hérite pas, elle se gagne. Et Eska, par la pertinence de son storytelling et, surtout, par la qualité de ses produits, est en train de gagner la sienne. Nous étions sceptiques (légitimement) au départ, nous sommes désormais plutôt conquis. Le pari n’est pas encore totalement gagné – il faudra tenir sur la durée – mais Eska a clairement franchi la rampe du sérieux en 2025.
Eska vintage : à chiner ou à éviter ? Clairement à chiner, si vous aimez les montres de caractère au prix doux. On vous recommande notamment de guetter les Eska triple calendrier (une fois restaurées, ce sont des merveilles) ou les modèles « St. Moritz » à cadrans de pierre qui sont très fun à porter pour quelques centaines d’euros. Vous ne ferez pas de plus-value demain matin, mais vous aurez le plaisir d’une vraie montre d’initié, qui suscitera peut-être la curiosité de votre entourage de connaisseurs .
Eska moderne : alternative sérieuse ou simple curiosité d’initié ? On penche pour une alternative sérieuse. Les montres proposées tiennent la route, la marque a une légitimité historique indéniable, et l’équipe actuelle semble engagée pour durer. Bien sûr, cela reste une structure modeste – ne vous attendez pas à voir des boutiques Eska partout ou des collections pléthoriques. Mais c’est aussi son charme : être un des quelques happy few à arborer une Amphibian 250 au poignet, c’est plus gratifiant (à nos yeux de geeks) que d’avoir la même Submariner que tout le monde. Ainsi, Eska redevenue vivante s’impose peu à peu comme un « insider tip » de qualité. À suivre de près. Nous, on a hâte de voir leurs prochaines créations (une réédition d’un modèle habillé années 40, peut-être ? ou un chronographe tricompax ? – On leur glisse l’idée ici, sait-on jamais…).
