Ca faisait assez longtemps que nous n’avions pas fait d’article très généraliste, de synthèse, sur l’industrie de la mode masculine aujourd’hui.
Je me dis souvent que sur le papier, il est beaucoup plus facile de bien s’habiller maintenant qu’en 2010, avec tous les blogs de mode masculine et les marques sans intermédiaires au bon rapport qualité/prix.
Pourtant, je n’ai pas vraiment l’impression de voir beaucoup plus de gens dans la rue avec un style qui les reflète vraiment, et c’est toujours aussi difficile pour quelqu’un qui veut faire des efforts de s’y retrouver sans y passer des heures par semaine.
Sacré paradoxe donc..que j’ai voulu développer un peu dans cet article.
Sommaire
I UNE OFFRE PLETHORIQUE
Telle qu’on la voit aujourd’hui, la mode masculine (ou le menswear) ne permet malheureusement toujours pas d’exprimer qui on est vraiment dans son style, sur la durée:
1 En terme de produits
Le fonctionnement de l’industrie, ou pourquoi on est de plus en plus noyés par l’offre
Le fonctionnement classique
L’industrie du textile de manière générale n’y échappe pas, même si ça se fait à des niveaux différents. Vous connaissez déjà bien ces deux niveaux:
– les marques fast fashion qui renouvellent toutes les trois semaines des collections entières (vous connaissez déjà bien ce problème)
– les marques de créateurs classiques qui fonctionnent en deux saisons avec défilés et salons d’acheteurs
Le fonctionnement des marques 2.0
Ce qu’on ne voit pas forcément, quand on ne travaille pas dans le milieu, c’est que les marques sans intermédiaires avec marges réduites ont elles aussi un agenda (même s’il est plus flexible que celui des marques classiques).
Quelques notions simples de marketing et plus généralement d’entrepreneuriat permettent de le comprendre:
– il faut faire de la publicité (en particulier Facebook Ads et/ou Google Adwords) et ça coûte cher
– les marges sont très faibles, et souvent inférieures au coût de la publicité
=> Acquérir un client (c’est-à-dire réussir à faire acheter quelqu’un chez soit pour la première fois) coûte très cher et n’est généralement pas rentable.
C’est à dire que la première fois que vous commandez un vêtement chez une marque de ce genre, après avoir vu 10 fois sa pub Facebook et passé 1H sur le site, et bien cette marque a perdu de l’argent.
Pour qu’une marque soit pérenne, elle doit donc rentabiliser l’acquisition de ce client. Et le moyen le plus simple de le faire revenir est de proposer des nouveaux produits, plus étoffés.Voici comment les marques construisent leurs offres:
1/ Un produit basique, qui ne coûte pas cher en développement (une chemise en popeline blanche, un chino en coton, une écharpe en laine, une cravate en grenadine) pour attirer les premiers clients
2/ Des produits plus travaillés, par exemple des chemises ou pantalon en flanelle, des accessoires avec des textures ou des finitions particulières etc pour que ces mêmes clients reviennent
3/ Comme une marque, comme tout entreprise qui se respecte, doit croître, alors ces sorties de nouveaux produit sont de plus en plus fréquentes.
Attention, c’est tout à l’honneur de ces marques de proposer des produits plus travaillés (et souvent à des prix imbattables).
Pourtant, je ne vois pas énormément d’hommes mieux habillés dans la rue, pourquoi ?
Car cette stratégie a quelques effets pervers:
1 Une offre qui s’enrichit et donc plus difficile à comprendre
2 Des prix bas qui favorisent l’achat coup de coeur de pièces dont on a pas forcément besoin
Malgré ces achats de pièces qualitatives, elles ne s’intègrent pas si facilement à votre style.
Pourquoi ? Car vous n’avez pas les conseils de style nécessaires, alors que les marques font ce qu’elles peuvent, mais avec les trois mêmes travers:
– des conseils trop généralistes: c’est compréhensible, gérer une marque est un boulot titanesque, et assurer correctement le conseil de style est un travail à part entière.
Difficile donc de bien faire les deux. Et c’est pour ça qu’on se retrouve chez certaines marques avec des conseils type:
« Ca va avec tout »
« Il suffit de le porter »
« Portez le comme vous le sentez » (vous reconnaîtrez une marque en particulier, qui propose d’excellents produits, mais qui ne s’attarde pas sur les conseils de style)
– des photos d’inspiration très lisses: l’idée pour une marque étant aussi de vendre, on préfère lui montrer une photo avec un style simple, plus commercial
– La production de vêtements en elle-même : les ¾ des costumes que vous voyez sont produites par la même usine en Roumanie avec des finitions très reconnaissables (demi-lunes, barchetta, milanaise etc)
La qualité est excellente, mais beaucoup de marques en proposent une version très bateau sans valeur ajoutée, et on ne sait alors plus vraiment comment faire la différence.
Et c’est la même chose pour les chemises en Turquie, au Maroc et en Europe de l’Est, ou encore les chaussures et bottines au Portugal.
Certaines marques (que nous n’avons pas testées ici) sont même un mélange de produits déjà existant ailleurs, avec simplement un discours un peu différent. Ce qui rajoute encore un peu plus à la confusion.
2 En terme d’informations
–Les articles de blogs sont de plus en plus longs et complexes à assimiler, surtout si vous n’avez que quelques heures à y consacrer par semaine : difficile de savoir par où commencer et quelles premières étapes concrètes prendre (mea culpa, on est un peu fautifs aussi là-dedans).
La plupart des « guides ultimes » font entre 4000 et 5000 mots: s’ils sont très complets, ils demandent aussi beaucoup de temps pour bien assimiler les informations.
-Instagram a facilité la publication de tenues et d’inspirations : même en s’y intéressant un minimum, on peut être submergés d’inspirations du Pitti Uomo, découvrir Andreas Weinas ou encore s’enthousiasmer pour les grands bottiers japonais.
Si Instagram est utile pour éduquer son œil, on apprend malheureusement pas à s’habiller uniquement en regardant des photos d’influenceurs, sinon on pourrait tous pavaner au Pitti Uomo.
C’est pour ça qu’il ne suffit pas de repérer une pièce sur quelqu’un et de demander « slt j’achète ça où ». Je vous vois rire, mais ça arrive parfois même quand le compte de la marque est déjà taggé sur le post Instagram.
C’est arrivé par exemple très souvent avec cette paire de bottes: une paire de Crockett&Jones en cordovan. Il s’agit d’une pièce très pointue, qui demande des styles Gentleman Farmer et éventuellement workwear extrêmement maîtrisés. Vouloir se la procurer en l’ayant vu sur Instagram, le plus souvent sans avoir ces pré-requis, est le meilleur moyen de ne jamais les porter.
Résultat: on passe des heures à lire des articles interminables, pour se retrouver avec des marques au bon rapport qualité/prix, mais souvent extrêmement lisses (ceux qui tirent leur épingle du jeu sont très rares) ou en essayant de reproduire des styles inaccessibles (souvent intégralement faits en mesure)
Les vrais passionnés iront quant à eux échanger sur des forums (canardpc,hardware.fr,bonnegueule) et trouveront parfois de vraies perles, au prix de dizaines d’heures de recherches : c’est une bonne solution pour s’améliorer pour ceux d’entre vous qui ont beaucoup de temps, et qui sont capables d’analyser avec recul les informations qui s’y échangent.
Le résultat de cette abondance d’informations: c’est qu’il y a beaucoup plus de passionnés, prêts à passer des heures à faire le tri et à dénicher les perles. Mais ça reste beaucoup plus difficile pour quelqu’un qui veut simplement mieux s’habiller de s’y retrouver.
Meme issu de la très bonne page facebook Sartorial Meme
C’est une évolution positive mais bien s’habiller, avec un style personnel qu’on maîtrise vraiment, ne devrait pas être le luxe des passionnés.
Vous l’avez compris, il y a beaucoup plus d’informations qu’avant : mais celle qui vous aidera à bien vous habiller à l’instant T reste toujours aussi difficile à trouver et vous empêchera aussi de vous poser les bonnes questions.
II DES STYLES CLONES TROP LISSES, OU DES ACHATS IMPORTABLES
Il y a quelques années, c’était facile de mieux s’habiller que la moyenne.
Il y avait d’un côté ces marques de fast fashion type H&M ou Zara, qui nous vendaient des vêtements trop chers pour une qualité exécrable.
Il y avait de l’autre côté ces petites marques qui nous parlaient de rapport qualité/prix, et de distribution en direct, sans intermédiaires.
Quelques années plus tard, elles se sont multipliées et se ressemblent toutes, et elles sont accessibles à n’importe qui ayant tapé « conseil mode homme » sur Google et cherché 2 minutes.
Le style des membres du Reddit Male Fashion Advice: pas de fautes de goût en perspective, mais ça reste forcément très lisse.
On a un peu malheureusement le même uniforme en France.
Bref, dans ces conditions, il est devenu à nouveau très difficile de se distinguer parmi une offre redondantes de pièces très lisses (ce n’est probablement pas en achetant votre première chemise chambray que ça changera grand-chose).
Quand on trouve une pièce qui sort du lot, c’est souvent une pièce de créateur hors de prix.
A moins de vouloir faire des heures de recherche, il est très difficile en France de trouver un juste milieu.
Des progrès formidables ont été faits sur le style formel : quelques règles simples suffisent à bien s’habiller en costume, ou au moins à ne pas faire de fautes de goût.
Au bureau, vous avez un cadre. Mais une fois arrivé le week-end ou l’afterwork, c’est là que vous êtes livrés à vous-même.
Quand vous a-t-on complimenté pour la dernière fois sur une de vos tenues casual chic ?
Voici ce qu’on voit souvent :
–Des tenues trop fades: des tenues composées uniquement des dernières marques au bon rapport qualité/prix, en circuit court, qui sont les plus faciles à trouver sur les plus gros blogs.
On obtient une juxtaposition de pièces très lisses qui donnent une tenue sans âme, qui ne permettra certainement pas d’exprimer votre personnalité.
Si le rapport qualité/prix vous suffit, que vous souhaitez passer inaperçu et que vous n’envisagez pas d’avoir un style qui vous correspond, alors vous pouvez vous en contenter et arrêter votre lecture ici
–Des reproductions cheap : vous avez vu une tenue d’influenceur, et vous souhaitez la reproduire avec les moyens du bords, sans vraiment comprendre ce qui en faisait la force. Et comme vous n’avez pas vraiment le recul nécessaire, un élément vous a échappé et tout s’effondre
Exemple criant : les cols requin l’été dernier. Ces cols de chemise montés en une pièce qui pouvaient se porter par-dessus les revers d’une veste. Il s’agit d’un type de chemises très spécifique, inutile d’ailleurs pour la plupart des gens tant ce style est éphémère.
Voici une des dérives possibles:
L’achat coup de cœur :
Ce que je vois très souvent parmi mes clients de relooking : acheter une pièce coup de cœur, qui va souvent coûter cher, mais sans avoir le vestiaire nécessaire pour la porter
On achète une pièce forte importable, souvent au coup de coeur, ou alors le fameux « on achète ça où » en commentaire Instagram. Si vous ne pouvez même pas chercher la référence vous-même, quelles sont les chances que vous portiez la pièce correctement ? (je me permet de le répéter, mais je n’ai jamais vu quelqu’un qui maîtrisait son style poser cette question)
III LES DEUX QUESTIONS A SE POSER POUR BIEN S’HABILLER
Pour bien s’habiller, être stylé et élégant, il n’y a au final que deux questions à se poser :
– Qu’est-ce que je dois acheter ?
– Comment dois-je le porter
Et le problème de la mode masculine en France, c’est qu’on y a toujours répondu de manière complètement déconnectée :
–Soit en vous donnant une vision de l’offre par pièce (ex les costumes, les vestes, les chinos etc)
Résultat : on ingère des dizaines d’articles de plusieurs milliers de mot, on a du mal à en dégager une vision manière simple de bien intégrer un vêtement dans une tenue.
On voulait bien s’habiller mais on se retrouve à devenir un vrai geek du textile, à s’interroger sur les ourlets en point de chainette, à compter le nombre de points au centimètres et à vouloir collectionner tous les tissus de chemise japonais qu’on trouve sur le marché.
Il n’y a rien de mal à ça si vous avez du temps à y consacrer, mais si vous voulez simplement avoir un style qui exprime votre personnalité et qui se démarque, alors vous vous êtes très clairement perdu en route.
–Soit en vous donnant des inspirations, notamment sur Instagram, ce qui vous incite trop à la copie pure et dure quand bien même vous ne maîtrisez pas les codes de chacune des pièces
Il fallait une solution simple et accessible qui relie efficacement les deux
Pour bien s'habiller, il faut comprendre le vêtement, mais aussi la marque et sa stratégie.